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Economie, finances et monnaie
Dans une intervention où il explique toute la gravité de la crise, Luc Frieden plaide pour un plan décennal de réformes structurelles au Luxembourg visant un excédent budgétaire constant
15-11-2011


Le 15 novembre 2011, le ministre des Finances, Luc Frieden, a pris la parole sur la crise financière, bancaire et des dettes souveraines qui ébranle l’UE devant le "Finanzforum" de la Deutsche Bank et de la Börsenzeitung à Luxembourg, s’adressant à un public d’une trentaine de personnes – qui avaient versé une obole de 400 euros pour l’entendre – et quelques journalistes, dont Michèle Sinner, du Letzeburger Land, Helmut Wyrwich du Tageblatt et Andreas Holpert du Luxemburger Wort, dont les articles recoupés sont des sources fiables de cette contribution qui essaie de résumer les messages-clés du ministre.

"Un cercle vicieux auquel il est en fait impossible d’échapper"

Une crise des banques s’annonce, sur laquelle les Etats devraient intervenir, alors que certains n’ont plus d’argent. Les obligations de certains Etats, qui constituent le noyau de l’euro, sont sous pression. C’est le cas pour la Belgique, les Pays-Bas, la France et l’Autriche. Les taux des obligations allemandes augmentent. La contagion a pris son chemin. Il s’agit là d’un "cercle vicieux auquel il est en fait impossible d’échapper", selon Luc Frieden.

L’Etat ne peut pas tout faire

La faute n’incombe pas qu’aux banques, d’après Luc Frieden : "Nous - et là je ne pense pas à moi en tant que ministre des Finances du Luxembourg, même s’il y aurait aussi ici des points à critiquer, mais je pense en général à l’Europe et au monde – avons promis aux citoyens que l’Etat peut tout faire, même s’il doit pour cela lever beaucoup d’argent", rapporte ainsi Michèle Sinner. Le temps est donc arrivé de passer d’une politique qui n’est plus crédible à une politique convaincant tout en leur expliquant que l’Etat ne peut pas tout faire. 

Cohésion sociale et nouveau type de débat autour d’un plan décennal

La réduction de la dette publique et du déficit budgétaire doit selon le ministre Luc Frieden néanmoins tenir compte de la cohésion sociale.

Les Etats de la zone euro doivent en premier lieu respecter le pacte de stabilité.

L’effort du Luxembourg, qui a toujours respecté le pacte de stabilité, consiste à atteindre à moyen terme un excédent budgétaire de 0,5 à 0,8 % du PIB pour assurer le financement par l’Etat de sa contribution aux assurances sociales et aux pensions, et ce par le biais d’une politique ciblée sur le moyen et le long terme formulée dans le cadre d’un plan décennal.

Ce plan décennal devrait être formulé dès 2012 de manière telle qu’il soit créateur d’emplois et favorise la croissance de la place financière. Il serait assorti de réformes structurelles, d’une réforme des systèmes de pension et de leur financement. "Si nous ne voulons pas avoir des problèmes en 2020 ou 2030, nous devons prendre des mesures maintenant", a dit Luc Frieden, cité par Andreas Holpert.

L’établissement d’un tel plan décennal implique pour Luc Frieden un autre type de débat, avec des interlocuteurs ouverts aux arguments et prêts à regarder au-delà des limites de leur parti. "Nous ne devons pas, et je dis cela aussi pour ce pays-ci, réduire le débat à des discussions à huis clos entre salariés et patronat », a dit Luc Frieden, ainsi que le cite Michèle Sinner. Andreas Holpert quant à lui rapporte que le ministre a insisté sur la nécessité de prendre des décisions sur une base éthique à la lumière de l’intérêt général.

Dans le cadre de la crise des dettes souveraines, Luc Frieden pense que l’aide à la Grèce "n’est pas une aide pour un autre pays, mais une aide pour la stabilité de la zone euro". Bref, il faut faire comprendre aux citoyens qu’ainsi, "nous nous sauvons nous-mêmes". Une chose que beaucoup de décideurs politiques européens ont selon lui omis de faire chez eux.  

Il faut par ailleurs veiller à ce que "les gens les plus démunis ne perdent pas leur confiance dans le futur et les institutions, car ce serait là une autre crise, et elle serait bien pire que celle que nous vivons actuellement".

Une démocratie mise en cause qui doit revoir ses dispositifs

Tout en saluant la formation de gouvernements technocratiques issus d’une union nationale pour lutter contre la crise, comme cela a été le cas en Grèce et en Italie, Luc Frieden a mis en garde contre une mise entre parenthèses de la démocratie, "car la réponse ne peut pas être que des technocrates non élus se substituent à la politique". Michèle Sinner cite ici longuement le ministre : "Je ne dis pas cela parce que je crois que les uns seraient meilleurs que les autres. Mais nous vivons dans une démocratie parlementaire et l’opinion se forme au sein d’un parlement et débouche sur des décisions prises à la majorité, et ces décisions majoritaires devraient refléter l’opinion du peuple." Bref, pour pouvoir agir, ces experts ont besoin du soutien du peuple et de la majorité du parlement.

Une des lacunes de la démocratie parlementaire est pour Luc Frieden la lenteur de ses processus décisionnels et son décalage avec les décisions des marchés. Au Conseil ECOFIN, l’unanimité est de mise, et il n’est pas rare que des considérations nationales ou l’approbation d’une décision qui dépend d’un mandat impératif donné par un parlement national retardent la prise de décision. Or, des décisions sur la mise en place de l’ESM ou d’un Fonds monétaire européen – qui devrait venir selon le ministre en 2013 - devraient pouvoir être prises en un mois. La même chose vaut, selon Luc Frieden, pour des décisions du Conseil ou d’un sommet, qui devraient être applicables en 48 heures. Pour tenir le rythme des marchés financiers, la démocratie devrait donc revoir ses dispositifs, comme par exemple se faire donner des mandats plus généraux avant de grandes décisions au niveau européen. 

Luc Frieden n’est pas non plus a priori contre le recours à un référendum. En principe, un pays devrait avoir le droit de quitter la zone euro. Mais un dégagement complet aurait non seulement des conséquences économiques, mais aussi politiques, et un assaut des banques en Europe du Sud pourrait conduire à un écroulement du système bancaire européen. 

Le coût de la lenteur

Luc Frieden a par ailleurs abordé les discussions techniques sur le levier dont l’EFSF devrait être doté avec le recours au secteur privé, pour arriver à lever jusqu’à 1000 milliards, des discussions qui se prolongent : "Je dis clairement, si le débat dure trop longtemps, si une solution définitive et acceptée par les marchés n’est pas sur la table dans les huit ou quinze jours, nous devrons augmenter les garanties des Etats pour l’EFSF", rapporte Michèle Sinner). Cela ne resterait pas sans conséquences pour les finances publiques luxembourgeoises.