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Audiovisuel et médias - Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination
L’ADR dénonce avec véhémence un projet de modification d’une loi transposant une directive qui pourrait porter atteinte, selon ses représentants, à la liberté de la presse au Luxembourg
21-01-2011


Le 21 janvier 2011, les députés de la sensibilité politique ADR à la Chambre ont convoqué d’urgence une conférence de presse afin de mettre en garde l’opinion et les médias luxembourgeois sur les risques que fait courir selon eux pour la liberté de la presse le projet de loi 6127  portant modification de la loi du 21 décembre 2007 qui visait elle à transposer la directive 2004/113/CE mettant en œuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services. Gast Giberyen, Fernand Kartheiser et Robert Mehlen

Ce projet de loi déposé en avril 2010 par la ministre de l’Egalité des Chances Françoise Hetto-Gasch est en effet passé à la Chambre par la commission de la Famille, de la Jeunesse et de l'Egalité des chances le 20 janvier 2011.

Seuls les députés de l’ADR ont manifesté leur opposition à un projet de loi qui consiste à abroger le premier tiret d’un paragraphe de la loi du 21 décembre 2007. Une modification jugée assez minime pour que le dossier soit discuté selon le modèle de base qui laissait par conséquent aux deux députés ADR membres de cette commission, Fernand Kartheiser et Jean Colombera, un temps de parole total de deux minutes. Un temps que les deux députés ont jugé bien trop court pour pouvoir mettre en garde contre un projet de loi qui représente selon eux une menace pour la liberté de la presse au Luxembourg.

Le projet de loi avait en effet été inscrit à l’ordre du jour de la Chambre pour la semaine suivante, et il a semblé nécessaire à l’ADR de convoquer la presse pour lancer son alerte. Entre temps cependant, le projet a été retiré de l’ordre du jour de la prochaine séance publique. Ce qui devrait laisser de la place au débat dans les jours à venir.

Fernand Kartheiser est revenu sur les différentes étapes qui ont conduit à cette situation qu’il juge "inacceptable".

Une directive excluant explicitement les médias de son champ d’application, et une loi la transposant faisant de même

Le 13 décembre 2004 était adoptée la directive 2004/113/CE mettant en œuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services. Il y est explicitement précisé que cette directive "ne s’applique ni au contenu des médias et de la publicité ni à l’éducation".

"Lors des travaux d’élaboration de la directive, ces domaines ont été spécifiquement exclus au motif d’un désaccord total entre parties et acteurs concernés ; une réglementation des médias ayant été considérée comme interférence avec la liberté fondamentale et la pluralité des médias, l’éducation étant déjà légiférée par d’autres dispositions européennes et nationales existantes", expliquent ainsi les auteurs du projet de loi 6127.

Cette directive a été transposée par la loi du 21 décembre 2007. En décembre 2007, les députés de la commission de la Famille, de la Jeunesse et de l'Egalité des chances s’étaient prononcés, tous partis confondus à l’exception des Verts, pour exclure les médias du champ d’application de la loi transposant cette directive.

La ministre Marie-Josée Jacobs, rapporte Fernand Kartheiser, avait alors expliqué que le gouvernement entendait s’en tenir à la directive qui exclut expressément les médias de son champ d’application. Ainsi, l’article 3, § 4 stipule-t-il notamment que la loi "ne s’applique pas au contenu des médias et de la publicité, ni à l’éducation".

Le projet de loi 6127 revient sur ce principe

Or, c’est précisément ce passage qu’entend modifier la ministre Françoise Hetto-Gasch par son projet de loi.

La conséquence en est clairement indiquée dans le projet de loi : "les domaines relatifs au contenu des médias et de la publicité, ainsi que celui de l’éducation en tant que bien et/ou service auquel le public peut accéder ou prétendre, sans y subir de discriminations fondées sur le sexe, ne sont plus spécifiquement exclus du champ d’application matériel de la loi".

C’est l’ensemble des domaines de la publicité et des médias qui sont visés, c’est-à-dire, comme le précise le projet de loi, "tous les médias et multimédias comprenant les médias proprement dits, comme la presse, la télévision, l’affichage, la radio, l’internet et le cinéma et les hors médias tels le sponsoring, les salons et foires, les relations publiques, le marketing direct (entre autres le publipostage, l’e-mail, le mécénat …)".

