Le 1er janvier 2011, la Hongrie a pris le relais de la Belgique pour assurer la présidence tournante du Conseil de l’UE. Ce pays, qui a rejoint l’UE en 2004, est depuis quelques mois sous le feu des critiques, et ce pour deux raisons : pour sa nouvelle loi sur les médias votée le 20 décembre 2010 et pour une loi fiscale qui impose des taxes exceptionnelles aux investisseurs étrangers.
La nouvelle législation pour les médias qui a été adoptée le 20 décembre 2010 par le Parlement hongrois avec 256 voix pour et 87 contre et qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2011 donne au parti au pouvoir en Hongrie, le FIDESZ, affilié en Europe au PPE, et qui dispose de plus de deux tiers des sièges, un pouvoir de contrôle sur la presse audiovisuelle, écrite et sur Internet, publique ou ou privée, qui a été qualifié de "menace pour la liberté de la presse" par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
En juillet 2010 déjà, la télévision nationale, la radio nationale, la télévision par satellite et l'agence de presse nationale ont été regroupées au sein d’une même entité chapeautée par un patron, qui est en l’occurrence une proche du Premier ministre, Annamária Szalai, nommée directement pour une période de neuf ans.
Un Conseil des médias joue le rôle d’autorité de régulation du secteur. Ses cinq membres, qui appartiennent tous au FIDESZ, sont, eux aussi, nommés pour neuf ans. Ses décisions s'imposent à tous les médias, même privés. La loi permet à ce Conseil des médias d'imposer de lourdes amendes - 200 millions de forints (700 000 euros) pour les télévisions, 25 millions (89 000 euros) dans le cas des journaux ou des publications en ligne, 10 millions de forints (36 000 euros) pour les hebdomadaires, jusqu’à 2 millions de forints (7 250 euros), ce qui correspond à environ une année et demi de salaire moyen net en Hongrie pour les particuliers - aux médias qui ne respecteraient pas ses avis en mettant sur le marché des productions qui "ne sont pas équilibrées politiquement" ou qui "entravent la dignité humaine.
Le recours judiciaire est limité. Il ne pourra se faire qu'après correction de l'information ou après avoir payé cette amende. Ce qui signifiera pour la plupart des médias en Hongrie, selon certains analystes, la liquidation pure et simple. Il peut être fait appel de ces amendes par un long examen judiciaire qui peut prendre des années et menace de rapidement conduire les médias à la faillite. Le Conseil des médias peut également interdire les subsides publics pour les médias reconnus coupables. Les organismes de radiodiffusion peuvent être suspendus pour une durée de 30 jours dans le cas où ils violeraient la nouvelle loi.
Les journalistes sont également obligés de divulguer leurs sources. En effet, la nouvelle autorité pourra, si elle le veut, inspecter tous les documents d'un organe médiatique sans même qu'il y ait un délit identifié. De même, les journalistes seront obligés de divulguer leurs sources s'il en va de la "sécurité nationale" ou de la "protection de l’ordre public".
Un amendement constitutionnel permet également au Conseil des médias de publier des décrets (législations de deuxième niveau) concernant les médias, dont des "frais de supervision" pour les sociétés médiatiques privées.
Les autorités hongroises insistent de leur côté sur le fait que le texte est conforme aux normes européennes.
Dès le premier jour de son application, la loi sur les médias a été mise en œuvre contre une radio privée, Tilos Radio, pour avoir diffusée la chanson "It’s on" du rappeur Ice-T, qui date de 1993 et qui constituerait un danger pour la jeunesse.
Le 3 janvier, quand les premiers journaux de 2011 ont paru, deux journaux hongrois et un journal allemand ont protesté en première page contre la nouvelle loi. A la "Une" du plus important quotidien hongrois, Nepszabadsag (centre-gauche), une seule phrase en hongrois : "La liberté de la presse n'existe plus en Hongrie", suivie par la même phrase répétée dans toutes les langues officielles de l'Union européenne, dont la Hongrie assume depuis le 1er janvier la présidence tournante. Nepszabadsag, dans son éditorial, écrit que "la loi sur les médias ne sert qu'aux fins autoritaires du gouvernement du Fidesz et elle permet d'apprivoiser, de sanctionner et en fin de compte de ruiner ceux qui sont d'une opinion contraire". A Berlin, le journal de gauche Die Tageszeitung a titré avec la même première page, reprenant la même typographie.
Le Nepszava (gauche) exige à sa "Une" la liberté de la presse en hongrois et en anglais, en ajoutant "qu'il faut défendre nos droits". "Nous espérons que l'Europe se rend compte des mesures anti-démocratiques et prendra ses propres décisions prudentes et diplomatiques même si la grande majorité du peuple hongrois ne se rend compte de rien".
