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Contrefaçon et piraterie : que fait l’UE pour lutter contre ce phénomène en pleine expansion ?
17-11-2010


La contrefaçon est un phénomène en croissance exponentielle depuis quelques années. Elle touche tous les secteurs économiques et a des conséquences souvent désastreuses pour l'emploi et la sécurité du consommateur. Le marché de la contrefaçon et de la piraterie est actuellement estimé à plus de 50 milliards de dollars par an. Rien qu’enLes Midis de l'Europe France, les douaniers ont saisi 7 millions d’articles contrefaits en 2009 (soit 7,7 % de plus qu’en 2008). Cette industrie florissante a comme but de produire et de vendre des copies d'objets de luxe ou de grandes marques à des prix défiant toute concurrence. La grande majorité des objets saisis proviennent des pays asiatiques avec, en première position, la Chine. Mais le phénomène de la contrefaçon touche de plus en plus de produits, y compris les médicaments ou même les pièces d’avions…

Lex Kaufhold, de l’Office de la propriété intellectuelle, et Daniel Koener, inspecteur principal de la direction des Douanes et Accises, étaient invités à présenter les enjeux de ce phénomène à l’occasion d’une conférence-débat qui s’est tenue le 17 novembre 2010 à la Maison de l’Europe dans le cadre des Midis de l’Europe. Les Midis de l’Europe sont organisés par le Bureau d'information du Parlement européen à Luxembourg, la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg, le Mouvement Européen Luxembourg et le Centre européen des consommateurs.

"La contrefaçon est omniprésente", explique Lex Kaufhold en présentant les principes de la propriété intellectuelle qui encadrent la lutte contre la contrefaçon

Lex Kaufhold, qui dirige, au sein du Ministère de l’Economie et du Commerce extérieur, l’Office de la protection intellectuelle, a commencé par expliquer que la propriété intellectuelle se compose de deux volets. Il y a d’une part la propriété industrielle, pour laquelle les droits doivent être enregistrés sous la forme de brevets, de marques ou de dessins et de modèles, et d’autre part la propriété littéraire et artistique pour laquelle les droits d’auteur ou droits voisins découlent automatiquement de la création d’une œuvre littéraire et artistique originale.

Lex KaufholdPourquoi cette introduction ? Tout simplement parce que le terme générique de "contrefaçon" est utilisé pour qualifier les atteintes aux titres et droits de la propriété intellectuelle. Le "piratage", qui désigne les actes de contrefaçon dans le domaine du multimédia, en est ainsi une des multiples formes. La liste de ces dernières est longue en effet puisqu’on peut y porter les copies, faux, plagiats ou encore reproductions.

"La contrefaçon est omniprésente", explique Lex Kaufhold, qui insiste bien sur le fait que le phénomène ne se cantonne pas à l’industrie du luxe, loin de là. Même sur les produits les plus anodins, offrant les marges les plus minimes, il peut y avoir contrefaçon. Et dans certains domaines, comme les produits pharmaceutiques, les produits de l’industrie automobile ou aéronautique, ou encore les produits de consommation courante, les risques d’atteinte à la sécurité ou à la santé des consommateurs sont grands.

La NASA elle-même s’est rendue compte qu’une pièce d’un de ses engins spatiaux était en fait une contrefaçon, c’est dire les capacités de ceux qui les fabriquent et les diffusent ! La contrefaçon représente en effet 5 à 7 % du commerce mondial selon l’OMPI, et, en plus de mettre en danger la santé et la sécurité des consommateurs et de perturber le commerce mondial, le phénomène va souvent de pair avec l’exploitation d’enfants et le fonctionnement de systèmes mafieux.

La lutte contre la contrefaçon se fait par l’instauration de sanctions juridiques. Mais attention, pour pouvoir bénéficier de la protection du législateur, il faut protéger ses inventions moyennant des titres de propriété intellectuelle, quand cela relève de la propriété industrielle, voire se constituer des preuves sur ses droits de propriété intellectuelle dans le cas de la propriété littéraire et artistique. Sans droits prouvés, la partie lésée ne dispose pas de moyen d’action contre le contrefacteur, ce dont ont déjà fait les frais un grand nombre d’industriels, même parmi les plus grands.

Le cadre légal luxembourgeois

Au Luxembourg, ce sont les juridictions de droit commun qui sont compétentes pour connaître des actions de contrefaçon.

La loi du 20 juillet 1992 sur les brevets prévoit comme mesures provisoires la conservation des preuves de nature à établir la contrefaçon, la constitution de garanties, la prévention de toute atteinte, la cessation provisoire et la saisie conservatoire. En termes de sanctions, la loi prévoit la cessation de l’atteinte au brevet, des dommages et intérêts, la cession de tout ou partie du bénéfice réalisé en cas de mauvaise foi, la confiscation éventuelle, voire même la destruction, des biens, matériaux et instruments contrefaisants, le rappel éventuel des circuits commerciaux ou encore l’obligation éventuelle de communiquer toute information relative aux origines et réseaux de distribution.