Dans leurs motifs, les auteurs de la loi expliquent que tout au long de la mise en œuvre de la législation nationale existante en matière de protection des femmes et des hommes contre les discriminations, plusieurs constats on été faits :

  • "le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes bénéficie, en ce qui concerne l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services, d’une protection moindre que le principe d’égalité entre personnes pour d’autres motifs. (…)
  • les citoyens ne sont pas protégés contre les discriminations fondées sur le sexe dans les domaines des médias et de la publicité, alors qu’elles y sont particulièrement présentes, ni au titre d’un principe général d’interdiction de discriminer sur base du sexe dans le domaine de l’éducation, même si certains textes de loi y garantissent en partie l’égalité de traitement, d’accès et de fourniture;
  • la non-cohérence et la non-équivalence des normes de droits, non seulement entre la législation concernée en vigueur et d’autres législations similaires, mais également avec le principe constitutionnel."

Et les auteurs de la loi de poursuivre en soulignant que "la discrimination fondée sur le sexe existe autant dans les domaines de l’éducation, des médias et de la publicité, que dans d’autres domaines de la vie courante et de la vie professionnelle". Ainsi, arguent-ils, "les images stéréotypées et sexistes sont largement diffusées par le message publicitaire et d’autres supports à travers les multimédias qui exercent un réel pouvoir d’influence sur l’opinion publique".

Les législateurs avancent alors que "la communication et l’information, par quelque moyen que ce soit, se doivent d’être impartiales, objectives et respectueuses des droits d’autrui et de garantir l’absence de toute discrimination à l’égard des personnes concernées pour quelque motif que ce soit, y compris le sexe".

Les arguments des auteurs du projet de loi luxembourgeois sonnent aux oreilles de Fernand Kartheiser comme ceux qu’a livrés la Hongrie pour justifier son projet de loi controversé sur les médias

Pour Fernand Kartheiser, ce dernier argument est problématique et ressemble fort à celui avancé par la Hongrie Fernand Kartheiserpour défendre sa récente loi sur les médias que l’ADR a d’ailleurs été le premier parti à critiquer le 22 décembre dernier et sur laquelle la Chambre est appelée à voter une motion dans la semaine à venir. "Il y a toujours de bonnes raisons pour limiter la liberté des médias", reconnaît Fernand Kartheiser qui pense cependant que cette loi offrirait à l’Etat un moyen de contrôler les médias au Luxembourg.

La loi en question serait qui plus est en contradiction avec la directive qu’elle est censée transposer.

Pour les médias, les conséquences seraient multiples selon l’analyse de Fernand Kartheiser. Les médias seraient en effet susceptibles d’être attaqués en justice de façon récurrente via des plaintes pour discrimination. Or, selon Fernand Kartheiser, la double définition de ce qu’est une discrimination est de nature politique et non juridique. Il craint donc que les médias ne soient victimes d’une certaine insécurité juridique, et ce d’autant plus que la loi du 21 décembre 2007 introduisait le principe du renversement de la charge de la preuve dans le droit luxembourgeois. Ce principe introduit par la notion de "partage de la charge" revient à devoir prouver son innocence pour l’accusé et il n’était présent jusque là dans le droit luxembourgeois que dans le droit du travail. Le risque de se retrouver incriminés dans de nombreux procès, qui ont aussi leur coût, revient aux yeux de Fernand Kartheiser qui s’est posé en fervent défenseur de la liberté de la presse à exercer une forme de censure sur les médias en les poussant notamment à l’autocensure.

La question de l’infraction aux règles du marché intérieur a aussi été soulevée par le député ADR qui a insisté, brandissant un argument plus économique, sur le pilier que représentent les médias pour l’économie luxembourgeoise.

Fernand Kartheiser, qui s’est demandé si les partis réfléchissaient aux conséquences de leurs actes, en est arrivé à juger que la "qualité de la politique laissait à désirer". Il a annoncé que l’ADR envisageait d’envoyer dès que possible des courriers dénonçant cette entrave à la liberté de la presse à différentes instances nationales et européennes, comme le Conseil de l’Europe, l’OSCE, mais aussi les ambassadeurs présents au Luxembourg ou encore le Conseil de presse.