La réunion extraordinaire du Conseil des ministres européens de l’énergie qui a eu lieu le 21 mars 2011 à Bruxelles avait été convoquée sous le coup de la catastrophe qui a touché les réacteurs de la centrale atomique de Fukushima suite au tremblement de terre et au tsunami qui ont dévasté la côte nord-est du Japon. L’objectif premier de cette rencontre : les ministres européens de l'Energie devaient en particulier se pencher sur l'organisation des tests de sécurité et commencer à définir les critères communs qui seront retenus. Le Luxembourg était représenté à cette réunion par sa représentante permanente adjointe auprès de l’UE, Michèle Eisenbarth, tandis que ses voisins, la France, qui compte 58 réacteurs nucléaires, l’Allemagne, qui en compte 17 et la Belgique avec 2 réacteurs étaient représentées au niveau ministériel, avec respectivement Eric Besson, Rainer Brüderle et Paul Magnette.
Dans ce langage dont l’UE a parfois le secret, même lorsque pour certains pays une urgence non partagée par d’autres règne, les principaux résultats de cette réunion extraordinaire se lisent ainsi : "A la lumière des développements récents au Japon et en Afrique du Nord, le Conseil a dressé un état des lieux du secteur énergétique dans ces régions et de leur possible impact sur les marchés de l’énergie et les fournitures destinées à l’UE. La Commission a briefé les ministres sur les derniers développements. Le Conseil a discuté de la réponse au niveau de l’UE et au niveau des Etats membres. La Présidence (hongroise, n.d.l.r.) fera rapport au Président du Conseil européen sur cet échange de vues et pense revenir sur le sujet lors de la réunion du Conseil de juin (prévue le 10 juin, n.d.l.r.)."
Bref, et comme l’a signalé le président de la réunion, Tamás Fellegi, le ministre hongrois pour le Développement national, le Conseil n’a pas pris de décision, mais discuté de mesures à prendre.
Un rapport de la Commission a montré selon lui que les marchés de l’énergie n’ont pas été affectés outre mesure par les crises en cours, et que l’Europe a pu "se débrouiller avec la situation". D’autre part, il ne faut non plus "trop alarmer les citoyens". Une allusion feutrée à la déclaration du commissaire européen à l’énergie Günther Oettinger, le 17 mars, qui avait parlé "d'apocalypse" au Japon et estimé que certains réacteurs européens échoueraient aux tests de résistance auxquels ils sont censés être soumis dans les prochains mois. Ce qui lui avait valu d’être accusé de déstabiliser les marchés financiers.
Pour le commissaire, Oettinger il est néanmoins clair que "la sécurité va au-delà des frontières". "Nous voulons tous la sécurité la plus élevée possible, et même au-delà de l'Union européenne", a-t-il déclaré, plaidant pour "étendre auprès de nos voisins majeurs", comme la Suisse, la Turquie ou l'Ukraine notamment, les normes élevées de sécurité que vise l'UE.
Il y a donc eu accord entre les ministres pour augmenter le niveau de sécurité des 143 réacteurs qui se trouvent sur le territoire de l’UE et de vérifier que les centrales en activité sont sûres. Les ministres ont endossé un projet visant à définir des critères communs pour des tests de sécurité qui seront menés sur leurs réacteurs, les « stress tests ». Les résultats de ces tests devraient être connus d'ici à la fin de l'année.
Günther Oettinger a assuré que ces tests seront "très stricts" et menés en toute transparence. Risque sismique, d'inondation (par exemple sur le littoral atlantique), d'attentat terroriste, caractéristiques du système de refroidissement, alimentation des systèmes d'urgence, cyber-attaques, etc. Un catalogue de critères sera élaboré dans les prochaines semaines, et "il servira aussi de fondement pour discuter avec des Etats non membres de l'UE", selon le commissaire.
Mais avant de proposer des normes aux pays voisins, encore faudrait-il qu'elles fassent l'unanimité entre les Européens eux-mêmes. "Théoriquement, un pays peut décider de ne pas participer", a admis le président de la réunion, le ministre hongrois Tamas Fellegi, ne serait-ce que parce que la directive sur la sûreté nucléaire de 2009 ne devrait être transposée en droit national des Etats membres qu’à partir de juillet 2011. "Mais je ne vois pas comment il pourrait le justifier, (…) dans la mesure où "c’est dans son propre intérêt" et où "l’enjeu, c'est la confiance du grand public", a-t-il déclaré, en faisant allusion au fait que des Etats membres et des opérateurs industriels avaient déjà pris des initiatives dans ce sens.
Même le ministre français de l'Energie, Eric Besson, a reconnu que si l'UE n'avait "pas la base juridique pour imposer" les tests, "nous voulons que nos voisins s'y soumettent car c'est la seule façon de conforter la confiance dans le nucléaire". Et il a ajouté qu'il "ne peut y avoir de nucléaire à deux vitesses".