Le 22 décembre 2010 déjà, le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères luxembourgeois, Jean Asselborn, avait appelé la Commission européenne à prendre position contre la loi sur les médias hongroise. A l’agence de presse allemande dpa, il avait déclaré : "Cette loi est pour l’UE quelque chose qui touche à ses bases. Il y va de l’intérêt fondamental de l’UE, la défense des droits de l’homme." Il avait loué les déclarations de la chancelière allemande sur le même sujet. Pour Jean Asselborn, "on est dans une autre sorte de régime politique, quand un gouvernement prétend définir tout seul l’intérêt général et instaure à cet effet une instance de contrôle".
Dans la mesure où l’UE insiste toujours sur la liberté de presse comme un des premiers piliers des droits fondamentaux dans ses relations avec des Etats tiers, il sera difficile selon Jean Asselborn d’argumenter en tant qu’UE face à des pays comme la Russie. D’où pour lui la nécessité de dire "halte là !" à l’Etat membre de l’UE qui enfreint les droits de l’homme, sans que cela puisse être considéré comme une immixtion dans ses affaires intérieures.
Des propos que le Premier ministre hongrois Viktor Orbán s’est empressé de commenter en affirmant que les déclarations de Jean Asselborn ne traduisaient assurément pas la position du gouvernement luxembourgeois.
Le Conseil de presse luxembourgeois a été le 23 décembre 2010 parmi les premiers à protester contre la loi hongroise qu’il considère comme "une attaque de front contre la liberté de presse". Il juge que la Hongrie, "qui doit reprendre le 1er janvier 2011 le flambeau de la présidence tournante du Conseil de l’UE, viole avec sa loi condamnable sur le contrôle des médias la lettre et l’esprit des traités européens, dont la liberté de presse et d’opinion est un des piliers." Il appelle les politiques luxembourgeois et toutes les forces démocratiques du pays de s’engager au niveau de leurs compétences en faveur du maintien d’une presse indépendante en Hongrie.
La presse luxembourgeoise a, elle aussi, réagi tout au long des derniers jours de 2010 et au début de l’année 2011. Marcel Kieffer, du Wort, a publié le 3 janvier 2011 un éditorial significatif sous le titre "Mauvais augure".
Pour lui, rien n’aura pu autant nuire à l’image de l’UE que le fait qu’un pays qui s’est doté tout récemment d’une loi liberticide sur les médias comme la Hongrie en prend la présidence pour six mois. "Le fait que l’on a marqué dans les capitales européennes une certaine retenue par rapport à la scandaleuse loi hongroise trahit plus une gêne pénible qu’une approbation tacite", pense Marcel Kieffer, qui est par ailleurs convaincu que les paroles franches de Jean Asselborn ont été bien reçues dans de nombreuses chancelleries européennes. D’où son souhait qu’une déclaration luxembourgeoise réplique aux déclarations de Viktor Orbán qui remettait en cause le fait que Jean Asselborn parle au nom du gouvernement de son pays.
Pour l’instant, l’impression prévaut que la Commission européenne garde le silence. Sur Radio France Internationale (RFI), il a été noté que "curieusement, la Commission européenne (…) fait preuve d’une retenue que la trêve des confiseurs ne suffit pas à expliquer. Cecilia Malmström, commissaire européen aux Affaires intérieures, estime que cela relève plutôt de sa collègue Viviane Reding, chargée de la citoyenneté." RFI a également diffusé une information selon laquelle Viviane Reding "soutient que c’est à leur collègue responsable des technologies numériques, Neelie Kroes de s’en préoccuper." D’après une déclaration de porte-parole du 3 janvier 2011, la Commission européenne aurait néanmoins des "doutes" sur la nouvelle loi hongroise sur les médias, notamment sur l'indépendance de l'autorité de supervision du secteur qu'elle met en place, et attend désormais des explications de Budapest.
Selon l’AFP, la commissaire européenne en charge de l'économie numérique, Neelie Kroes, a écrit "peu avant Noël" aux autorités hongroises pour leur exprimer ses "inquiétudes". Neelie Kroes aurait notamment "des doutes sur la capacité de la nouvelle autorité des médias d'agir de manière indépendante, notamment du fait de sa composition, ainsi que des "doutes sur la bonne transposition de tous les aspects de la directive" européenne sur les télécommunications censée être transposée en droit hongrois.
