Réunis à Bruxelles pour un Eurogroupe présidé par Jean-Claude Juncker, les ministres des Finances de la zone euro ont eu le 6 décembre 2010 des discussions techniques et ils n’ont pas pris de décisions majeures.
Dominique Strauss-Kahn, le directeur du FMI, est venu présenter aux ministres européens les résultats de la mission article IV du FMI. Comme l’a déclaré Jean-Claude Juncker à la presse à l’issue de la réunion, il n’a pas noté de différence notable d’analyse tant en ce qui concerne l’évolution économique globale que l’évolution économique dans l’UE. Les conclusions communes ont donc logiquement un air de déjà-vu, puisqu’il s’agit en priorité de viser "une consolidation sage des finances publiques qui ne serait pas de nature à gêner la reprise économique".
Les ministres ont par ailleurs discuté de la stabilité financière de la zone euro, se penchant notamment dans le détail sur le programme d’aide financière que les ministres ont décidé d’octroyer à l’Irlande le 28 novembre dernier. Les gouvernements espagnol et portugais ont ensuite présenté dans le détail les mesures prises et prévues en matière de consolidation budgétaire ; le programme annoncé par l’Espagne a été jugé "impressionnant" par le président de l’Eurogroupe qui a fait état de "notables progrès" réalisés par le Portugal qui est cependant invité à préciser davantage son programme de réformes structurelles. Quant à la question d’une extension des durées de remboursement des prêts octroyés à la Grèce dans le cadre du plan de secours du printemps dernier, décision sera prise, comme prévu précédemment, début 2011.
Parmi les sujets qui étaient à la une de l’actualité du week-end, il était question d’une éventuelle augmentation de la capacité financière du mécanisme européen. Jean-Claude Trichet, président de la BCE, avait ainsi jugé, en réponse à une question sur la nécessité ou non d'augmenter le fonds, "très important d'être aussi efficace que possible, également quand il est question de quantité".
Les discussions sur cette question s’inscrivaient dans le cadre de la réflexion menée en vue de la mise en place d’un mécanisme permanent de gestion de crise, sujet qui sera à l’ordre du jour du Conseil européen de décembre. Ainsi le ministre belge des Finances, Didier Reynders, avait expliqué en marge d’une conférence sur la Banque mondiale qu’il faudrait allouer "un montant considérable" au futur mécanisme permanent "si nous ne voulons pas faire face toujours à une spéculation du genre `y a-t-il assez d'argent pour un, deux, ou trois pays?´". "Si l'on doublait les montants comme certains journaux l'ont évoqué", avait cependant précisé le ministre belge, "il faudrait que le FMI double sa mise aussi". Et d’ajouter que Dominique Strauss-Kahn était pour le renforcement de la dotation du futur mécanisme permanent de la zone euro. Quant au dispositif actuel, "nous verrons plus tard s'il est possible et utile" de l'augmenter aussi, avait ajouté le ministre belge.
Jean-Claude Juncker a donc fait le point sur cette idée à l’issue de la réunion de l’Eurogroupe, soulignant n'y avait "pas de nécessité d'agir immédiatement". "Nous avons attentivement écouté le directeur du Fonds de stabilité financière Klaus Regling, et il a juste indiqué que pour l'instant, il n'y a pas de nécessité d'augmenter le volume", a-t-il ajouté. Klaus Regling a lui-même souligné que les sommes nécessaires pour le programme d'aide à l'Irlande étaient "relativement faibles comparées à la capacité de prêt" de l’EFSF dont il assure la direction. "L’EFSF va utiliser pour l'Irlande beaucoup moins que 10 % de sa capacité totale de prêt. Il y a assez de ressources qui restent pour gérer d'autres cas pertinents si besoin", a-t-il encore argué.
Autre sujet sous les feux de l’actualité, la proposition émise par Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti dans une tribune parue dans le Financial Times au matin même de la réunion de l’Eurogroupe. Les deux ministres plaidaient pour la création d’une Agence européenne de la dette qui émettrait des emprunts obligataires européens.
Interrogé à l’issue de la réunion sur l’accueil réservé à cette initiative, Jean-Claude Juncker a indiqué que "ce n'était pas vraiment un point au programme" et que le sujet n'avait pas fait l’objet de négociations. Mais, a-t-il ajouté, cette idée qu’il a pris cependant la peine de présenter "n'est pas aussi stupide que ça en a l'air".