En ce qui concerne les marques, dessins et modèles, la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle, signée à La Haye le 25 février 2005, prévoit des mesures et des sanctions semblables à celles dont dispose la loi sur les brevets.

Les mesures provisoires et les sanctions prévues par la loi du 18 avril 2001 sur les droits d’auteur, les droits voisins et les bases de données sont du même ordre. Mais cette loi prévoit également des poursuites pénales en cas de contrefaçon. Sur ce point, Lex Kaufhold a mis en garde, prévenant qu’il pouvait être risqué de télécharger n’importe quoi sur Internet. "Si vous avez un doute, un semblant de mauvaise conscience au moment de télécharger, si c’est trop facile ou étonnamment gratuit, c’est mauvais signe : agissez avec prudence", a-t-il conseillé, soulignant cependant que le principe de "l’intention frauduleuse" inscrit dans la loi luxembourgeoise protège le consommateur.

Les initiatives européennes en faveur de la lutte contre la contrefaçon

Dans sa lutte contre la contrefaçon, la Commission a lancé en 2007 un projet intitulé IPR2 China qui a pour objectif d’améliorer la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle en Chine. Ce pays, qui est l’un des plus grands partenaires commerciaux de l’UE, est en effet aussi le lieu de production de la majorité des produits contrefaits portant atteinte aux droits de la propriété intellectuelle dans le monde.

Citant l’exemple d’un entrepreneur luxembourgeois invité à présenter à la télévision chinoise une poubelle de son invention, Lex Kaufhold a raconté comment le marché chinois avait été inondé du jour au lendemain de contrefaçons de ce produit.

La Commission a donc conclu un accord avec le gouvernement chinois pour mettre en place une structure d’assistance technique promouvant la propriété intellectuelle en Chine. Dans le cadre de ce projet, sont prévus une amélioration du cadre légal chinois en la matière, la formation du personnel d’institutions engagées dans la protection de ces droits, la garantie d’une meilleure accessibilité aux informations en la matière ou encore le soutien des efforts de renforcement du respect de la propriété intellectuelle opérés par la Chine en matière civile, pénale et administrative. Un renforcement de l’aide aux titulaires de droits de Propriété intellectuelle en Chine et dans l’UE est aussi prévu tandis que les aspects généraux relatifs aux marques, dessins et modèles constituent un axe important du projet.

En vue d’une meilleure collaboration entre les consommateurs, les administrations publiques et les entreprises dans la lutte contre la contrefaçon, la Commission européenne a créé par ailleurs en 2009 l’Observatoire européen de la contrefaçon et du piratage. L’objectif de cette plateforme est d’améliorer la qualité des informations et des statistiques portant sur la contrefaçon et le piratage sur le marché intérieur, mais aussi de définir et diffuser les meilleures stratégies et techniques de contrôle mises en œuvre dans l’UE ou encore de sensibiliser l’opinion publique.

En 1980, la contrefaçon touchait essentiellement les produits de luxe, mais en 2010, elle est partout, observe aussi Daniel Koener. Et l’enjeu est de taille en termes de volume.

Daniel Koener s’est attaché pour sa part à présenter le point de vue des douanes luxembourgeoises sur la contrefaçon.

Sur le plan historique, Daniel Koener a observé entre 1980 et 2010 une nette évolution en matière de contrefaçon. Si les produits de luxe étaient les plus visés par le phénomène il y a 30 ans en arrière, et si les marques célèbres voyaient cela comme une publicité gratuite, en 2010, la contrefaçon touche tous les produits et Internet a changé la donne tant par le développement du commerce électronique que du point de vue du piratage.Daniel Koener

En termes de volume, les chiffres sont impressionnants, signe s’il en est que l’enjeu est de taille comme le souligne Daniel Koener. Le nombre de cas est en effet passé de moins de 5000 en 1999 à plus de 40 000 en 2009. Daniel Koener ne peut que confirmer que la Chine est le pays de provenance d’articles contrefaits n°1, puisque 64,4 % de ces marchandises en proviennent. Par ailleurs, plus de 90 % de ces articles tombent, en termes de propriété intellectuelle, sous la protection des marques.

Au Luxembourg, 171 procédures ont été lancées en 2009 et elles concernaient près de 37 000 articles. Daniel Koener note que le nombre d’articles envoyés par la poste après avoir été commandés sur Internet est en nette hausse.

