Le 8 avril 2011, les ministres européens des Finances réagissaient à la demande formulée officiellement la veille par le Portugal de se voir octroyer une aide financière conjointe de l’UE et du FMI qui serait strictement conditionnée.
"La situation est grave", commentait Luc Frieden au soir de cette première journée de réunion informelle qui s’est tenue à l’initiative de la présidence hongroise à Gödöllö. Le ministre des Finances luxembourgeois part du principe que l’Espagne, qui présente moins de problèmes structurels que le Portugal, ne risque pas pour autant d’avoir besoin à son tour d’une aide financière européenne.
Mais pour le ministre luxembourgeois, qui s’est confié au journaliste du Luxemburger Wort Jakub Adamowicz, "le Portugal doit réduire son déficit de façon crédible", sans compter que "l’amélioration de sa compétitivité est absolument nécessaire".
Comme le rappelle Luc Frieden, l’aide qui sera octroyée "n’est pas un chèque en blanc", elle va au contraire impliquer de la part du Portugal "des réformes profondes", des efforts que le ministre luxembourgeois juge "énormes".
La négociation du programme d’ajustement qui va conditionner l’aide ne s’annonce cependant pas simple au vu de la situation politique au Portugal.
Suite au rejet par le parlement portugais d’un programme d’austérité, le Premier ministre José Socrates est en effet démissionnaire et reste aux affaires en attendant la tenue d’élections législatives anticipées le 5 juin 2011. Les négociations sont censées "impliquer tous les partis" pour aboutir à un programme d’ajustement à la mi-mai, selon le calendrier annoncé le 8 avril 2011.
Pourtant, au cours de l’après-midi du 8 avril, le ministre portugais des Finances, Fernando Teixeira dos Santos, a déclaré qu'il ne revenait "pas au gouvernement de négocier avec l'opposition, mais aux parties impliquées du côté européen, la Banque centrale européenne, la Commission et le Fonds monétaire international".
"Ils devront négocier avec le gouvernement et ils devront bien sûr impliquer aussi les principaux partis", poursuivait-il, précisant que ce n’était pas une "responsabilité du gouvernement de promouvoir cette négociation, ni au gouvernement de mener une quelconque négociation avec les forces partisanes". "L'engagement qui doit être pris n'est pas un engagement auprès du gouvernement. C'est un engagement auprès de ces institutions internationales", déclarait encore le ministre des Finances portugais.
Le commissaire en charges des Affaires économiques et financières, Olli Rehn, avait alors appelé les partis politiques au Portugal à faire preuve de "responsabilité" afin de "surmonter les difficultés actuelles, pour le bien du Portugal". "Nous sommes maintenant au début du processus. Et je fais confiance à tous les partis politiques du gouvernement et de l'opposition afin qu'ils se rendent compte de leur responsabilité majeure pour surmonter les difficultés actuelles, pour le bien du Portugal et de ses citoyens, et pour le bien de la stabilité financière en Europe", déclarait Olli Rehn à l’issue de la première journée de réunion des ministres des Finances.
Le lendemain, le président portugais Anibal Cavaco Silva appelait quant à lui l'UE à faire preuve d'"imagination" en acceptant un "programme intérimaire" jusqu'à l'entrée en fonction du nouveau gouvernement. "Ce dont nous avons besoin maintenant, c'est d'un programme intérimaire afin que le prochain gouvernement puisse participer aux négociations finales, parce que c'est le prochain gouvernement qui va appliquer le programme", expliquait le président portugais.
Des déclarations auxquelles avait réagi aussitôt Olli Rehn. "Pour le bien du Portugal et pour le bien de l'Europe, je préfèrerais ne pas avoir de dialogue public chaque jour avec les dirigeants du Portugal", déclarait le commissaire alors que s’achevait à Gödöllö la réunion des ministres. "Il est important que, ensemble avec les autorités portugaises, à la fois au gouvernement, dans l'opposition, et avec les autres acteurs clés bien sûr, comme le président de la République (...), nous définissions maintenant une stratégie qui garantira qu'il puisse y avoir un accord rapide avec tous les partis sur un programme d'ajustement budgétaire", soulignait Olli Rehn qui appelait à commencer "maintenant à travailler calmement et rapidement".
Le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, a dit lui faire "totalement écho": il faut "du travail sérieux, certainement pas public, cela doit être fait et bien sûr cela doit être fait sur la base de toutes les sensibilités qui sont à bord", indiquait-il.
Au Portugal, le même jour, 47 personnalités portugaises lançaient dans les colonnes de l’hebdomadaire L’Expresson un appel à un "compromis" entre partis politiques pour "surmonter la crise" et restaurer la "crédibilité extérieure" du pays.
"Le gouvernement assumera la responsabilité de mener les négociations avec les institutions européennes sur le programme d'assistance financière", a assuré le 10 avril José Socrates qui a clôturé le congrès du Parti socialiste portugais en soulignant que "la période exige hauteur politique et sens de l'Etat". "Je rappelle que, ainsi que l'ont déjà décidé les institutions européennes, la base de ces négociations sera le programme de stabilité et croissance présenté par le gouvernement et déjà soutenu à Bruxelles", a-t-il souligné.
"Ce que j'espère, c'est que cette fois-ci, il y aura un sens des responsabilités, une conscience des intérêts supérieurs du pays et un appui au gouvernement du Portugal dans cette difficile négociation qui est cruciale pour l'avenir des Portugais", a-t-il encore dit.
Dès le 12 avril 2011, le Portugal verra arriver des experts de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international pour une première "mission d'évaluation" technique destinée à préparer les négociations politiques qui se tiendront le 18 avril 2011 entre la "troïka" formée par ces trois institutions et les partis politiques portugais.
La réunion de Gödöllö a aussi été marquée le 9 avril 2011 par la tenue de manifestations rassemblant, selon la Confédération européenne des syndicats (CES), plus de 45 000 personnes venues de 22 pays à Budapest.
Les ministres des Finances de l’UE devaient en effet examiner, entre autres, le tableau des indicateurs qui doit être utilisé dans le nouveau processus de gouvernance économique. Un sujet qui préoccupe la CES qui pense que ces indicateurs pourraient "porter atteinte à l’autonomie du dialogue social et aux négociations entre syndicats et employeurs".
Du point de vue des syndicats, le fait de publier des indicateurs salariaux et de les associer systématiquement à la gouvernance économique se fera au détriment de la position de négociation des syndicats et des travailleurs. Ils craignent un nivellement vers le bas. La CES relève en effet que le tableau indicateur définit un taux maximum d’augmentation pour les coûts salariaux (unitaires), mais qu’il n’est pas fait référence aux faibles rémunérations et aux salaires de certains travailleurs qui doivent être majorés. Les syndicats déplorent en revanche qu’il ne soit question "ni de modérer les parts croissantes du revenu national dont s’emparent les riches, ni de mettre un terme à la culture excessive des bonus".
Dans leurs slogans, les manifestants appelaient à une "Europe sociale avec des salaires équitables et des emplois", quand d’autres lançaient plus violemment "Fuck austerity". Le secrétaire général de la CES, John Monks a assuré les salariés n’allaient "pas payer le prix de la crise", que les syndicats n'allaient "jamais abandonner" la lutte pour atteindre ces objectifs. Il faut "réduire la pression en Irlande et en Grèce comme au Portugal", a estimé encore John Monks, pour qui ces pays ont besoin d'une "main tendue et non d'un coup de poing". Il propose de trouver comment "relancer la croissance et non comment baisser les salaires".
Face à ces contestations, les ministres présents à Gödöllö ont joué la carte du réalisme, invitant les manifestants à accepter la nécessité des politiques d'austérité.
"Les gens doivent comprendre que nous n'épargnons pas pour mettre les gens en colère, mais que nous épargnons afin de pouvoir encore financer à l'avenir les politiques sociales", a ainsi déclaré Luc Frieden. "Il s'agit aussi du bien général", même si "une politique d'économies n'est jamais facile", a-t-il ajouté.
"Je peux comprendre les manifestations, mais je pense que c'est une erreur, parce que ce que nous faisons est bon afin d'avoir un cadre durable pour la croissance", a affirmé pour sa part le ministre allemand Wolfgang Schäuble. "Pour une croissance durable, une monnaie stable est une condition préalable et des budgets stables sont une condition préalable. Si nous avons des déficits trop élevés, ce n'est pas responsable pour les générations futures", a-t-il encore plaidé.
"Nous savons que ce sont des efforts et que c'est difficile", mais "ils sont nécessaires", a souligné la ministre espagnole Elena Salgado.
Le ministre suédois Anders Borg a dit pour sa part ne pas comprendre "vraiment pourquoi il y a besoin de manifestations maintenant", avant de souligner que les pays de l'UE avaient "besoin de faire des réformes".
"Nous devons revenir à une meilleure situation budgétaire", même si "c'est difficile à expliquer", a renchéri son homologue belge Didier Reynders. "Bien sûr, c'est un programme difficile, avec une crise sur le plan économique et social, mais il faut expliquer que pour améliorer la croissance et créer des emplois, nous devons revenir à des efforts et à la consolidation budgétaire", a-t-il ajouté.