Une première réponse des autorités hongroises affirmerait que la nouvelle loi n'est pas en contradiction avec le droit communautaire et promet des explications plus détaillées prochainement. Les autorités hongroises assurent qu’elles ne manqueront pas de lui faire parvenir un exemplaire de la loi, une fois qu’une traduction en serait faite.
RFI a commenté apr ailleurs que "Mme Kroes n’a pas fait valoir qu’elle avait à sa disposition des services linguistiques qui auraient pu rapidement s’en charger et de toute façon ses compétences ne s’étendent pas au-delà des médias audiovisuels".
Reste que la Commission voudrait que Budapest réponde à ses demandes de clarifications "dans les prochains jours" et compte "aborder la question avec les autorités hongroises lors de la réunion prévue à Budapest", le 7 janvier 2011, comme l’a précisé le porte-parole de la Commission Olivier Bailly. "A ce stade, la lettre de Mme Kroes n'est pas une mise en demeure et ne constitue pas l'ouverture formelle d'une procédure d'infraction", a-t-il indiqué.
Quel droit pourrait avoir été enfreint par la Hongrie ? Par quel biais l’UE est-elle habilitée à se mêler de l’affaire ?
Un premier constat: Les droits fondamentaux sont ancrés dans le traité de Lisbonne. Mais comment dans ce cas-ci?
L’article 2 (TUE) dit : "L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes."
Ensuite, l’article 6 (1) TUE précise le statut de la Charte en disant que "l'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités."
La Charte contient un article 11 sur la liberté d'expression et d'information qui dit :
"1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières. 2. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés."
Mais les dispositions générales régissant l’interprétation et l’application de la Charte des droits fondamentaux qui définissent le champ d'application de la Charte disent que celle-ci s’adresse "aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité", et "aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union". Or, une loi sur les médias en Hongrie ne relève pas directement de la mise en œuvre du droit de l’Union, sauf qu'elle doit respecter l'esprit du traité et les normes fixées dans le domaine des médias par la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA).
Mais il y a un autre article, l’art. 6 (3) TUE, qui dit que "les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH) et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux."
A la différence de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, la CEDH est directement applicable au droit national de tous les Etats membres de l’UE, car une adhésion notamment des nouveaux Etats membres à la CEDH était une des pré-conditions de leur adhésion à l’UE.
La Hongrie, qui a été le premier des pays de l’ancien bloc soviétique à adhérer dès octobre 1990 au Conseil de l’Europe et à la CEDH en novembre 1990 peut être scrutée, y compris par l’UE, selon l’article 10 de cette CEDH sur la liberté d'expression. Cet article dit :
"1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire."
La Hongrie ne fait pas seulement l’objet de critiques à cause de sa politique par rapport à la liberté de presse. Treize grands groupes industriels allemands, autrichiens, néerlandais, français et tchèque ont appelé la Commission européenne à prendre des sanctions contre la Hongrie accusée de mesures anti-compétitives, selon l'édition internet du 3 janvier 2011 du journal allemand Die Welt .
Dans une lettre de cinq pages adressée le 15 décembre 2010 au président de la Commission européenne José Manuel Barroso, les patrons de ces groupes industriels accusent la Hongrie, qui vient de prendre pour six mois la tête de l'Union européenne, d'imposer des taxes exceptionnelles et limitées à 2011 à leur encontre. Parmi ces entreprises figurent les groupes énergétiques allemands RWE et E.on, le tchèque CEZ, l'autrichien OMV, ainsi que les groupes financiers néerlandais ING et Aegon, l'assureur français AXA et le géant allemand Deutsche Telekom.
La lettre, selon Die Welt, appelle la Commission européenne à faire pression sur le gouvernement hongrois pour qu'il abandonne sa décision d'imposer "des boulets financiers injustes". Selon les signataires de la lettre, cette taxe exceptionnelle visant les grandes entreprises des télécommunications, de l’énergie, des services financiers et du commerce au détail, mais qui exempte explicitement des firmes hongroises, va rapporter au moins 1,3 milliard d'euros au gouvernement hongrois.
Le ministre allemand de l'Economie Rainer Brüderle a déclaré à la Süddeutsche Zeitung que "les taxes qui touchent en priorité des entreprises étrangères sont problématiques sur le fond pour le marché intérieur européen". S’'il s'avère après enquête que Budapest enfreint les règles européennes, alors "une procédure formelle" sera ouverte comme de juste, a fait savoir une porte-parole de la Commission européenne. Il a précisé qu'"il existe dans la législation communautaire des principes d'égalité au regard de la fiscalité précisément, et selon lesquels il n'est pas possible de taxer les opérateurs d'un secteur plus que les autres."