Le 8 décembre 2011, l’eurodéputé luxembourgeois Georges Bach s’associait à cinq de ses confrères du groupe parlementaire PPE, Christine De Veyrac, Philippe Juvin, Dominique Riquet, Corien Wortmann-Kool et Andreas Schwab, pour adresser à la Commission européenne une question écrite qui avait pour objet la "politique de concurrence et son impact sur la compétitivité des entreprises européennes".
"Le respect des règles fixées par la politique de concurrence de l'UE reste un impératif", déclaraient les parlementaires dans leur question. "Néanmoins", observaient-ils, "en condamnant à près de 800 millions d'euros certaines des compagnies aériennes pour entente sur le montant des surtaxes carburant et sécurité imposées sur le transport du fret, la Commission a clairement privilégié le respect des règles de concurrence au détriment du maintien des emplois et de la compétitivité de ces entreprises".
Les députés faisaient référence à l’amende record infligée par la Commission européenne à onze transporteurs de fret aérien, parmi lesquels Cargolux, pour entente illégale.
"À l'heure où la Commission publie une nouvelle stratégie sur la politique industrielle, pour stimuler la croissance et la création d'emploi, la condamnation de plusieurs compagnies aériennes à des amendes astronomiques, calculées selon des règles peu transparentes et touchant de manière très inégale les entreprises impliquées, amène à questionner la cohérence de la politique menée par la Commission", estimaient les parlementaires.
Les six eurodéputés demandaient donc à la Commission de "clarifier le mode de calcul de ces amendes et les raisons pour lesquelles les entreprises européennes semblent être plus lourdement sanctionnées que d'autres entreprises non-européennes, ayant pourtant été condamnées pour les mêmes raisons dans leur pays d'origine". Ils attendaient aussi des explications concernant "les différences considérables entre le montant des amendes infligées dans le cadre de la politique de concurrence, et celui des amendes infligées pour d'autres motifs, tels que des pollutions environnementales".
"Comment la Commission compte-t-elle concilier les objectifs de sa nouvelle politique industrielle avec une politique de la concurrence qui pénalise lourdement les entreprises européennes, alors que les autres puissances économiques mondiales, elles, réduisent les sanctions prises contre leurs entreprises nationales ?", s’enquéraient encore les parlementaires européens avant de demander enfin si la Commission ne considérait pas "nécessaire d'effectuer une évaluation de l'impact de sa politique de sanctions financières en matière de concurrence en termes d'efficacité et de conséquences économiques et sociales".
C’est Joaquin Almunia, commissaire en charge de la Concurrence, qui a répondu au nom de la Commission en date du 31 janvier 2011.
Comme il le rappelle, "l’application des règles de concurrence revêt un caractère essentiel, et a fortiori pendant une période de crise économique, lorsque les entreprises se retrouvent confrontées à l’incertitude".
Le commissaire explique ensuite que le règlement n° 1/2003 confère à la Commission le pouvoir d’infliger des amendes dans le cadre de la politique de concurrence et dispose que leur montant doit être fixé en fonction de la gravité et de la durée des infractions. La méthodologie de calcul des amendes est expliquée en détail dans les lignes directrices de 2006. Toutes les amendes infligées font l’objet d’un réexamen complet par les juridictions de l'UE, qui statuent avec compétence de pleine juridiction sur leur suppression ou leur modification. La Commission a l’obligation légale d’appliquer sa méthode de détermination des amendes de façon objective et non discriminatoire. Par conséquent, en matière d’amendes, la Commission applique sa politique à toutes les entreprises ayant enfreint les règles de concurrence, indépendamment de leur nationalité ou de leur territoire d’origine.
Le niveau de l’amende infligée à une entreprise particulière est influencé par quelques grands paramètres : la gravité de l’infraction, le volume des ventes effectuées par l'entreprise en cause dans l'EEE, pour le marché sur lequel elle a participé à l’entente illégale, et la durée de cette participation. En principe, toute entreprise effectuant, sur le marché concerné, des ventes plus importantes que ses concurrentes au sein de la même entente, et/ou participant à l’entente pendant une période plus longue que ces dernières se verra infliger une amende supérieure à la leur. Les entreprises générant d’importants volumes de ventes dans l’EEE seront donc condamnées à des amendes plus élevées que celles qui y réalisent de faibles volumes de ventes. Cela se justifie par le fait que le préjudice causé par les premières à l’économie et aux consommateurs de l’EEE est également d’une plus grande gravité.
En ce qui concerne la détermination du montant des amendes dans le cas évoqué, poursuit Joaquin Almunia, pour chacune des entreprises, la Commission a pris en compte l'extrême gravité de l’infraction (qui s’étendait à l’ensemble de l’EEE), le volume des ventes réalisées dans l’EEE par l’entreprise considérée sur le marché des services de fret aérien, et la durée de sa participation à l’entente. Il convient de rappeler que les grandes compagnies aériennes impliquées ont coordonné leurs prix au détriment des entreprises et consommateurs européens, affectant ainsi la compétitivité de nombreuses autres entreprises qui dépendaient de ces services et payaient pour les utiliser.
Le commissaire souligne qu’une réduction de 50 % sur les ventes entre l'EEE et les pays tiers a été accordée à tous les transporteurs pour tenir compte du fait que sur les liaisons concernées, une partie du préjudice causé par l'entente concernait des pays situés en dehors de l’EEE. Tous les transporteurs ont bénéficié d'une réduction de 15 % au motif qu’il peut être considéré que dans certains pays n’appartenant pas à l’EEE, le cadre réglementaire applicable au secteur incite à la coordination des prix.
Le fait que les amendes infligées pour des infractions commises dans d’autres domaines – celui de l'environnement, par exemple – soient parfois moins élevées que celles sanctionnant les infractions aux règles de concurrence ne remet pas en question la nécessité de s’assurer du caractère suffisamment dissuasif des amendes, étant donné la gravité des dommages réels et/ou potentiels causés tous les ans par ces infractions au sein de l’EEE, répond encore Joaquin Almunia.
Le respect des règles de concurrence est indispensable pour garantir l'existence d’une concurrence loyale pour les petites et les grandes entreprises de l’UE, et bénéficie in fine au consommateur européen, plaide Joaquin Almunia qui estime qu’il est généralement reconnu que l’infliction d’amendes suffisamment dissuasives constitue un moyen extrêmement efficace pour lutter contre les violations des règles de concurrence, et donc un facteur essentiel de crédibilité pour la politique de concurrence. Dans le même temps, poursuit-il, la Commission s’efforce d’éviter que les amendes qu’elle inflige aient des retombées négatives inutiles en termes de conséquences économiques et sociales, notamment en évaluant, à leur demande, la capacité des entreprises à s’acquitter de l’amende.
Depuis le début de la crise économique, rappelle Joaquin Almunia, la Commission a, moyennant certaines conditions, réduit le montant d'un certain nombre d’amendes qu’elle avait infligées, notamment à de petites entreprises, en raison de leur incapacité de s’en acquitter. La Commission évalue en outre régulièrement la pertinence de sa méthode de détermination des amendes.
Enfin, le commissaire juge bon de mettre l’accent sur le fait que les préjudices causés par les ententes à l’économie en général sont considérables : il n'existe donc aucune contradiction entre une politique industrielle visant principalement à améliorer la compétitivité européenne et la création de conditions égales pour tous et d'un environnement concurrentiel grâce à l'application effective des règles de concurrence.
L’eurodéputé Georges Bach a fait part de sa satisfaction quant aux explications détaillées reçues concernant les paramètres de calcul des pénalités par voie de communiqué en date du 7 février 2011. "Même si on peut toujours mettre en question la hauteur de cette amende, nous sommes maintenant en mesure de mieux comprendre les critères employés par la Commission européenne", déclare ainsi le parlementaire.
Mais Georges Bach se montre déçu que d´autres éléments importants de la question aient été ignorés, comme par exemple la demande d´une évaluation d´impact des conséquences économiques et sociales que ces sanctions financières ont pour les entreprises concernées. "Je suis toujours d´avis que, comparée aux pénalités pour les compagnies non-européennes, la hauteur de la pénalité européenne reste disproportionnée", estime en effet l’eurodéputé luxembourgeois qui estime d’ailleurs que "le fait que Cargolux et quelques-unes des autres entreprises condamnées vont faire appel contre la peine de la Commission montre que le dernier mot dans cette affaire n´a pas encore été prononcé."