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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Politique régionale
Rentrée académique 2012 du Programme de gouvernance européenne
12-10-2011


Le Programme de Gouvernance européenne de l’Université de Luxembourg a fait sa rentrée académique le 12 octobre 2011. L’occasion pour le responsable de ce programme de recherches, Philippe Poirier, de présenter ses axes de recherche, et notamment le dernier né, qui se concentre sur la philosophie du fédéralisme, mais aussi ses chaires de recherche et ses diverses activités. Une activité intense comme en témoignent les 2,5 millions d’euros de projets de recherche au compte du programme depuis 2004. Philippe Poirier a aussi rappelé les enseignements proposés dans le cadre du programme, et son idée de créer une école doctorale européenne. Le tout en lien avec de nombreux partenaires universitaires. L’objectif de Philippe Poirier est de candidater l’an prochain pour devenir centre d’excellence Jean Monnet. En attendant, les pistes de recherche ne manquent pas, et les universitaires invités pour cette rentrée académique ont d’ailleurs donné une idée de l’immensité du champ qui s’offre aux chercheurs quand il s’agit d’intégration européenne.

Philippe Portier - L’émergence d’un modèle européen de régulation du croire

Philippe Portier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études (Paris-Sorbonne), où il occupe la chaire "Histoire et sociologie des laïcités", a esquissé un tableau de la situation du droit et des politiques religieuses dans l’UE, identifiant les grandes tendances et dynamiques à l’œuvre.Philippe Portier

Citant l’historien et sociologue Emile Poulat, Philippe Portier a introduit son propos par une remarque iconoclaste, à savoir qu’en Europe, nous sommes tous laïcs, les peuples européens n’étant pas réunis seulement par une solidarité économique, mais aussi par une commune interprétation du monde marquée par un attachement partagé à l’éthos de la modernité. Or ce dernier marque une différenciation entre églises et Etat.

L’Etat d’avant la modernité était en effet toujours lié à la notion de transcendance, puisqu’il était chargé de conduire les hommes sur le chemin du bien, de la bona vita, le tout en veillant au respect de l’ordre divin des choses. Le dessein du prince était de permettre aux hommes d’accomplir leur devoir. Avec l’avènement de la modernité, l’Etat a été institué par le peuple, en devenant responsable et se plaçant aux services des droits, et non plus des devoirs. Son dessein est en effet désormais d’assurer l’ordre et la paix pour permettre à chacun de construire son propre chemin, son propre bonheur.

De son côté l’Eglise, qui était auparavant englobante, conçue comme l’épine dorsale de la civilisation, est devenue une institution sectorielle subordonnée à l’autorité gouvernementale. Comme le résume le sociologue des religions James Beckford, l’Eglise, hier institution totale, est aujourd’hui une ressource culturelle.

Tous les Etats européens se retrouvent là, estime Philippe Portier. Mais ils ont institué différents systèmes, développé des incarnations différentes de cet éthos de la modernité. Selon la thèse du professeur David Martin, ce processus s’est opéré sur deux voies distinctes. Au Nord, cette entrée dans la modernité s’est faite en suivant une trajectoire conciliante, caractérisée par une coopération de l’Etat avec les autorités religieuses et par un processus de dé-différenciation qui préserve la relation construite entre Etat et Eglise. Au Sud, un autre régime d’existence s’est mis en place, marqué par une tendance lourde à la séparation institutionnelle. Les religions se retrouvent ainsi en dehors de la sphère publique.

Le schéma de David Martin est-il toujours valable aujourd’hui ? Pour Philippe Portier, la réponse est nuancée. Le spectacle des laïcités nationales offre en effet une grande divergence des modèles où se révèlent des traces des modes différents d’accès à la modernité. Pour autant, observe Philippe Portier, la visquosité des structures juridiques n’empêche pas une évolution des modèles. Or, pour le chercheur, la situation actuelle est marquée par une tendance à la convergence au sein de l’UE.

La fragmentation actuelle de nos univers : une marqueterie européenne

Les différents arrangements institutionnels observés aujourd’hui sont liés aux trajectoires des Etats Nations, qui sont elles dépendantes des paysages religieux. David Martin distingue à ce titre deux systèmes, un système de confessionnalité et un système de séparation.

Le système de confessionnalité est basé sur deux principes. D’une part la hiérarchisation. Une religion, parfois deux, se trouve en effet distinguée des autres, se voyant octroyer le statut de religion d’Etat, ou dominante, ou officielle, et étant dotée de responsabilités, d’immunités. Ce qui produit une certaine inégalité des confessions. D’autre part, la tolérance. Toutes les religions n’ont pas la même reconnaissance, mais toutes ont droit de cité et profitent d’une pleine liberté de communication.

Ce système caractérise deux zones, les zones protestantes (Finlande, Royaume-Uni, Islande, Norvège, Danemark et Suède jusqu’en 2000) et les zones orthodoxes (Grèce notamment).

Citant l’exemple danois, Philippe Portier explique que l’article 4 de la Constitution de 1953 fait de l’Eglise évangélique luthérienne l’Eglise nationale danoise, la plaçant ainsi au cœur du système étatique, l’Etat apportant un soutien à la fois symbolique (par le cérémonial du sacre royal, mais aussi la gestion de l’état civil et des cimetières qui lui est confiée) et financier à cette confession. Cette prise en charge des frais de fonctionnement et d’équipement ne va pas sans contrôle du parlement. Des subventions partielles sont accordées aux autres confessions pour des activités culturelles et sociales.

En Grèce, explique le politologue, la Constitution de 1975 a été promulguée sous les auspices de la Sainte Trinité, et il est clairement indiqué que "la religion dominante est l’Eglise orthodoxe orientale". Le modèle est assez proche de celui du Danemark, le soutien de l’Etat étant à la fois symbolique (pour les prestations de serment par exemple) et financier (subvention annuelle, les prêtres sont salariés par l’Etat, déduction fiscale sur le patrimoine). On note aussi des traces de contrôle par l’Etat. Mais ce modèle est aussi marqué par des limitations de l’expression publique des autres confessions.

La persistance de ce modèle met en cause la théorie de sécularisation de Max Weber. Comment expliquer la présence de ces traces de pré-modernité dans la modernité, se demande ainsi Philippe Portier. Pour une raison doctrinale d’abord. Dans ces zones non-catholiques, les Etats n’ont pas eu besoin de se dissocier des Eglises dominantes pour conquérir leur souveraineté. Celles-ci n’ont en effet pas fait obstacle à l’émancipation du politique et ont accompagné l’advenue du régime de la Nation. Il a donc été possible de pérenniser cette alliance. Une autre explication de cette compénétration de l’Eglise et de l’Etat dans un régime de modernité est de nature sociale. Dans ces deux zones, la population est opposée à une relégation de l’église dominante dans la sphère privée, la confession étant perçue comme constitutive de l’identité nationale.

Dans les pays latins en revanche, le principe de séparation s’est affirmé tout au long de l’histoire. Là aussi, on peut expliquer cette tendance par une raison doctrinale. Le gouvernement moderne a en effet confronté à un autre type de théologie, l’Eglise catholique réclamant un droit de contrôle sur les activités de l’Etat et ne reconnaissant pas l’autonomie du politique. Et puis, sur le plan social, la vision de l’identité nationale varie dans ces pays selon le rapport à la religion, faisant de cette question un motif de déchirure. "En Espagne, tout le monde court après le prêtre, les uns avec une croix, les autres avec un bâton", résume Philippe Portier.

Les principes du système de séparation sont d’une part une extra-déité étatique établie, l’Etat étant en dehors du système de fonctionnement des églises, et d’autre part le principe de l’égalité confessionnelle.

Il existe différents modèles de séparation, précise Philippe Portier qui distingue dans un premier temps les systèmes de séparation souple (en Autriche, Belgique, Allemagne par exemple, mais aussi dans les pays de la Mitteleuropa) où les liens de coopérations sont maintenus entre la sphère religieuse et l’Etat. En Allemagne par exemple, la loi fondamentale de 1949 n’établit pas de religion d’Etat tout en reconnaissant une importance symbolique aux églises (le dimanche est un jour chômé et la responsabilité du peuple devant Dieu et devant les hommes est mentionnée dans le préambule). Les corporations de droit public se voient accorder un soutien financier et sont dotées d’un pouvoir de taxation.

Dans les systèmes de séparation stricte (que l’Italie, le Portugal, l’Espagne et la France connaissent ou ont connu à certains moments de leur histoire), il n’y a ni soutien symbolique de l’Etat, ni reconnaissance de droit public, ni subvention, ni salaire. Et la jurisprudence administrative y est, en France tout au moins, très attentive.

Philippe Portier identifie deux facteurs à l’émergence de ces deux modèles. La France (mais c’est aussi le cas de l’Espagne et de l’Italie) n’a pas connu la réforme et la religion est considérée comme un symbole du fanatisme du fait que l’Eglise catholique est restée figée dans une intransigeance réfractaire à la modernité. Et puis le pays est marqué par un anticléricalisme de combat. En Allemagne au contraire, l’expérience religieuse est vécue comme une des voies possibles. On a donc deux récits différents de la rationalisation politique, la continuité étant possible en Allemagne, tandis qu’une rupture entre modernisation et attachement à un dogme religieux s’est imposée en France. Par ailleurs, sur le plan politique, les catholiques français n’ont pu, jusque dans les années 40, accéder à la sphère de décision gouvernementale. Au contraire, dans les démocraties de la Mitteleuropa, les négociations se sont faites avec les élites et l’Eglise a pu obtenir de réponses plus favorables à ses revendications.

Vers une homogénéisation ? L’européanisation des politiques religieuses

Le paysage est cependant beaucoup plus dynamique que ne laisse penser à première vue le tableau esquissé. Philippe Portier évoque en effet une évolution ces 20, 30 dernières années qui va vers une superposition des modèles et laisse deviner une possibilité de leur rapprochement. Si des traces de nos origines se maintiennent, la reconfiguration des Etats et de leurs relations avec les églises est en cours, argue Philippe Portier.

Cette évolution est le fruit d’une transformation des contextes, avance le politologue. La marqueterie juridique européenne est en effet bousculée par deux dynamiques conjointes.

Des dynamiques internes d’abord. L’évolution des sociétés nationales est en effet marquée par une réduction des identifications religieuses aux églises historiques, par une augmentation du nombre de sans-religions et par une pluralisation des paysages religieux, l’immigration bousculant les systèmes. Philippe Portier évoque aussi une évolution de la conscience sociale et politique marquée  par l’incertitude. La politique n’ayant plus les moyens de son autoperpétuation, elle doit s’appuyer sur des forces sub-politiques, parmi lesquelles les Eglises. Autre évolution sociétale, l’importance de la reconnaissance, la société devant faire positivement droit aux demandes de reconnaissance identitaire des individus, ce qui a tendance à bousculer le système de séparation.

La tendance à la convergence relevée par Philippe Portier s’explique aussi par des dynamiques externes. Le politologue relève à ce titre notamment l’influence du droit européen qui n’est certes pas directe, mais a cependant une incidence sur les régimes nationaux de régulation du droit. Il affirme en effet une conception large de la liberté qui remet en cause le système de séparation stricte. Le système de la confessionnalité est lui bousculé par la nécessité d’égalité.

Cette évolution débouche sur une transformation des modèles nationaux et des pratiques, observe Philippe Portier. Il constate ainsi un mouvement croisé. Les systèmes de la confessionnalité ont tendance à s’ouvrir à la pluralité, à la perspective de la différence. Les reconnaissances exclusives sont ainsi peu à peu remises en cause, comme ce fut déjà le cas en Suède en 2000. D’un autre côté, on observe pour les systèmes de séparation un phénomène de réassociation entre Etat et religion. L’Etat prend en effet de plus en plus au sérieux l’affirmation de la religion. L’aide financière n’est plus taboue en France. La religion est réintégrée dans la sphère publique d’Etat : on y fait référence, on fait appel à ses ressources de liens et de sens.

Pour Philippe Portier, on assiste donc à la construction d’un modèle européen de régulation du croire qui est basé sur trois grands principes : la reconnaissance, - par un soutien positif de l’Etat à toutes les religions qui prend la forme d’une sorte de "laïcité bienveillante" -, l’égalité, - par une ouverture à la pluralité des cultes -, et enfin la raisonnabilité, la cohésion, qui consiste en une reconnaissance du religieux à condition qu’il accepte de ne pas remettre en cause l’ordre constitutionnel qui lui permet d’exister. Une tendance qui rejoint la définition que Michel Foucault donnait du néolibéralisme : une affirmation de la reconnaissance de la subjectivité allant de pair une multiplication des surveillances.

Daniel Spizzo - La passion européiste qui a présidé à la naissance des eurorégions est-elle menacée par le souci de la Commission de pousser ces dernières à institutionnaliser leurs relations dans le cadre de GECT ?

Daniel Spizzo, professeur à l’Université de Trieste, s’est intéressé pour sa part aux eurorégions. Pour lui, dans ces espaces transfrontaliers, on a vu naître d’en bas, et non d’en haut, des idées d’Europe, des formes diverses d’identité européenne. Et ce dès les années 50, qui ont vu naître le premier de ces régimes internationaux nés de la pratique de la coopération multi-niveaux sur un espace transfrontalier. Ce processus a été très vivace après 89 et on comptait en 2006 168 eurorégions à travers toute l’Europe. Leurs protagonistes sont des européistes convaincus selon Daniel Spizzo, et la signification qu’ils donnent de l’idée d’Europe est très variée, preuve d’une grande richesse.

