Le 24 septembre 2011, le Premier ministre Jean-Claude Juncker a été l’hôte de l’émission "Riicht eraus" de la station de radio 100,7. Un long volet de l’entretien avec le rédacteur en chef de la station, Jay Schiltz, a été consacré à l’Europe.
Au cours de l’entretien, Jean-Claude Juncker a analysé la situation actuelle, et déclaré "que l’on ne peut pas exclure que nous allons vers une récession dont je pense qu’elle n’aura pas lieu". Il a mis en avant les problèmes du secteur bancaire européen – "pas aussi graves que ceux décrits par Madame Lagarde au nom du FMI". Et il a pointé "la problématique de la dette dans certains pays de la zone euro". S’il a trouvé l’Irlande exemplaire dans la mise en œuvre de sa politique de consolidation et vu au Portugal de "premiers signes positifs", la Grèce est restée pour lui "un cas dramatique, presque tragique".
Son diagnostic : la volonté de faire des économies s’estompe en Grèce, vu l’impact sur les conditions de vie des citoyens moyens, et parallèlement, la solidarité s’estompe "sous nos latitudes", y compris au Luxembourg. Les citoyens qu’il rencontre lui demandent moins que l’on donne plus d’argent aux Grecs que s’il faudra payer leurs dettes. Tout cela reflète une atmosphère européenne qui l’inquiète "au plus haut degré". Il y a le risque de l’explosion sociale en Grèce, mais aussi celui que "nos pays" se détournent de la Grèce dont les problèmes ne les concerneraient pas.
Or, du fait que "nous sommes dans une union monétaire, nous sommes tout à fait concernés". Une mauvaise thérapie de la crise grecque peut infecter "l’encore-stabilité" des autres pays de la zone euro qui sont en difficulté. Que faire pour éviter que le tout ne s’écroule ? Telle est la question que le Premier ministre se pose, avec la certitude que "si le tout s’écroule, le plus petit membre de la zone monétaire, et c’est nous, ne sera pas celui qui survivra le mieux".
La Grèce, admet Jean-Claude Juncker, est mal organisée, à une dette publique extrêmement élevée, et elle a donc besoin d’une consolidation de sa situation financière. Mais au-delà de la consolidation, il faut remettre la Grèce sur le chemin de la croissance, ce que l’on néglige actuellement. Or son économie, son marché du travail, son Etat doivent prendre un nouveau départ. La privatisation d’entreprises publiques mal gérées doit aller de l’avant. Et l’on doit procéder en tenant compte de la justice sociale. Les possédants grecs doivent participer selon le Premier ministre de manière plus importante à la solidarité nationale que dans le passé. Pour lui, il n’est pas juste de donner l’impression que ce sont les petites gens qui paieront la note. Ce que le gouvernement grec veut éviter, mais après avoir pratiqué pendant 20 ans le contraire. "La politique est l’organisation de la justice", a-t-il conclu.
Dans un tel contexte, ni la faillite de la Grèce ni sa sortie de l’euro ne sont pour Jean-Claude Juncker des hypothèses de travail. Il faut au contraire l’aider à passer le cap, et ce sera un processus sur le long terme. "Mettre un terme à une Grèce dans la zone euro, et jeter ainsi les Grecs dans la misère totale ne correspond pas à l’idée que je me fais de l’Europe", postule le Premier ministre luxembourgeois qui préférerait se faire insulter dans son pays pour l’aide aux Grecs plutôt que de regarder sans coup férir comment un peuple entier sombrerait dans la pauvreté.
Et si tout cela devait arriver, cela aurait des conséquences néfastes pour le secteur bancaire. Si les banques luxembourgeoises sont moins exposées que d’autres, il n’en reste pas moins que les banques sont censées participer à raison de 21 % au prochain plan d’aide et qu’une faillite de la Grèce créerait une grande inquiétude dans le secteur financier international, avec toutes les retombées possibles pour la place financière luxembourgeoise.
Selon Jean-Claude Juncker, deux pôles économiques sont touchés par la crise actuelle : l’Europe et les USA. Et il commente : "Je suis parfois irrité par la manière dont les Américains entrent avec des chaussures à semelles cloutées dans une salle de réunion pour nous expliquer comme résoudre la crise en Europe. Ils se trouvent eux-mêmes dans une crise massive". Ceci dit, Jean-Claude Juncker est d’avis que ce que dit le G20 est juste, qu’il faut mettre en œuvre les décisions du 21 juillet 2011. Pour lui, le monde ne comprend plus l’UE, dans la mesure où les plans de sauvetage décidés sont de nouveau sujets à des controverses, comme en Allemagne, Autriche, Finlande et aux Pays-Bas. Cela rend nerveux les investisseurs.
"Oui, il est difficile de mener une démocratie à travers une crise", s’inquiète le président de l’Eurogroupe qui sait que "les citoyens nous jugent à l’aune de notre capacité à leur éviter une crise comme en 2008". En 2008, il avait mis en garde contre la transformation de la crise bancaire en crise financière, puis en crise économique, puis en crise de l’emploi, puis en crise sociale, finalement en crise du système. Ses craintes ? Que les gens ne se reconnaissent pas dans la gestion de crise et se dressent "contre le système en tant que tel", parce que ce ne sont pas ceux qui ont causé la crise qui doivent payer les pots cassés. Pour Jean-Claude Juncker, c’est une erreur fondamentale d’éluder "ce danger de la faille de la justice". Car pour lui, il n’est pas possible de gouverner s’il n’y a pas un consensus de base sur le modèle social. Tout devient alors prétexte de conflits : la hausse de la TVA, les bonus dans les banques, les salaires de managers qui dépassent l’imagination. "Nous arriverions à mieux résoudre la crise si ces gens-là comprennent qu’ils ne peuvent continuer comme si rien ne s’était passé. Car les autres gens ne peuvent pas non plus continuer comme si rien ne s’était passé".