Le 11 août 2011, le site d’information Mediapart affichait à sa Une la tribune de trois élus socialistes de la Grande Région qui lançaient un appel à la rénovation de la gauche européenne, restée trop longtemps, d'après eux, prisonnière de son logiciel de pensée des Trente Glorieuses. Nicolas Schmit, ministre du Travail du Luxembourg, a ainsi associé sa voix l’eurodéputé sarrois Jo Leinen et au maire de Thionville, Bertrand Mertz, pour dresser une liste des défis auxquels la social-démocratie européenne doit faire face pour être à la hauteur "si elle veut rester, notamment aux yeux des jeunes générations victimes du chômage et de la précarité et dont l'avenir est assombri par cette crise, une force politique européenne majeure capable de redonner du sens à la politique".
"Un spectre hante l'Europe : le spectre de la fin de l'euro dans une Europe livrée à la voracité des marchés financiers. La crise financière a été suivie d'une crise de la dette publique menaçant surtout les pays du sud, mais également la stabilité de toute la zone euro", constatent les trois élus qui estiment que la zone euro, "en l'absence d'un vrai mécanisme de gestion de crise, n'a politiquement pas été capable de réagir avec la rapidité, l'efficacité et la solidarité nécessaires". "Faute d'une vraie gouvernance au niveau de la zone euro, l'initiative a été laissée aux marchés financiers ainsi qu'aux agences de notation", regrettent-ils en soulignant combien "chaque nouvelle appréciation de la part de ces dernières a ébranlé les frêles acquis de consolidation engagés au prix de sacrifices énormes des populations en les plongeant dans des difficultés encore plus graves". En bref, "les marchés financiers imposent ainsi leur prédominance à une Europe divisée où l'orthodoxie financière, une gouvernance inadaptée et le repli sur les intérêts nationaux n'ont jusqu'à présent guère permis à la zone euro de maîtriser ses difficultés".
Dénonçant une stratégie politique "trop longtemps limitée à gagner du temps en maîtrisant de plus en plus difficilement une urgence après l'autre" et la récession qui fait suite aux "politiques restrictives drastiques imposées à la Grèce et aux autres pays confrontés à la crise de la dette", les trois élus socialistes reconnaissent cependant que les décisions du 21 juillet 2011 "commencent à marquer un tournant face à une situation de plus en plus inextricable et périlleuse pour l'existence de l'euro". Bien qu’intervenant très tardivement, elles reflètent à leurs yeux en partie les positions défendues récemment par le Parti socialiste européen.
Mais, poursuivent Jo Leinen, Bertrand Mertz et Nicolas Schmit, "cette crise a également ébranlé la position des partis socialistes et sociaux-démocrates européens qui sont restés prisonniers d'une conception de leur rôle datant des Trente Glorieuses". Il s'agissait, expliquent-ils, de "mettre en œuvre un compromis historique permettant au capitalisme européen de se développer face à l'épouvantail soviétique en garantissant la dimension sociale, et même "civilisationnelle", à ce mode de production". Or, constatent les trois élus socialistes, cette période est terminée depuis longtemps.
A leurs yeux, "les sociaux-démocrates en Europe ont manqué de remettre vraiment en cause leur logiciel économique et politique, passant à côté de la nécessaire analyse de l'évolution financière du capitalisme et des risques systémiques que celle-ci induisait inévitablement". Les trois élus jugent par ailleurs "fondamental de mettre en évidence l'importance déterminante de la dimension écologique de notre développement économique". "La social-démocratie doit projeter un nouveau modèle de développement établissant la synthèse entre croissance économique, progrès social et respect des équilibres écologiques", plaident-ils donc dans leur papier commun.
"Surmonter les crises en cours en sauvant le projet européen, sans lequel aucun pays d'Europe ne pourra espérer compter vraiment au cours de ce siècle, devrait être la première préoccupation des sociaux-démocrates", lancent-ils, avant de se lancer dans l’analyse du problème posé.