Que peut faire la douane, et sur quelles bases légales ?

Les bases légales de la douane pour agir contre la contrefaçon sont exclusivement communautaires. Il s’agit du règlement du Conseil 1383/03 et du règlement 1891/04 de la Commission qui en fixe les dispositions d’application. Ce règlement douanier qui est de nature répressive est applicable aux frontières extérieures de l’UE afin de lutter contre la fraude.

Dans ce contexte, le rôle de la douane est d’interdire l’introduction, l’importation dans l’UE, mais aussi l’exportation et la réexportation de l’UE et même le transbordement de marchandises de contrefaçon.

Cependant, un certain nombre de conditions sont requises pour que la douane puisse intervenir. Tout d’abord, le droit à la propriété intellectuelle doit être valablement enregistré, soit, au niveau international, auprès de l’OMPI, soit, au niveau communautaire, au niveau de l’OHIM, soit, au niveau du Benelux, auprès de l’OBPI. Par ailleurs, le titulaire du droit doit déposer une demande d’intervention auprès des autorités douanières compétentes.

Si ces conditions sont remplies, en cas de soupçon de marchandises contrefaites, la douane suspend la main levée des marchandises pour une durée de 10 jours ouvrables (ou bien 3 jours dans le cas de marchandises périssables), informe le déclarant, le destinataire ainsi que le titulaire du droit.

S’il y a eu demande d’intervention préalable, le titulaire du droit est informé de la quantité réelle ou supposée des marchandises, de leur origine et de leur provenance ainsi que de leur valeur réelle ou supposée. Il se voit par ailleurs communiquer les coordonnées de l’expéditeur, du destinataire et du détenteur ou du déclarant des marchandises retenues.

Une prorogation de 10 jours ouvrables de la suspension de la main levée est alors possible sur demande motivée et le titulaire du droit peut inspecter les marchandises ou se faire transmettre par la douane des échantillons. Le titulaire du droit a donc ce délai de 10 ou 20 jours pour saisir l’autorité compétente et il informe la douane qu’une procédure a été entamée. S’il ne prend pas de mesures, la suspension est levée après l’accomplissement des formalités douanières.

Il existe cependant aussi une procédure dite "ex officio" qui permet à la douane, en cas de soupçon de marchandise contrefaite, de retenir pendant 3 jours ouvrables les marchandises sans demande d’intervention préalable. Il revient à la douane d’informer dans ce délai le titulaire du droit du risque que sa marque soit contrefaite, du nombre et de la nature des objets et de lui transmettre une photo numérique. Mais la douane ne peut donner d’informations à ce stade sur l’expéditeur, le destinataire ou toute autre donnée à caractère personnel. Le titulaire du droit est alors en mesure de déposer une demande d’intervention dans ce délai de trois jours, auquel cas la procédure habituelle est lancée. Sinon, la retenue des marchandises est levée.

Qu’advient-il des marchandises contrefaites ? Elles sont en principe épuisées du circuit économique, voire détruites sans que cela n’occasionne de frais pour le trésor public. Les contrefacteurs peuvent être par ailleurs privés du profit économique qu’ils en tirent.

Parmi les grands défis que doivent affronter les douanes, la destruction de marchandises contrefaites toujours plus nombreuses est un enjeu de taille

La lutte contre la contrefaçon pose un certain nombre de défis à la douane. Les marchandises sont effet toujours plus nombreuses et ce d’autant plus que l’aéroport de Luxembourg est en 5e position  dans l’UE pour ce qui est du fret. Daniel Koener s’inquiète par ailleurs du nombre croissant de médicaments contrefaits qui sont importés et il ne manque pas de souligner que la hausse du trafic observée est en grande partie liée au développement du commerce électronique.

La destruction de marchandises est aussi un enjeu de taille, car le coût engendré peut être important dès que les marchandises contiennent des piles, des déchets spéciaux ou des métaux et autres substances toxiques. Citant l’exemple de montres, Daniel Koener a ainsi expliqué qu’il fallait démonter chaque article à la main pour en retirer la batterie… Pour réaliser ce long et coûteux travail, les douanes sont en contact avec des entreprises et des associations luxembourgeoises à l’instar de centres de réadaptation.

Daniel Koener a par ailleurs tenu à préciser que les marchandises contrefaites contenues dans les bagages des voyageurs ne tombent pas, dans la mesure où il n’y a pas de caractère commercial, sous l’application du règlement du Conseil. Elles sont justes soumises à une franchise douanière de 430 euros. En revanche, l’inspecteur général des douanes a bien insisté sur le fait que cette disposition n’est pas applicable aux marchandises envoyées par la poste ou par courrier express qui relèvent du trafic commercial. Mieux vaut être prévenu !