Jean-Claude Juncker a rappelé avoir échoué dans un premier temps à faire adopter une réforme prévoyant que les pays européens présentent les grandes lignes de leur programme budgétaire national dès le printemps à leurs collègues européens, avant le passage en revue par les Parlements nationaux. Une idée qui a finalement abouti à la mise en place du "semestre européen". "Le même sort est réservé aux euro-obligations", a-t-il prédit.
Son idée a dans tous les cas suscité pléthore de réactions sur la scène européenne. Elles vont d’une farouche opposition, exprimée notamment en Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas, à un franc soutien exprimé par les syndicats européens notamment ou par Geórgios Papandréou qui appelle à discuter sérieusement du sujet. C’est sans compter les positions plus nuancées formulées par l’Espagne et la Commission européenne qui notent leur intérêt pour la question tout en soulignant que cela reste de l’ordre d’une "possibilité à explorer".
La plus véhémente opposition à cette proposition est venue d’Autriche dont le ministre des Finances, Josef Pröll, a précisé à l’issue de la réunion de l’Eurogroupe, avoir une opinion "très, très critique" sur cette question. "Il n'est pas acceptable que des pays comme l'Autriche qui font preuve de discipline sur le plan économique se retrouvent à devoir payer une part supplémentaire à l'arrivée", a fait valoir Josef Pröll.
Les réactions allemandes se situent sur la même longueur d’onde. La chancelière allemande Angela Merkel a insisté sur le fait que, selon elle, les traités européens n’autorisent pas la création d’un titre tel que l’eurobond et que ce dernier entraînerait la disparition d’un élément crucial de la compétitivité économique de la zone euro. Sur ce dernier point la chancelière a précisé que les différences de taux d’intérêts qui existent entre les pays utilisant l’euro "sont une stimulation pour gagner en efficacité et respecter les critères du Pacte de stabilité".
Le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, s’était déjà exprimé au sujet de la proposition des Eurobonds avant la réunion de l’Eurogroupe dans une interview-vidéo accordée au Financial Times qui est citée dans l’édition du journal du 6 décembre 2010. Au cours de cet entretien, Wolfgang Schäuble a clairement indiqué son opposition au concept des eurobonds et ce pour trois raisons.
Le premier argument mis en avant est de nature juridique. Il considère que mettre en place des obligations européennes "nécessiterait des modifications fondamentales des traités européens". Les deux arguments suivants, de nature plus économique, renvoient d’un coté à l’inquiétude de l’Allemagne de voir les taux d’intérêts qu’elle aurait à payer augmenter largement au-delà du niveau actuel. L’autre volet de l’argumentaire du ministre des Finances allemand revient sur la nécessité de maintenir des possibilités de sanctionner dans le futur les Etats qui ne respectent pas la discipline budgétaire. Sur ce dernier point, Wolfgang Schäuble rajoute qu’in fine, le concept d’eurobonds constitue "une violation flagrante de l’esprit du Pacte de Stabilité européen".
A la sortie de la réunion de l’Eurogroupe, Wolfgang Schäuble dans un registre plus général, a souligné qu’il ne fallait selon lui pas "ouvrir une discussion" à la suite de chaque mesure adoptée au niveau européen et ce afin de donner une chance aux marchés "de réaliser ce que nous faisons".
Le leader du groupe parlementaire de la CDU au Bundestag, Volker Kauder, a pour sa part insisté sur le fait que les euro-obligations seraient "tout simplement anticonstitutionnelles". Volker Kauder, dont la position a été recueillie par le Bild am Sonntag dans son édition du 5 décembre 2010, a également insisté sur la nécessité de maintenir le principe de responsabilité individuelle des Etats. "Les Etats sont et doivent rester individuellement responsable pour l’état de leurs finances publiques", a-t-il martelé lors de son interview dans l’hebdomadaire allemand.
L'économiste en chef de BCE Jürgen Stark a rejeté pour le moins sèchement lui aussi l'idée des euro-obligations dans un entretien publié le 7 décembre 2010 dans la Süddeutsche Zeitung. "Chaque Etat doit être responsable de sa propre dette", a répondu sans autre forme d’argument l’économiste invité à donner son point de vue sur l’idée d’emprunts obligataires communs aux pays de la zone euro.