Et en cas de test négatif ? Il faudra en tirer les conséquences, « c'est-à-dire que si un réacteur devait obtenir un avis négatif, et bien il faudra le fermer", a souligné le ministre belge de l'Energie, Paul Magnette.
Le commissaire européen et le président hongrois ont été par contre moins clairs sur cette question. La question du recours à l’énergie nucléaire relève de la compétence nationale, mais il existe un cadre européen pour la sûreté nucléaire, notamment avec la "directive 2009/71/Euratom du Conseil du 25 juin 2009 établissant un cadre communautaire pour la sûreté nucléaire des installations nucléaires" dont l’objectif est "d’établir un cadre communautaire pour assurer le maintien et la promotion de l’amélioration continue de la sûreté nucléaire et de sa réglementation" et "de veiller à ce que les États membres prennent les dispositions nationales appropriées afin d’assurer un niveau élevé de sûreté nucléaire pour protéger la population et les travailleurs contre les dangers résultant des rayonnements ionisants émis par les installations nucléaires."
Mais cette directive est fortement critiquée parce qu’elle ne contient pas des normes techniques précises et parce qu’elle ne doit être transposée dans le droit national des Etats membres qu’à partir de juillet 2011, et une révision, prévue en 2013 ou 2014, devrait avoir lieu plus tôt.
Pour le reste, l’UE continuera sur la base des décisions prises lors du Conseil européen du 4 février 2011 consacré à l’énergie de pousser vers la création d’un marché intérieur de l’énergie, d’investir dans l’interconnexion des réseaux énergétiques (coût du programme : 200 milliards d’euros d’ici 2015), de diversifier les modes de production d'électricité pour sortir l'UE de sa dépendance énergétique à l'égard la Russie et du Moyen-Orient, de renforcer les réseaux pour acheminer gaz et pétrole aux quatre coins de l'UE et d’économiser les énergies.
Le Luxembourg, absent au niveau ministériel à la réunion du Conseil "Energie", a néanmoins agi de manière bilatérale par son vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn. En marge du Conseil «Affaires étrangères» qui s’est tenue le même lundi matin, 21 mars 2011 à Bruxelles, Jean Asselborn, a soumis au nom du gouvernement luxembourgeois à son homologue français, Alain Juppé, une lettre concernant la sûreté nucléaire et la sécurité de la centrale nucléaire française de Cattenom.
Dans cette lettre, Jean Asselborn attire l’attention des autorités françaises sur les interrogations des populations dans la région transfrontalière au sujet de la sûreté nucléaire, ce après la catastrophe au Japon. Le Luxembourg propose à la France de procéder à une analyse critique de la sûreté et de la sécurité des installations de la centrale nucléaire de Cattenom, ceci en coopération avec les autorités luxembourgeoises et allemandes. Un tel « stress test » devrait permettre de revoir certains critères et de réévaluer les risques en tenant compte de circonstances telles les catastrophes naturelles ou des attaques terroristes. De même, le Luxembourg voudrait aborder avec la France la question de la durée de vie de la centrale nucléaire de Cattenom.
Jean Asselborn a par ailleurs salué les résultats de la réunion des ministres de l’Energie et a dit que l’Union européenne doit "au-delà des réactions à chaud, lancer une réflexion de fond sur le nucléaire qui soit respectueuse des points de départ de tout un chacun". Il a ajouté que "dans l’immédiat, je pense que l’exercice des 'stress-test'en matière de sûreté nucléaire doit être entamé aussi vite que possible afin d’en tirer des conclusions opérationnelles dans un cadre communautaire commun. Les 'stress tests' ou tests de résistance n’ont de sens que si toutes les installations y sont soumises. Je remercie les voisins de mon pays – la France, l’Allemagne et la Belgique – d’avoir d’ores et déjà accepté d’y soumettre leurs installations."
14 Etats membres de l’UE ont des réacteurs nucléaires sur leur territoire, qui sont au nombre de 143 au total : 58 en France, 19 au Royaume Uni, 17 en Allemagne, 10 en Suède, 8 en Espagne, 7 en Belgique, 6 en République tchèque, 4 en Finlande, 4 en Hongrie, 4 en Slovaquie, 2 en Bulgarie, 2 en Roumanie, 1 en Slovénie, et 1 aux Pays-Bas. L’Italie et la Pologne ont des plans pour en construire.
Si des réacteurs devaient être débranchés à court terme, cela éloignerait l’UE de l’atteinte de ses objectifs en matière d’émissions de CO2, car elle ne peut pas encore recourir à des ressources en énergies renouvelables suffisantes et devrait se rabattre sur le charbon et le gaz naturel.