Au cours de la séance publique du 15 décembre 2011, la Chambre des députés s’est penchée sur le projet de loi 5660B qui concerne l'exercice de la profession d'avocat sous forme d'une personne morale. Ce projet modifie la loi du 10 août 1991 sur la profession d'avocat. Le rapporteur pour ce projet de loi a été Gilles Roth (CSV). Le projet de loi a été adopté avec 59 voix en faveur du projet et une abstention non motivée.
L’innovation majeure du projet de loi consiste à élargir le droit d’association entre avocats, consacré à l’article 34, paragraphe (1) de la loi du 10 août 1991 sur la profession d’avocat. Ceux-ci sont désormais autorisés à s’associer dans une personne morale qui aura la forme d’une société commerciale. Le caractère civil ou la nature civile de l’association est maintenu et les avocats sont toujours soumis à l’interdiction d’exercer une quelconque activité commerciale, artisanale ou industrielle. À ce titre, Gilles Roth a rappelé que l’avocat ne "sera pas un commerçant mais il pourra être membre d’une société".
Cette personne morale prendra la forme, soit d’une société civile, soit d’une société ayant la forme d’une des sociétés telles que prévues à l’article 2 de la loi sur les sociétés commerciales. La société créée par un avocat aura donc une personnalité juridique à part entière et devra être inscrite au barreau.
Deux nouvelles listes seront donc ajoutées au tableau des avocats. La première est une liste dite "V" qui comprend les personnes morales qui exercent la profession d’avocat et qui ont un ou plusieurs associés (personne physique) qui sont eux inscrit(s) à la liste dite "I" des personnes qui exercent elles une influence significative sur l’activité de la personne morale au Luxembourg. La deuxième liste est la liste dite "VI" qui reprend les autres personnes morales qui exercent la profession d’avocat. Pour s’inscrire au barreau, la société d’avocats devra néanmoins remplir toutes les conditions initiales qu’un avocat doit remplir. Les membres du Conseil d’administration devront êtres des avocats.
La société sera soumise à l’impôt commercial et à une taxe d’exploitation. Cette société pourra évidemment aussi faire faillite.
La possibilité de créer une société pour les professions libérales existe déjà au Luxembourg. La loi autorise les architectes et ingénieurs-conseils, les experts-comptables et les réviseurs d’entreprises à fonder une société commerciale.
Un autre aspect important de la loi est que la restriction sur le choix d’un des deux barreaux luxembourgeois a été levée et les sociétés commerciales d’avocats pourront donc exercer devant les deux barreaux luxembourgeois (Luxembourg et Diekirch)
Dans les autres Etats membres de l’UE, la différence au sein de la profession d’avocat existe entre un avocat-contentieux et un avocat d’affaires. La question de savoir si une subdivision de la profession d’avocat était viable à Luxembourg s’est posée notamment à cause de la spécificité du système juridique luxembourgeois qui recourt à trois langues officielles.
Au Luxembourg, le concept de la subdivision des avocats en deux catégories n’existe pas et l’unicité de la profession d’avocat prévaut. Le projet de loi 5660B voté à la chambre le 15 décembre 2011 a maintenu cette unicité malgré une procédure d’infraction engagée par la Commission.
Une bonne représentation à Luxembourg passe par l’unicité de la profession selon les barreaux luxembourgeois. Afin d’être avocat au Luxembourg, il faut donc maîtriser les trois langues officielles.
Les barreaux luxembourgeois ont à ce sujet clairement exprimé leur volonté de maintenir l’unicité de la profession d’avocat car en règle générale pour bénéficier d’une bonne représentation au Luxembourg – à titre d’exemple les procès verbaux sont rédigés en allemand et le journal officiel, le Mémorial, est en français -, il est nécessaire qu’un avocat connaisse les trois langues officielles notamment dans certaines matières spécifiques telles que le droit pénal.
Le problème est qu’une procédure d’infraction a été engagée par la Commission européenne à l’égard du Luxembourg à cause justement de cette obligation de connaissance des trois langues officielles.
La Commission est d’avis que sur ce point, que tous les domaines de la profession d’avocat à Luxembourg ne nécessitent pas forcément la connaissance des trois langues et que donc cette obligation est discriminatoire dans le cadre du principe de libre établissement prévu par les traités européens. La Commission plaide donc en faveur d’une distinction au sein de la profession d’avocat qui permettrait l’existence d’avocats-contentieux et d’avocats d’affaires.