Enfin, le ministre néerlandais des Finances, Jan Kees de Jager, a indiqué son opposition au concept des emprunts obligataires européens dans un entretien accordé le 6 décembre 2010 au journal allemand Wirtschaftswoche. Au cours de cet entretien, le ministre néerlandais a indiqué ne pas vouloir la mise en place des eurobonds car "les marchés ne pourraient plus sanctionner les mauvaises politiques économiques". En outre, il souligne que les marchés financiers doivent continuer à pouvoir déterminer individuellement le niveau de risques posé par la situation financière de chaque pays. Poussé par le journaliste sur le soutien affiché du président de l’Eurogroupe à cette idée, Jan Kees de Jager a rétorqué que Jean-Claude Juncker savait "parfaitement que si l’Allemagne et les Pays-Bas ne participent pas, alors ce titre ne sera plus intéressant pour les marchés". "Personne n’achètera un Eurobond des pays faibles", a conclu le ministre néerlandais.
L’Espagne a pour sa part adopté une posture moins tranchante sur ce sujet. Sa ministre des Finances, Elena Salgado a ainsi déclaré à la sortie de la réunion de l’Eurogroupe que l’idée défendue par Jean-Claude Juncker constituait une "possibilité à explorer, mais pas dans l'immédiat".
Le commissaire européen aux affaires économiques, Olli Rehn, est également plus nuancé dans ses propos. Tout en se déclarant sceptique face à la possibilité de concrétiser l’idée dans un avenir proche, il a indiqué que pour lui l’idée était "intellectuellement intéressante".
À son arrivée à la réunion des ministres des Finances de la zone euro à Bruxelles, Olli Rehn a tenu à rappeler que " la Commission avait [déjà] fait en mai [2010] une proposition d'instrument communautaire pour un mécanisme européen de stabilité financière fondé sur des garanties de prêts des Etats membres". Toutefois cette solution "avait été rejetée au profit d'un mécanisme intergouvernemental entre pays de la zone euro" par les pays de l'UE, a-t-il ajouté enfin.
Une deuxième réaction sur le sujet est venue du président de la Commission, José Manuel Barroso qui s’est montré encore plus circonspect dans sa prise de parole en déclarant simplement qu’avant de la commenter, il devait "avoir davantage de certitudes sur la faisabilité politique de cette idée, qui est certainement une idée intéressante".
La proposition du Premier ministre luxembourgeois n’a toutefois pas que des détracteurs au sein de l’élite européenne. Ainsi le Premier Ministre grec, Geórgios Papandréou, a apporté son soutien à l’initiative de Jean-Claude Juncker avant la réunion de l’Eurogroupe. "Je pense que nous devons discuter sérieusement de cette idée, cela pourrait être un élément important pour une gouvernance économique plus étendue et plus solide", a-t-il déclaré.
Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier allemand, s’est joint au camp des voix en faveur du concept des eurobonds. Dans une tribune publiée le 4 décembre 2010 dans le journal belge L’Echo, Joschka Fischer exprime implicitement être favorable au concept en question. Dans le contexte plus général de son appel aux Européens à renforcer leur réactivité à la crise, il plaide pour le développement et le renforcement de "l’intégration politique d’une union économique qui fonctionne", et ce notamment "par des nouveaux mécanismes de transfert [dont entre autres] des obligations européennes comme instrument de transfert".
De son côté, la Confédération européenne des syndicats (CES), a adressé le 6 décembre 2010 une lettre aux ministres des Finances de l’UE afin de les inviter à entamer un débat sérieux sur la conversion de la dette nationale en dette européenne.
Pour faire avancer le débat, la CES a remis aux ministres une note présentant une proposition de politique possible selon laquelle 60 % de la dette nationale seraient soustraits à l’emprise des spéculateurs, tout en finançant une reprise solide soutenue par des investissements européens. Cette proposition politique a été formulée par le comité exécutif du syndicat lors de sa réunion des 1er et 2 décembre 2010. Mais dans sa lettre, John Monks, le secrétaire général de la CES, souligne que ce papier est en ligne avec les arguments de la proposition visant à créer des euro-obligations formulée par Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti.