La lettre franco-italienne du 26 avril 2011 suite à l'arrivée de milliers de migrants en provenance d'Afrique du Nord, dans laquelle la France et l'Italie appellent notamment à "examiner la possibilité de rétablir temporairement le contrôles aux frontières intérieures en cas de difficultés exceptionnelles dans la gestion des frontières extérieures communes", ainsi que la communication de la Commission européenne du 4 mai 2011 "pour une approche plus structurée, globale et très réactive de l'UE envers les défis et les opportunités que génère la migration, en particulier à la lumière des événements qui secouent actuellement la Méditerranée" ont conduit le 10 mai 2011 à un débat en plénière au Parlement européen
Lors de ce débat, les députés européens ont relativisé l'afflux d'immigrants et se sont, dans leur grande majorité, opposés à toute révision des règles de Schengen.
Cela n’a pas été le cas de la Hongroise Enikő Győri, qui a expliqué au nom de la présidence tournante hongroise du Conseil de l'UE que la crise actuelle obligeait à "repenser la gestion des frontières". Elle s'est prononcé en faveur de la réintroduction temporaire de contrôles aux frontières et a annoncé que les Etats se réuniraient bientôt pour préparer le Sommet européen de juin sur le sujet.
Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a par contre déclaré : "La liberté de mouvement est à l'Europe ce que les fondations sont à un bâtiment : enlevez-les et toute la structure s'effondre." Il a précisé que la réintroduction de contrôles aux frontières était de toute manière possible dans le cadre de Schengen (art. 23) et des traités européens, mais cela est réservé à des "circonstances exceptionnelles", qui ne sont pas avérées actuellement. Pour lui enfin, "l'immigration est un défi proprement européen, qui nécessite donc une réponse européenne". Il a ainsi confirmé les positions défendues par la commissaire européenne Cecilia Malmström du 4 mai 2011.
Au nom du Parti populaire, l'Allemand Manfred Weber a rappelé que Schengen était l'une des plus grandes réussites de l'Europe et que "les citoyens peuvent s'en rendre compte quand ils voyagent". Le Parlement doit défendre le principe de libre circulation : la Suède a accueilli pendant longtemps 25 000 réfugiés par an sans que l'Europe ne remette en cause les acquis de Schengen.
25 000, c'est le nombre d'immigrants qui ont traversé la Méditerranée, selon Martin Schulz (Socialistes et démocrates). Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter car le système Schengen dispose des moyens nécessaires pour faire face à une telle situation. Selon l'Allemand, la France et l'Italie ont créé le problème de toutes pièces. "Vous ne pouvez pas suspendre les droits des citoyens européens de cette façon !"
Le son de cloche a été très proche chez le Belge Guy Verhofstadt (Libéraux et démocrates), qui a parlé "d'une partie de ping-pong entre deux gouvernements, sur le dos des réfugiés". La réintroduction de frontières intérieures serait "contre l'essence même de l'UE" et "disproportionnée" au regard du problème.
Au nom des Verts, le Français Daniel Cohn-Bendit a rappelé la guerre en Bosnie. A cette époque, l'Europe a accueilli de très nombreux réfugiés. "L'Allemagne en a pris quelques centaines de milliers, elle n'a toujours pas coulé!", s'est-il moqué. "Arrêtez de nous dire que les problèmes de l'Afrique du Nord, c'est un problème de sécurité". Enfin, il s'est dit inquiet de ce que "les contrôles aux frontières [internes] seront un contrôle facial : ceux qui seront bronzés, différents, seront contrôlés".
Le Portugais Rui Tavares (Gauche unitaire) a lui aussi rejeté l'idée d'une révision de Schengen et a demandé que l'Europe protège ses citoyens, mais aussi les gens en Syrie, à Benghazi ou ailleurs.
L’eurodéputé luxembourgeois Robert Goebbels, qui est un des cosignataires historiques des accords de Schengen en 1985, a déclaré : "Je me demande si les démagogues de Rome et de Paris et leurs acolytes ici au Parlement savent de quoi ils parlent quand ils demandent le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Il y a plusieurs millions de citoyens européens qui travaillent dans d’autres pays. Il y a 150 000 frontaliers qui viennent travailler chaque jour au Luxembourg, Vous voulez les contrôler ? Il y a des dizaines de millions d’Européens qui voyagent en été. Est-ce que Berlusconi, et Sarkozy veulent les contrôler aux frontières ? Barroso l’a dit : dans l’espace Schengen, chaque année, il y a plus de 1,25 milliards de mouvements. Vous voulez les contrôler ? Mme Malmström, ne touchez pas à Schengen ! Relisez les traités ! Relisez les articles 77 et 78 ! Tout y est, pas besoin d’inventer quelque chose de nouveau ! Restons avec Schengen et avec la libre circulation des citoyens, sinon vous allez avoir une révolte citoyenne."
Deux groupes politiques se sont néanmoins démarqués. Le Britannique Timothy Kirkhope, au nom des Conservateurs et réformateurs qui sont avant tout composés de députés dont les pays ne participent pas ou que partiellement à Schengen, comme le Royaume Uni, voudrait que l’UE se concentre maintenant sur le contrôle aux frontières intérieures. Pour son groupe, le système actuel est défectueux et n'est pas prévu pour les nouveaux enjeux que sont le chômage à large échelle, l'immigration et le terrorisme. Un autre Britannique, Nigel Farage du très droitier groupe "Europe de la liberté et de la démocratie" dont fait partie la xénophobe Lega Nord italienne a attaqué José Manuel Barroso. "Vous qualifiez ceux qui veulent contrôler leurs frontières de xénophobes, d'extrémistes, de populistes. Mais les populistes sont des démocrates !"
La commissaire Cecilia Malmström a déclaré vouloir protéger l’acquis de Schengen et s’est dite contente de pouvoir compter sur le soutien du PE. Mais tout n’est pas parfait dans ce système. La commissaire européenne en charge des questions d'immigration Cecilia Malmström doit soumettre jeudi 12 mai, lors d’une réunion extraordinaire du Conseil JAI à Bruxelles, une "stratégie" pour faire face aux carences constatées dans le contrôle des frontières extérieures du sud de l'UE. Ces mesures devraient inclure de nouvelles possibilités de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières nationales au sein de la zone Schengen, mais selon les termes des textes existants.