La commission juridique de la Chambre a quant à elle fourni une analyse nuancée en ce qui concerne l’introduction d’une subdivision au sein de la profession d’avocat en droit luxembourgeois. La commission juridique a tenu à souligner que des réflexions quant à l’opportunité d’introduire un système d’avocat-contentieux et d’avocat d’affaires devront être menées à l’avenir. Néanmoins vu qu’une telle demande n’existe pas de la part des organes représentatifs de la profession d’avocat qui sont en charge de sa réglementation, le projet de loi n’avait de nécessité de poursuivre cet objectif.
Xavier Bettel, député membre du parti démocratique (DP), a exprimé une certaine inquiétude quant à la non-prise en compte d’une telle subdivision. Selon lui, "il est compréhensible que la profession ne souhaite pas une telle subdivision mais le Luxembourg, en maintenant cette position, pourrait clairement s’exposer à une sanction de la Commission européenne". Xavier Bettel pense qu’ "offrir les deux possibilités permettraient de remplir les critères espérés par la Commission et pourrait s’articuler de manière à ce que les avocats-contentieux soient dans l’obligation de connaître les 3 langues officielles luxembourgeoises et que les avocats d’affaires ne soient pas soumis à cette obligation".
Pour Alex Bodry, député et président du LSAP, "il n’y a pas de raison urgente de changer le système actuel, car à ce stade trop peu d’arguments plaident en faveur d’un système instaurant une subdivision de la profession". Selon le député socialiste, la spécificité du système luxembourgeois entraîne la nécessité d’éviter une subdivision de la profession même s’il admet que cette argumentation pourrait poser des problèmes devant la Cour de Justice de l’UE (CJUE).
Jacques-Yves Henckes, député ADR, a soulevé de nombreuses possibilités afin que le luxembourgeois devienne une langue officielle, régionale ou bien officielle au niveau de l’UE sur base d'une demande du Gouvernement luxembourgeois. Selon lui la situation actuelle "où un juge doit parfois faire la traduction pour des avocats qui ne comprennent pas parfaitement le luxembourgeois n’est pas possible". Sa solution afin de clarifier la situation dans le monde juridique luxembourgeois est de rendre la langue luxembourgeoise officielle "grâce à un arrangement administratif". Le Luxembourg risque sinon de se voir condamner devant la CJUE selon lui.
Pour François Biltgen, les professions libérales classiques "offrent de nombreuses libertés et forcer une indépendant à devoir connaitre 3 langues n’est pas dans la logique de ce type de profession". De plus, "la plupart des avocats au Luxembourg ne sont pas là pour défendre les intérêts des citoyens luxembourgeois, mais plutôt pour travailler dans le monde des affaires" selon le ministre de la Justice qui ajoute "qu’à l’étranger toutes les études sont organisées selon cette subdivision et ne sont pas seulement composées d’avocats" et que par conséquent ce système n’a donc rien d’original. Il pense néanmoins que le projet de loi "est une bonne réponse à la situation actuelle au Luxembourg" même s'il admet qu'avec le procédure d'infraction de la Commission la situation va devenir plus compliquée.
Selon le ministre de la Justice, François Biltgen, la discussion sur l'agument selon lequel la langue luxembourgeoise devrait être reconnue par le Gourvenement luxembourgeois officiellement est "faux sujet" car la Commission ne se base pas sur un problème de choix de langue mais sur un problème de proportionnalité. Le système juridique luxembourgeois demande la langue luxembourgeoise dans des domaines où cela n’est pas nécessaire et c’est à ce titre que la Commission a engagé une procédure d’infraction. La Commission souhaite une subdivision dans la profession d'avocat qui rend un accès partiel à la profession avocat possible dans certains domaines juridiques au Luxembourg même si un avocat ne connait pas toutes les 3 langues officielle en vigueur au Luxembourg.
Dans le cas où le Luxembourg venait à être condamné - car selon le ministre de la Justice "le risque réel existe" et ne peut pas être écarté - dans la procédure d’infractions engagée par la Commission, il faudrait selon François Biltgen "réagir vite" à cause notamment du système d’astreinte prévu par le traité de Lisbonne. Mais il est d’avis que le maintien du système actuel de la profession d’avocat est un sujet pour lequel "il faut se battre pour gagner". François Bilgten est d’avis que dans l’intérêt du justiciable, "il faut respecter le fait que celui-ci puisse se présenter et s’exprimer devant un tribunal dans sa langue". Selon lui, il est nécessaire d’attendre la réaction de la Commission à la réponse luxembourgeoise qui poursuivra très vraisemblablement sa procédure d’infractions à l’encontre du Luxembourg.