En guise d’introduction, le professeur de l’Université de Savoie, Gilles Paisant, a rappelé que les premières lois sur le droit de la consommation sont apparues au début des années 70 en Suède. Par la suite, celles-ci sont devenues une généralité - en France en 1972 par exemple - en Europe occidentale. Après la destruction du rideau de fer et la désagrégation de l’Union soviétique, les lois de protection des consommateurs se sont répandues – comme en République de Moldova en 93 - pour finir par atteindre des pays en voie de développement de nos jours – comme la République dominicaine en 2005. La protection du droit des consommateurs est donc apparue d’abord dans des pays riches et a "accompagné la société de consommation" tel "un droit de pays riche", selon les termes de Gilles Paisant. Un pays qui n’a pas au jour d’aujourd’hui un cadre juridique pour la protection des consommateurs apparaît "comme sous-développé juridiquement".
Dans l’Union européenne, le droit des consommateurs est né le 14 avril 1975 lors d’un Conseil dédié à ce sujet. Des directives ainsi que des règlements sont apparus et aujourd’hui, la protection des consommateurs est une obligation dans l’Union.
Le raisonnement personnel qu’a partagé Gilles Paisant, se décompose en deux points principaux :
Selon l’universitaire, notre système se base sur une économie libérale et une économie de marché qui prône la libre concurrence. Cette loi du libre marché favorise le consommateur, car il peut avoir accès à un grand éventail de choix pour les produits et les services. La libre concurrence implique que les vendeurs doivent essayer d’être les meilleurs, ce qui se répercute en théorie positivement sur la qualité et les prix. Néanmoins, Gilles Paisant tempère immédiatement ce raisonnement, car sans concurrence "la nature humaine" a tendance à privilégier des moyens malhonnêtes que la morale du marché réprouve (publicité mensongère, pratique déloyale).
De plus, le marché aurait tendance à s’autodétruire, car la loi du plus fort s’imposerait et créerait au final une situation de monopole absolu qui est inacceptable, car le monopoleur pourrait fixer ses propres règles (prix, qualité productions). Si cette logique était suivie, il suffirait que le marché soit loyal et effectif pour que le consommateur soit protégé. Le professeur Paisant évoque d’ailleurs l’exemple de la Suisse où une loi sur la concurrence déloyale assure la protection du consommateur. Néanmoins il insiste sur le fait que ce raisonnement peut être renversé.
La loi de la libre concurrence ne peut pas répondre à la relation déséquilibrée entre le professionnel et le consommateur, et ce selon Gilles Paisant pour trois raisons :
Pour Gilles Paisant, les deux caractéristiques majeures du droit de la consommation sont que ce droit est un droit de protection et un droit d’exception. Dans les Etats nations, ce droit de la consommation, qui a pour objectif de protéger les consommateurs, "s’oriente toujours dans trois grandes directions":
Cet ensemble de protections représentent une législation totalement dérogatoire dans le domaine pénal (santé et sécurité corporelles des consommateurs) et civil (droit de rétractation et législation sur les clauses abusives) par rapport au droit commun.
Le professeur de l’université de Savoie s’interroge pour savoir si les normes de l’UE ne sont pas en train de transformer le droit de consommation en "simple instrument de la régulation de marché".
Sa démonstration débute avec l’analyse de la définition du consommateur que donnent les normes communautaires qui sont celles "d’une personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle". Pour Gilles Paisant, c’est la preuve que l’infériorité du consommateur par rapport au professionnel n’est pas prise en compte et que donc "la définition est totalement déconnectée des fondements traditionnels du droit de la consommation". Seule la finalité de l’opération effectuée intéresse le droit communautaire.
Les législations européennes de protection des consommateurs ont comme fondement juridique le fonctionnement et la réalisation du marché intérieur. Depuis le traité de Maastricht en 1992, ce fondement aurait dû et devrait, selon Gilles Paisant, être modifié par une politique autonome de protection du consommateur déconnectée des exigences du marché intérieur. La Commission européenne a comme objectif d’harmoniser les législations au sein des différents Etats membres de l’Union afin d’éviter "une distorsion de concurrence". C’est "le niveau égal de protection" qui importe dans la politique des institutions européennes et non pas "le contenu" en tant que tel de la protection des consommateurs.
Pour Gilles Paisant, lorsque les normes communautaires d’harmonisation deviennent maximales et ne laissent pas la possibilité aux Etats d’adopter des normes plus protectrices du consommateur, alors on constate dans certains cas des reculs du niveau de protection des consommateurs par rapport au niveau de protection national qui existait avant l’harmonisation. L’exemple est celui de la proposition de directive du 8 octobre 2008, qui sur les points des garanties dans la banque des biens de consommations et les clauses abusives, auraient fait reculer les droits des consommateurs français. "Cela n’est pas acceptable" selon Gilles Paisant.