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Economie, finances et monnaie
La réunion de Senningen : enjeux, suites et polémiques
10-05-2011


1 euro grec (source: BCE)La réunion qui a rassemblé le vendredi 6 mai 2011à Senningen les ministres européens des Finances dont les pays sont membres du G20, et de la Grèce, le président de la BCE, Jean-Claude Trichet et le commissaire européen en charge des affaires économiques et financières, Olli Rehn a permis de mettre en évidence plusieurs facteurs qui influeront les prochaines décisions des Etats membres de la zone euro.. 

Senningen : constats et scénarios

Le déficit public grec pour 2010 a dû être revu à la hausse, passant de 9,4 % à 10,5 % du PIB, et pour 2011, les rentrées fiscales n’atteignent d’ores et déjà pas, à cause de la récession et de la fraude fiscale, les chiffres escomptés, de sorte que la dette passerait entre 2010 et 2011 de 142 à 152 % du PIB.

Selon Jean-Claude Juncker, qui a reçu le lundi 9 mai 2011 le soutien du président de la BCE, Jean-Claude Trichet, "la Grèce a besoin d'un programme d'ajustement supplémentaire". Une restructuration de la dette grecque ou une sortie de la Grèce de la zone euro a été exclue lors de la réunion de Senningen.

Selon le ministre grec des Finances, Georges Papaconstantinou, il a été question des mesures à prendre pour permettre à la Grèce de lever de l'argent – 41 milliards pour 2012 - malgré le scepticisme des marchés financiers. Une des options évoquées a été d'avoir recours au fonds de stabilité créé par l'UE pour racheter des titres arrivant à échéance. Il aurait aussi été question selon la presse grecque d’une possibilité de rééchelonnement d'une partie de la dette et d’un éventuel report des objectifs de réduction de son déficit public entre deux et quatre ans. Un autre scénario consisterait à offrir aux créanciers de la Grèce des taux d'intérêt plus élevés à long terme en échange de l'octroi à Athènes d'une "période de grâce" de deux ans pendant laquelle la Grèce ne paierait pas d'intérêts.

La baisse de la note grecque par Standard & Poor’s

Malgré un appel du Premier ministre grec, Georges Papandréou, à ce que "chacun en Grèce et hors de Grèce, particulièrement dans les pays de l'Union européenne, laisse la Grèce en paix pour qu'elle fasse son travail", un nouveau coup a été porté contre la Grèce par ces rumeurs qui sont pour lui "à la limite de la criminalité".

En effet, le lundi 9 mai 2011,  l'agence de notation Standard & Poor's a invoqué malgré toutes les assurances données après Senningen l'accroissement de la probabilité d'une restructuration de la dette grecque pour abaisser de deux nouveaux crans la note du pays, ramenée à "B", contre "BB-" auparavant, dans la catégorie des emprunteurs peu fiables. Sa dette à court terme a même été pour sa part notée "C", contre "B" auparavant.

Cette nouvelle notation a suscité la colère de Georges Papaconstantinou qui a déclaré que cette dégradation n’était justifiée par "aucune information ou décision nouvelle".

Pour S&P, l’idée d'accorder un nouveau sursis à la Grèce pour rembourser le prêt UE-FMI, équivaudrait à un "défaut de paiement partiel" de cet Etat. Reste que la Grèce a emprunté le mardi 10 mai 1,625 milliard d'euros à six mois, à un taux de 4,88 %, en légère hausse seulement par rapport à celui qu'elle avait obtenu lors de la dernière émission similaire d'obligations le 8 mars, ainsi que l’a annoncé l'agence de la dette publique (PDMA). Cette émission a été sursouscrite plus de trois fois avec une demande totale de  4,474 milliards d'euros pour une offre de départ de 1,250 milliard d'euros, a indiqué cette agence. 

La prochaine étape : l’Eurogroupe du 16 mai

Les ministres de la zone devraient se prononcer le 16 mai 2011 sur la crise grecque qui persiste. Ils entendront alors les représentants de la mission commune de la Commission, de la Banque centrale européenne et du FMI qui procèdent actuellement à Athènes à une mission d'évaluation du programme de redressement mis en place il y a un an.

Les polémiques autour de Senningen

Être invité ou ne pas être invité

Par ailleurs, la réunion à Senningen a suscité quelques polémiques. D’abord du côté des pays non invités. Des représentants des Pays-Bas, pays qui n’est pas membre du G20, mais qui a à la fois une importante place financière sur son territoire et des engagements importants à l’égard de la Grèce, sont mécontents de ne pas avoir été invité à la réunion de Senningen.

L’ancien secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, a déclaré qu’il aurait fallu inviter tous les ministres de la zone euro. Le leader populiste Geert Wilders a pu renchérir: "Nous avons été humiliés. On nous a donné un coup de pied dans l’échine. Les Pays-Bas sont quand même un pays stable d’un point de vue financier et monétaire." Le ministre des Finances des Pays-Bas, Jan Kees de Jager a ensuite essayé de calmer le jeu, dans la mesure où il a été contacté par ses homologues allemand et français qui l’ont informé in extenso sur les entretiens de Senningen.

Le journal autrichien Standard a critiqué le fait que des pays comme l’Autriche ou la Finlande, où l’euroscepticisme et le populisme montent en flèche, n’aient pas été de la partie. L'Autrichien Ewald Nowotny, membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) et également président de la Banque centrale autrichienne (OeNB) a de son côté sévèrement critiqué la "rencontre improvisée" de Senningen, jugeant l'initiative "très malheureuse"

La manière politique

Martin Schulz, le président des sociaux-démocrates au Parlement européen, a déclaré au Spiegel Online que "ceux qui ont organisé la réunion de Senningen ont causé un vrai désastre". Il a ajouté que ce qui s’est passé à Senningen "est un indicateur supplémentaire que la zone euro souffre avant tout d’une mauvaise gestion".

Les circonstances qui ont entouré la rencontre de Senningen – fuite dans la presse, démentis formels des porte-paroles au Luxembourg ensuite, alors que la réunion a eu bel et bien lieu, - vont selon Martin Schulz de pair "avec la désorientation  actuelle de nombreux gouvernements de la zone euro". Martin Schulz a enfoncé le clou en déclarant que "l’on n’a pas l’impression que lors des derniers 12 mois, les cartes aient été mises sur table une seule fois". L’étalement des problèmes "par couches successives" mine selon lui la confiance des citoyens dans les Etats membres.

Le démenti formel de la réunion

Ce démenti formel a valu au porte-parole de Jean-Claude Juncker, sinon à son chef, d’être taxé de "Pinocchio du jour" par le Handelsblatt du 10 mai 2011, et un désaveu du porte-parole de la chancelière Merkel, Steffen Seibert.

Le démenti qu’une réunion allait se tenir à Senningen a suscité dans la presse mondiale un tollé majeur. Et les explications données a posteriori par le porte-parole de Jean-Claude Juncker, qui a déclaré le lundi 9 mai 2011 qu’il avait eu des instructions et qu’il "fallait tenir compte de certaines contraintes", n’ont pas calmé le jeu.

Le commentaire du Wall Street Journal est représentatif du ton qui règne dans la presse : "Que le porte-parole admette tout cela est étonnant, vu l’importance pour l’Europe de garder la confiance des investisseurs face à la crise de la dette grecque. Si les investisseurs commencent à penser que les officiels mentent pour essayer de contrer les mouvements des marchés, cela ne rendra pas service à l’euro."

Le démenti de vendredi avait déjà conduit le journaliste luxembourgeois Jean Rhein à écrire dans le Quotidien du 9 mai 2011 : "Un homme politique ne ment pas, sauf si c'est pour la bonne cause. La formation catholique du Premier ministre autorise expressément d'avoir recours à ce genre de subterfuges. Le bluff (démenti) de Jean-Claude Juncker porte donc sur le caractère informel de la réunion (dans le langage diplomatique, il s'agit d'une réunion qui ne prendra pas de décisions formelles). La réunion n'a donc pas encore donné lieu à un crash boursier. Ni à un effondrement de l'euro. Mais elle n'a pas fait taire non plus les rumeurs à propos de la restructuration de la dette grecque, puisque derrière les rumeurs se cachent des intérêts puissants des spéculateurs".  

Le 10 mai 2011, le journaliste Tobias Schmidt a repris pour l’agence dapd une citation du Premier ministre Juncker datant d’avant Pâques – "Quand cela devient sérieux, il faut mentir",  - pour se demander si "Jean-Claude Juncker n’est pas en train de devenir un facteur de risque pour la zone euro ». Pour lui, ce qui est « une panne en matière de communication est en train de devenir un scandale politique". Par ailleurs, Tobias Schmidt estime que l’influence et la crédibilité de Jean-Claude Juncker, dont le mandat comme président de l’Eurogroupe expire en été 2012, ont pris un rude coup avec la réunion de Senningen.

Les papiers grecs dans les dépôts des banques dans la zone euro et au Luxembourg

Quant au journaliste du Tageblatt, Helmut Wyrwich, il est d’avis que "les gouvernements européens sont sur la fausse piste". Pour lui, ils ne veulent pas comprendre les comportements du marché qui veulent leur faire entendre qu’ils ne croient plus en la Grèce, quoiqu’il arrive. L’aide promise à la Grèce a transformé la zone euro en "zone de solidarité monétaire" et pousse, selon Helmut Wyrwich, la BCE à racheter des papiers grecs aux banques privées, comme si ces papiers étaient de bons papiers. Ceux qui s’opposent à de tels procédés sont selon lui isolés, tel Axel Weber, l’ancien patron de la banque centrale allemande. La BCE a actuellement un encours de 73 milliards d’euros qu’Helmut Wyrwich taxe de « papiers toxiques ». Selon le même journaliste, les banques françaises détiennent 100 milliards et les banques allemandes 43 milliards de papiers grecs.

Et les banques luxembourgeoises ? Selon les chiffres de la Banque Centrale du Luxembourg (BCL), les banques installées au Luxembourg détenaient au 31 décembre 2009 pour 3 milliards d'euros de dette grecque, mais ils ont réduit ces encours à 2 milliards au 31 décembre 2010, donc une baisse de plus de 30 %. En même temps, "l’encours de titres émis par les administrations publiques de la France, de l’Espagne, de la Grèce, de l’Italie, du Portugal et de l’Irlande, ont été réduits au cours de l’année sous revue alors que les encours de titres publics allemands et belges ont augmenté", lit-on à la page 68 de la Revue de stabilité financière de 2011. Les fonds d'investissement luxembourgeois possédaient pour l'équivalent de 7,9 milliards fin 2009, et leur possession de titres publics grecs est passée en décembre 2010 à 2,2, une baisse de 72 %. Bref, on est passé d’un  total autour de 11 milliards à un total de 4,2 milliards en un an, une baisse de plus de 60 %.