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Protection des consommateurs
Elise Poillot, de l'Université de Luxembourg, a livré des explications et une analyse détaillées de la directive sur les droits des consommateurs
23-11-2011


elise-poillot-seminaire-midiÀ l’occasion d’un séminaire de midi organisé à l’Université du Luxembourg le 23 novembre 2011, Elise Poillot, professeure de droit civil à l’Université du Luxembourg, a présenté les principaux apports de la nouvelle directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs adoptée le 11 octobre 2011 par le Parlement européen et le Conseil.

Cette nouvelle directive abroge les directives 85/577/CEE et 97/7/CE relatives aux contrats conclus en dehors des établissements commerciaux et aux contrats à distance. La directive 2011/83/UE s’applique « dans les conditions et dans la mesure prévues par ses dispositions, à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur » comme le stipule l’article 3.

La directive relative aux droits des consommateurs réforme notamment en profondeur le droit de rétractation du consommateur et va contraindre à des changements le très récent code de la consommation luxembourgeois.

Selon Elise Poillot, "même si le contenu reste très éloigné du projet présenté en 2008", les modifications que la directive entraîne dans le paysage législatif européen sont toutefois importantes.

La directive 2011/83/UE et son articulation par rapport aux précédents acquis européens et nationaux

Au niveau européen, la directive 2011/83/UE se présente sous la forme d’un texte de droit commun pour Elise Poillot. C’est pour cette raison qu’elle a évoqué l’adage latin «"generalia specialibus non derogant", qui suppose que cette directive ne dérogera pas aux dispositions  antérieures prévues par d’autres textes dans certains types de contrats spécifiques qui seraient contraires à ses propres dispositions.

L’article 3 de la directive dit que le champ d’application s’étend à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur. Au regard de ce qu’a exprimé Elise Poillot, c'est-à-dire que la directive est un texte de droit commun, une disposition qui sort de ce champ d’application et qui s’applique dans un type de contrat spécifique primera donc sur les dispositions de la nouvelle directive. Les contrats financiers sont un exemple pour cela, car ils sont exclus du champ d’application de la directive 2011/83/UE et obéissent à des dispositions spécifiques.

Par rapport aux acquis dans les différents droits nationaux des Etats membres, Elise Poillot a tenu à souligner le niveau d’harmonisation spécifique de la directive. Selon ses dires, la directive fait l’objet d’une "harmonisation totale ciblée" qui est inscrite à l’article 4. La professeure de droit civil de l’Université de Luxembourg considère que cette directive est très détaillée quant à ses dispositions et laisse peu de marge de manœuvre aux Etats membres. Comme exemple, Elise Poillot a expliqué que le texte de la directive va même jusqu’à prohiber la fixation d’un niveau de protection du consommateur plus élevé que celui de la directive par les Etats membres.

Un conflit d’ordre conceptuel identifié au sein de la directive 2011/83/UE par Elise Poillot

Elise Poillot a soulevé une contradiction entre l’article 2 (1) de la directive et son 13e considérant. À l’article 2 (1) le consommateur est défini comme "toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale".

Au 13e considérant, la directive permet aux États membres "par exemple de décider d’étendre l’application des règles de la présente directive à des personnes morales ou physiques qui ne sont pas des 'consommateurs' au sens de la présente directive, comme les organisations non gouvernementales, les jeunes entreprises ou les petites et moyennes entreprises".

Une contradiction est donc visible car la directive s’adresse aux consommateurs qui sont définis à l’article 2 (1) de la directive. Pourtant au 13e considérant, une interprétation plus libre de cette définition de consommateur est proposée aux Etats membres. Bien qu’un considérant n’ait pas réellement de poids juridique face à un article juridique, une telle contradiction peut poser des problèmes dès la transposition, selon Elise Poillot. 

Le contenu de la directive apporte son lot de nouveautés

En ce qui concerne le contenu de la directive, Elise Poillot  a tout d’abord noté que celui-ci a connu une évolution dans deux domaines, à savoir les exclusions ou bien la prise en compte de certains types de contrats dans le champ d’application de la directive.

Les exclusions

Dans le cadre des exclusions de certains types de contrats du champ d’application de la directive, ces exclusions se sont étoffées par rapport aux autres directives sur les contrats conclus hors des établissements commerciaux et les contrats à distance.

Les exclusions qui concernaient auparavant seulement les contrats conclus hors établissement sont maintenant étendues aux contrats à distance. En sus, des nouvelles exclusions sont apparues comme par exemple, celle des contrats des services de santé et celle des contrats de jeux d’argents – contrats qui ne sont pas concernés par cette nouvelle directive.

Les types de contrats nouvellement concernés par la directive

Les contrats souscrits dans le cadre des foires et autres manifestations commerciales situées en dehors des locaux des établissements commerciaux sont concernés par la directive 2011/83/UE.

En évoquant un autre aspect du contenu de la directive, Elise Poillot a aussi fait la distinction entre les règles applicables aux contrats conclus hors établissements et les contrats à distance et les règles applicables aux autres contrats.

Les règles applicables pour les contrats autres que ceux conclus hors établissements ou à distance

La directive suppose que - pour tous les contrats conclus entre un consommateur et un professionnel autres que ceux conclus hors établissements ou à distance - une obligation d’information existe. Cette obligation d’information est stipulée à l’article 5 et est d’essence classique. Elle suppose un « formalisme informatif »qui se définit par la présence des caractéristiques essentielles du bien ou du service, par l’identité du professionnel et par les obligations légales.

Ces règles sont donc applicables aux contrats de vente de consommation. La directive fixe aussi à l’article 18 le délai maximum de livraison à trente jours sauf stipulation contractuelle contraire.

La sanction en cas de non-respect de ces règles est la résiliation unilatérale au profit du consommateur dès qu’il aura enjoint le professionnel de s’exécuter dans "un délai supplémentaire adapté aux circonstances."

Un autre point soulevé par Elise Poillot est celui du transfert des risques du professionnel vers le consommateur. En effet, lorsque le consommateur prend physiquement possession du bien, alors les risques de perte ou d’endommagement lui sont transférés (article 20).

La directive permet aussi un plafonnement des frais d’utilisation d’un moyen de paiement donné (article 19). Un professionnel ne pourra donc pas «  facturer aux consommateurs des frais supérieurs aux coûts qu’ils supportent pour l’utilisation de ces mêmes moyens ». La sanction en cas de violation de cette règle relève de l’autorité des Etats membres.

Elise Poillot a aussi souligné l’interdiction de surtaxes des lignes téléphoniques permettant au consommateur de contacter le professionnel ( article 20) et l’interdiction de frais supplémentaires imposés au consommateur sans son consentement exprès - notamment ceux obtenu par le mécanisme de l’option par défaut. Dans le cas ou de tels frais sont supportés par le consommateur celui-ci peut en demander le remboursement (article 22).

Les règles spécifiques applicables aux contrats hors établissements et aux contrats à distance

Selon Elise Poillot, les règles applicables sont généralement les mêmes que celles applicables aux autres contrats. Mais il arrive que le traitement soit spécifique.

En ce qui concerne l’obligation d’information, elle reste la même que pour les autres contrats visés par la directive, excepté que des innovations ont été apportées par la directive à savoir, celle de l’information sur le mode de paiement et celle sur les modalités de livraison et d’exécution.

Une plus grande spécificité des informations a été introduite, dépendant notamment de la technique contractuelle utilisée. Pour les contrats à distance par exemple, l’information sur une possible restriction de livraison est introduite – notamment dès le début des processus de commandes en ligne - et pour les contrats électroniques, un nombre d’informations très précises doivent être exposées au consommateur avant son paiement - si la commande nécessite un paiement obligatoire.

Le professionnel doit en outre fournir "les fonctionnalités du contenu numérique, y compris les mesures de protection technique applicables" ainsi que "toute interopérabilité pertinente du contenu numérique avec certains matériels ou logiciels" dont il a ou devrait raisonnablement avoir connaissance (article 6).

Le droit de rétraction pour les contrats conclus hors établissements et les contrats à distance

La directive prévoit un droit de rétractation dans deux cas de figure : celui où le consommateur a déjà conclu le contrat et celui où le consommateur a fait une offre. Ce droit de rétractation produit de plein droit la résolution du contrat.

La directive 2011/83/UE a pris l’orientation d’un régime unifié pour les deux types de rétractations. le consommateur  dispose de "quatorze jours pour se rétracter d’un contrat à distance ou d’un contrat hors établissement sans avoir à motiver sa décision et sans encourir d’autres coûts", ce qu’Elise Poillot conçoit comme une "bonne chose".

La forme de la rétractation est libre mais un formulaire existe en annexe de la directive afin de pouvoir exercer ce droit plus facilement.

L’article 10 spécifie aussi que la durée du droit d’exercice du droit de rétraction est de douze mois si "le professionnel omet d’informer le consommateur de son droit de rétractation". Elise Poillot considère ce délai comme plus sévère, comparé aux précédents textes, mais le trouve « tout à fait acceptable » car il permet de garantir une certaine sécurité juridique.

Néanmoins, elle trouve regrettable que pour les contrats conclus hors établissements, le droit de rétractation ne s’applique pas à "la fourniture de biens ou de services dont le prix dépend de fluctuations sur le marché financier échappant au contrôle du professionnel et susceptibles de se produire pendant le délai de rétractation".

"Les services et les contrats à contenu numérique non fourni sur un support matériel dont l’exécution a commencé avec l’accord exprès du consommateur" sont aussi exclus du champ d’application du droit de rétractation selon les informations fournies par Elise Poillot.

Distinction entre renvoi du bien et rétractation

La directive fait aussi une distinction entre le droit de rétractation et le renvoi du bien. L’article 14 (1) énonce que le consommateur doit « au plus tard quatorze jours suivant la communication de sa décision de se rétracter du contrat au professionnel » renvoyer ou rendre les biens concernés.

Des questions d’interprétations subsistent: "un terrain propice à de nombreuses questions préjudicielles"

Elise Poillot a souligné certaines questions qui ressortent de l’analyse de cette directive. Lorsqu’un consommateur n’a pas été informé de son droit de rétractation et celui-ci souhaite par la suite se rétracter, il n’est pas responsable pour la dépréciation du bien selon la directive.

Mais quelle est la portée réelle du terme dépréciation ? Pour Elise Poillot, cette question va être "un terrain propice à de nombreuses questions préjudicielles". Pour la professeure de droit civil à l’Université du Luxembourg, une analogie pourrait être faite pour expliquer le terme dépréciation qui pourrait se comprendre comme une usure. Cette analogie se ferait avec les dispositions relatives aux services où le consommateur qui se rétracte, alors qu’une partie du service a déjà été exécutée, doit s’acquitter d’un "montant qui est proportionnel à ce qui a été fourni jusqu’au moment où il a informé le professionnel de l’exercice du droit de rétractation par rapport à l’ensemble des prestations prévues par le contrat" (article 14 (3)).

La transposition de la directive en droit luxembourgeois

Pour Elise Poillot, la transposition de la directive en droit luxembourgeois aura certaines répercussions. Tout d’abord certains ajustements du Code de la Consommation luxembourgeois devront être faits notamment à l’article L 111-1 sur l’obligation générale d’information. Certaines obligations spécifiques devront aussi être ajustées.

Un autre aspect intéressant avec la transposition de la directive est la fin de la prohibition du colportage au Luxembourg avec l’intégration de dispositions présentes dans la nouvelle directive sur les contrats hors établissements.

Aux de yeux d’Elise Poillot, il est important que la transposition de la directive soit claire et intelligible et que grâce à ce "toilettage" la jurisprudence européenne (Putz et Weber) en matière de garantie de conformité soit insérée. Elle souhaite aussi voir insérer dans le code de la consommation  "le régime du relevé d’office – impérativement - en matière de clause abusive et - optionnellement - pour le reste du code".