Daniel SpizzoDaniel Spizzo s’est essayé à classifier ces eurorégions selon deux variables : leur degré d’intégration et leur degré de participation. En croisant ces deux paramètres on arrive donc à différents types d’eurorégions : celles, peu nombreuses, qui combineraient un bas degré d’institutionnalisation et un bas degré de participation, d’autres, que le chercheur appelle "lettres mortes", qui sont dotées d’une structure institutionnelle sans pour autant mettre en œuvre de réelle coopération (souvent créées pour capter des fonds structurels, selon Daniel Spizzo ). On trouve aussi des eurorégions fonctionnant selon "un régime tacite", qui ont donc un fort degré de participation mais un faible niveau d’institutionnalisation et enfin celles qui sont dotées d’un "régime complet", bénéficiant à la fois d’un fort niveau de participation et d’un haut degré d’institutionnalisation.

Selon le chercheur, on peut distinguer trois grandes phases dans le processus historique qui a vu la multiplication de ces eurorégions :

  • Avant 1989, une période où la négociation avait préséance et qui a vu naître une pratique de la gouvernance multi-niveaux,
  • 1989-2006, une période très prolixe marquée par la transformation produite par les pressions venues du bas (bottom-up)
  • Après 2006, période qui est pour Daniel Spizzo frappée du sceau de l’imposition et qui est marquée par une approche intergouvernementale.

Cette rupture de l’année 2006, Daniel Spizzo l’attribue à la création des GECT, outil introduit par un règlement qui répond à une volonté de pousser les territoires à institutionnaliser leurs relations. Daniel Spizzo compte une vingtaine de GECT en 2011. Mais pour lui, cette innovation a en fait ralenti le processus qui a vu éclore tant d’eurorégions au fil de la construction européenne. Car il a posé des limites juridiques et donné un rôle aux gouvernements nationaux. Daniel Spizzo cite ainsi l’exemple d’un GECT qui a dû attendre cinq ans avant que le gouvernement italien ne cesse de bloquer sa création.

Dans ses propositions pour la politique de cohésion 2014-2020, la Commission entend réformer les GECT. Elle a en effet analysé une trentaine de points critiques dans le règlement tel qu’il est appliqué aujourd’hui. Pour Daniel Spizzo, il y a là un risque de bloquer le processus. De plus, la réflexion menée pour créer de grandes macro-régions dans le cadre de la future politique de cohésion risque selon lui de poser des problèmes aux petites eurorégions qui ont des fonctions opérationnelles. Pour Daniel Spizzo, il faudrait au contraire continuer de favoriser la passion européiste qui s’est manifestée dans la création des eurorégions. Or, le nouveau centralisme des politiques anti-crises met à ses yeux un frein à cette approche de la coopération territoriale.

Arco Timmermans – Les agendas politiques : un objet d’études qui mérite l’attention

Arco Timmermans mène ses recherches auprès de l’Institut Montesquieu qui réunit cinq universités néerlandaises autour d’un projet de recherche multidisciplinaire sur les affaires européennes.Arco Timmermans

Un de ces centres d’intérêt concerne les agendas politiques dans l’UE. Un sujet qui permet à la fois de mesurer l’évolution des relations entre les différents acteurs, mais aussi de voir comment les problèmes politiques vont et viennent sur les agendas, en fonction des priorités qu’il est nécessaire de se fixer, mais aussi de la réactivité requise dans certains moments où l’actualité s’impose sur les agendas.

Car tout est question d’attention, les canaux et les formes - à long terme, à court terme, par vague venant interagir avec les plannings administratifs et politiques établis - de cette attention nécessitant d’être étudiés. Tout autant que la façon dont les politiques, parfois confrontés à des problèmes de légitimité, sont poussés parfois à ouvrir ces canaux de l’attention pour mettre à l’ordre du jour certains problèmes, ce qui n’est parfois pas sans risque.

Dans les Etats membres comme dans l’UE, il y a d’une part des problèmes d’ordre technique, qui appartiennent à un monde de dossiers et de fiches, et d’autre part les problèmes d’ordre dramatique qui relèvent eux d’un monde de mobilisation de masse. Or on observe à long terme que l’attention apportée aux sujets que l’on voit comme des problèmes dramatiques est plus grande généralement que celle que l’on accorde aux sujets plus techniques. Les organisations ont en effet une capacité limitée à traiter les informations, et elles doivent donc, comme tout un chacun, filtrer, occulter certaines de ces informations. Ce qui conduit parfois à l’inaction face à un problème occulté, ou à sur-réagir à certains autres. La recherche appliquée que veut mener Arco Timmermans pourrait donc être fort utile pour la gouvernance, et elle pourrait contribuer au débat.