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Dans un arrêt rendu au sujet de la clause de sauvegarde invoquée par la France pour interdire la mise en culture du maïs MON 810, la CJUE précise la procédure et les modalités que doivent suivre les Etats pour adopter des mesures d’urgence
08-09-2011


La dissémination volontaire des organismes génétiquement modifiés (OGM) – expériences en plein champ ou culture de variétés de plantes OGM – est régie par une législation européenne articulée, notamment, autour de deux régimes : d’une part, celui de la directive 2001/18/CE, applicable à la dissémination de tous les OGM, et, d’autre part, celui du règlement n°1829/2003 qui, en ce qui concerne les OGM destinés à l’alimentation humaine et animale, peut également s’appliquer. Dans le respect du principe de précaution, cette législation, vise à assurer un niveau élevé de protection de la vie et de la santé humaine, tout en veillant à assurer la libre circulation des denrées alimentaires et des aliments pour animaux.

Le Conseil d’Etat français s’enquérait des règles applicables aux mesures d’urgence régissant les autorisations de mise sur le marché dont bénéficient les produits OGM

Par décision du 22 avril 1998, la Commission européenne a autorisé la mise sur le marché du maïs génétiquement modifié MON 810 à la demande de Monsanto Europe, sur le fondement de la directive 90/220/CEE relative à la dissémination volontaire des OGM dans l’environnement qui était alors en vigueur. En exécution de cette décision, la France a donné son consentement écrit à cette mise sur le marché. Utilisé sur le territoire de l’Union comme aliment pour animaux, le maïs MON 810, développé par le groupe américain Monsanto, est particulièrement résistant à certains parasites.

Le 11 juillet 2004, Monsanto Europe a notifié le maïs MON 810 à la Commission en tant que "produit existant", non pas au titre de la directive 2001/18/CE, mais sur le fondement du règlement n°1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, comme ayant été légalement mis sur le marché avant la date d’application de ce règlement (à savoir le 18 avril 2004). Le 4 mai 2007, Monsanto a sollicité le renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché de cet OGM sur le fondement de ce même règlement.

À titre de mesures d’urgence, la France a adopté, en 2007, un arrêté suspendant sur son territoire national la cession et l’utilisation des semences de maïs MON 810, puis, en 2008, deux arrêtés interdisant la mise en culture des semences de maïs MON 810.

Des recours en annulation de ces mesures ont été formés par Monsanto et plusieurs sociétés productrices de semences devant le Conseil d’État français. Dans le cadre de ces recours, s’est posée la question de savoir si des mesures d’urgence pouvaient être arrêtées par la France sur le fondement de la directive 2001/18/CE, qui permet l’adoption de telles mesures par l’État membre, de sa seule initiative et directement, ou bien si elles auraient dû l’être sur le fondement des règlements n° 1829/2003 et 178/2002, qui ne permettent l’adoption de mesures d’urgence par un État membre que lorsque celui-ci a informé officiellement la Commission de la nécessité de les prendre et que la Commission n’a pris aucune mesure.

Dans ce contexte, le Conseil d’État a décidé d’interroger la Cour de justice sur les règles applicables aux mesures d’urgence régissant les autorisations de mise sur le marché dont bénéficient les produits OGM en cause.

Les autorités françaises n’ont pas invoqué les dispositions permettant à un État membre d’être autorisé sur sa demande, par la Commission ou le Conseil, à adopter des mesures d’interdiction

À titre liminaire, la Cour observe dans son arrêt rendu le 8 septembre 2011 que les réponses données, en l’espèce, sont sans préjudice de l’application de la directive 2002/53/CE concernant le catalogue commun des variétés des espèces des plantes agricoles, qui s’applique à des semences issues de variétés de maïs telles que celles du maïs MON 810, mais dont les autorités françaises n’ont pas invoqué les dispositions permettant à un État membre d’être autorisé sur sa demande, par la Commission ou le Conseil, à adopter des mesures d’interdiction.

Dans le cas du maïs MON 810, notifié comme "produit existant" sur le fondement du règlement 1829/2003, la France ne pouvait recourir à la clause de sauvegarde prévue par la directive 2001/18/CE

Ensuite, la Cour relève que, en l’espèce, le maïs MON 810, autorisé notamment en tant que semence à des fins de culture, en application de la directive 90/220/CEE sur la dissémination volontaire des OGM dans l’environnement (abrogée par la directive 2001/18/CE) – a été notifié en tant que « produit existant » conformément au règlement n° 1829/2003, puis a fait l’objet d’une demande de renouvellement d’autorisation en cours d’examen, au titre de ce règlement. Elle considère que, dans de telles circonstances, un État membre ne peut recourir à la clause de sauvegarde prévue par la directive 2001/18/CE pour adopter des mesures suspendant puis interdisant provisoirement l’utilisation ou la mise sur le marché d’un OGM tel que le maïs MON 810.

La Cour précise la procédure et les modalités à suivre pour adopter des mesures d’urgence en vertu du règlement 1829/2003

La CJUE précise en revanche que de telles mesures d’urgence peuvent être adoptées en vertu du règlement n° 1829/2003.

À cet égard, elle souligne que, lorsqu’un État membre entend adopter des mesures d’urgence sur le fondement de ce dernier règlement, il doit respecter tant les conditions de fond prévues par celui-ci que celles de procédure prévues par le règlement n° 178/2002, auquel le premier règlement renvoie sur ce point. L’État membre doit donc informer, "officiellement" la Commission, de la nécessité de prendre des mesures d’urgence. Si la Commission ne prend pas de mesures, il doit l’informer "immédiatement" ainsi que les autres États membres de la teneur des mesures conservatoires qu’il a adoptées. Ainsi, précise la Cour, l’État membre doit informer la Commission "le plus rapidement possible", et – de même d’ailleurs que dans le cadre de la clause de sauvegarde instituée par la directive 2001/18/CE – cette information doit intervenir, en cas d’urgence, au plus tard de manière concomitante à l’adoption des mesures d’urgence prises par l’État membre concerné.

La Cour juge, par ailleurs, s’agissant des conditions de fond des mesures d’urgence adoptées en application du règlement n° 1829/2003, que ce dernier impose aux États membres d’établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Nonobstant leur caractère provisoire et préventif, ces mesures ne peuvent être adoptées que si elles sont fondées sur une évaluation des risques aussi complète que possible compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, qui révèlent que des mesures s’imposent.

La Cour relève, enfin, que, à la lumière de l’économie du système prévu par le règlement n° 1829/2003 et de son objectif d’éviter des disparités artificielles, l’évaluation et la gestion d’un risque grave et évident relève, en dernier ressort, de la seule compétence de la Commission et du Conseil, sous le contrôle du juge de l’Union. Elle précise que, au stade de l’adoption et de la mise en œuvre par les États membres de mesures d’urgence, tant qu’une décision n’a pas été adoptée au niveau de l’Union, les juridictions nationales saisies afin de vérifier la légalité de telles mesures nationales sont compétentes pour apprécier la légalité de ces mesures au regard des conditions de fond et de procédure prévues par les règlements nos 1829/2003 et 178/2002. En revanche, lorsqu’une décision a été adoptée au niveau de l’Union, les appréciations de fait et de droit contenues dans cette décision s’imposent à tous les organes de l’État membre destinataire d’une telle décision, y compris ses juridictions amenées à apprécier la légalité des mesures adoptées au niveau national.