En raison de l’impact du "changement d’affectation des sols indirect", la façon dont les Etats membres comptent atteindre l’objectif d’intégrer 10 % d’énergies renouvelables dans le secteur des transports en ayant presque exclusivement recours aux agrocarburants aura pour conséquence que des quantités importantes de gaz à effet de serre seront libérées dans l’atmosphère et qu’une surface de 69 000 km2 devra être convertie en terres agricoles et plantations, ce qui correspond à 27 fois la surface du Luxembourg.
Ce sont les principales conclusions d'une étude de l'Institut de politique environnementale européenne (IEEP) présentée à la presse luxembourgeoise et aux représentants des ministères, des administrations, du secteur agricole, de l'industrie et des instituts de recherche le 17 janvier 2011.
L’étude analyse l’impact potentiel que la consommation d’agrocarburants en Europe d’ici 2020 aurait en termes de conversion de terres et d’émissions de gaz à effet de serre, un effet connu sous l’appellation "changement d’affectation du sol indirect" (CASI).
Cette étude est la première à prendre en compte les objectifs annoncés en matière d’agrocarburants qui ont été publiés dans les plans d’actions nationaux sur les énergies renouvelables de 23 Etats membres de l’UE. Elle est de ce fait présentée comme l’étude la plus complète à ce jour permettant de quantifier les effets du CASI vu que les études précédentes n’étaient pas fondées sur des projections calculées par les plans nationaux européens et excluaient dans la plupart des cas les impacts du CASI.
Selon la directive européenne sur les énergies renouvelables, les Etats membres doivent couvrir d’ici 2020 10 % de la consommation d’énergie dans le secteur des transports par des énergies renouvelables.
Pour y parvenir, la stratégie des différents Etats membres décrite dans les plans d’action nationaux prévoit un recours presque exclusif aux agrocarburants. En 2020, les agrocarburants représenteront 9,5 % de l’énergie totale consommée dans le secteur des transports. Plus de 92 % de ces agrocarburants seront produits à base des plantes alimentaires (comme les graines oléagineuses, l’huile de palme, l’huile de soja, la canne à sucre, la betterave sucrière ou encore le blé).
Les changements d’affectation des sols indirects sont provoqués par exemple quand - à cause de la production de matières premières pour les agrocarburants - la production d’alimentation doit s’établir sur de nouveaux terrains au détriment des forêts vierges ou d’autres écosystèmes importants pour la biodiversité.
D’après les conclusions de l’étude, pour atteindre les objectifs européens, il faudra recourir à une expansion des terres agricoles et plantations cultivées de manière intensive d‘une surface équivalente à 27 fois la taille du Luxembourg.
L’analyse de l'IEEP conclut que les effets CASI pourraient être responsables de l’émission de près de 56 millions de tonnes de CO2 supplémentaires, soit l’équivalent de ce qu’émettraient 26 millions de voitures supplémentaires sur les routes européennes d’ici 2020. Les auteurs notent que cet effet n’a jamais été considéré dans les bilans carbone des agrocarburants. En prenant le CASI en compte, les agrocarburants émettraient jusqu’à 167 % de gaz à effet de serre en plus par rapport aux combustibles fossiles qu’ils sont censés remplacer.
En outre, avancent les auteurs de l’étude, l’augmentation de la culture des plantes à vocation énergétique risque d’entrer en concurrence avec les aliments et de provoquer une augmentation sensible de leur prix. Or, la mise en péril de la sécurité alimentaire touche surtout les populations les plus pauvres et accroît le risque des "révoltes de la faim" dans beaucoup de pays.
Les auteurs de l’étude concluent par conséquent que les agrocarburants ne contribuent pas à la protection du climat mais déplacent le problème dans les pays émergents et les pays en développement et menacent ces populations locales, la production alimentaire et les écosystèmes naturels comme les forêts vierges. De plus, ils n’apportent selon les auteurs aucune solution pour réduire notre dépendance sur les importations énergétiques.
Pour Bettina Kretschmer qui a présenté l’étude à Luxembourg, les agrocarburants détournent notre attention des mesures efficaces pour réellement protéger le climat qui devraient être prises dans le secteur des transports comme le développement de nouveaux concepts de mobilité durable fondés sur un renforcement du transport public, l‘amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules, la construction de véhicules plus légers et l’adoption des règlementations plus strictes imposant la réduction de la consommation de la flotte routière, etc.
"Si les États membres ne corrigent pas leurs objectifs en ce qui concerne les agrocarburants, des graves impacts sur le climat, les écosystèmes et la sécurité alimentaire sont à craindre au niveau mondial", préviennent les auteurs de l’étude.
Et le problème des agrocarburants est un sujet particulièrement d‘actualité pour le Luxembourg. En effet, le Luxembourg s'est engagé à couvrir, d’ici 2020, 11 % de sa consommation d'énergie par des énergies renouvelables. Suivant le plan d’action national en matière d’énergies renouvelables adopté par le gouvernement pendant l'été 2010, environ 50 % de cet objectif serait atteint par le mélange d’agrocarburants dans le diesel et l'essence.
Cet objectif que les auteurs de l’étude jugent "hautement discutable" est la résultante de la part énorme du secteur transport dans la consommation énergétique nationale, dû au phénomène du "tourisme à la pompe". Jusqu’à présent, notent-ils, le Luxembourg ne s’est pas prononcé sur la question de l’intégration du changement d'affectation des sols indirect dans les critères de durabilité des agrocarburants.
La Commission européenne a récemment annoncé qu’elle va décider d’ici mi-2011 des mesures qu’elle compte mettre en œuvre pour minimiser les impacts du CASI induits par la consommation européenne des agrocarburants. Or, à ce stade, relèvent les auteurs de l’étude, l’ampleur des mesures qui pourraient être décidées par la Commission européenne de renforcer ou non les critères de durabilité des agrocarburants par la prise en compte du CASI est loin d’être tranchée.
Action Solidarité Tiers Monde (ASTM), bioLABEL, Caritas Luxembourg, Commission Justice et Paix, Demeter Bond Lëtzebuerg, Greenpeace, Mouvement Ecologique et natur&ëmwelt appellent les responsables politiques luxembourgeois à développer des alternatives pour les agrocarburants et à s’engager au niveau européen pour que des critères de durabilité stricts soient décidés afin d’empêcher des conséquences néfastes pour la protection du climat, la biodiversité, la sécurité alimentaire et les droits de l’homme dans les pays en développement et émergents.
Dans ce contexte, les organisations considèrent comme indispensable d’intégrer les impacts du CASI dans les bilans carbone des agrocarburants.
Les organisations demandent qu’en attendant qu‘une décision définitive soit prise au niveau européen sur la comptabilisation globale et cohérente du potentiel de réduction réel des agrocarburants, le Luxembourg gèle ses objectifs d'expansion de la proportion des agrocarburants dans le diesel et l'essence.