C’est donc dans une lecture des "véritables causes" de la crise économique que se lancent Jo Leinen, Bertrand Mertz et Nicolas Schmit qui remontent pour ce faire au début des années soixante-dix, période qui a marqué selon la fin de tout "système monétaire international organisé". "La condition préalable au rétablissement d'une situation économique plus saine passe par l'instauration d'un nouveau Bretton Woods, qui devrait avoir pour objectif de ramener le capitalisme mondialisé à la raison en régulant notamment les marchés financiers débridés", estiment-ils par conséquent. Et l’'Europe devra selon eux peser de tout son poids économique et monétaire pour parvenir à un tel résultat.
Pour les trois élus socialistes, il est "impossible de desserrer l'étau des contraintes imposées par les marchés financiers sans avoir engagé un débat préalable sur la régulation financière, sur la coordination absolument nécessaire des politiques économiques budgétaires et fiscales ainsi que sur la réforme du pacte de stabilité". Ils plaident donc pour la mise en place d’une "stratégie économique coopérative axée sur une croissance qualitative et non pas sur l'austérité génératrice de pauvreté et de précarité".
"Un vrai plan de redressement économique s'impose", avancent les trois élus socialistes qui soulignent combien l’Europe a besoin de croissance pour faire face à "la montée fulgurante du chômage, notamment des jeunes", mais aussi pour rééquilibrer les finances publiques dans des délais prescrits qu’ils jugent "irréalistes". L'UE devra selon eux miser sur une relance massive des investissements, notamment dans la recherche, les industries de l'avenir, ou encore les énergies renouvelables. Mais pour ce faire, notent encore les auteurs de cette tribune, qui semblent regretter que les négociations sur de nouvelles perspectives financières européennes s'annoncent très difficiles, "l’UE a besoin d'un budget et d'instruments financiers appropriés".
Dans ce contexte, l’eurodéputé allemand, le maire français et le ministre luxembourgeois apportent leur soutien à l’idée de lancer des euro-obligations : elle permettrait selon eux de "desserrer la contrainte des marchés financiers en désarmant la spéculation". Ils dénoncent par ailleurs des "politiques qui ignorent la dimension sociale et plongent des populations dans la pauvreté en démantelant les systèmes de protection sociale", ne pouvant "qu'alimenter les discours et les forces populistes". A leurs yeux, "il y a un risque de remettre en cause la légitimité démocratique déjà assez affaiblie du projet d'intégration européenne". "L'Europe a besoin d'un nouvel élan politique hors du commun, à l'image de ce qu'ont fait Robert Schuman et les autres Pères fondateurs, pour sortir de cette crise et retrouver l'adhésion des citoyens", plaident-ils ainsi.
Jo Leinen, Bertrand Mertz et Nicolas Schmit appellent l’UE à "réinventer un vrai projet à vocation fédérale axé sur les valeurs de solidarité et de progrès social, mais aussi sur les réponses innovatrices aux grands défis que lui lancent la mondialisation ainsi que les bouleversements technologiques, énergétiques et environnementaux".
Les élus socialistes esquissent ainsi les grandes lignes de la "révolution énergétique" qu’ils appellent de leurs vœux : sortie du nucléaire, reconversion de la production énergétique, optimisation de l’efficacité énergétique, financement des infrastructures énergétiques et de la recherche, sécurité de l’approvisionnement sont ainsi autant d’éléments cités en vue de la mise en place d’une politique énergétique commune. Une mutation de la production d'énergie qui touchera bien des secteurs et qui permettra à l'Europe de pouvoir développer "un modèle de croissance qualitative créateur d'emplois et de progrès social".
"La social-démocratie européenne doit se mettre à la hauteur de l'ensemble de ces enjeux et de la tâche qu'ils représentent si elle veut rester, notamment aux yeux des jeunes générations victimes du chômage et de la précarité et dont l'avenir est assombri par cette crise, une force politique européenne majeure capable de redonner du sens à la politique", concluent Jo Leinen, Bertrand Mertz et Nicolas Schmit.