Le 1er février 2012, la Commission européenne s’est opposée, en application du règlement de l'UE sur les concentrations, au projet de concentration entre Deutsche Börse et NYSE Euronext, car il aurait entraîné la création d'un quasi-monopole pour les transactions en bourse, à l’échelon international, sur les produits financiers dérivés européens. Ensemble, les deux bourses contrôlent plus de 90 % des transactions mondiales sur ces produits. L'enquête de la Commission a montré que de nouveaux concurrents auraient peu de chances de parvenir à s’imposer suffisamment sur le marché pour constituer une menace concurrentielle crédible pour l'entité issue de la concentration. Les sociétés ont notamment proposé de vendre certains actifs et d’ouvrir l’accès à leur chambre de compensation à certaines catégories de nouveaux contrats, mais globalement, les engagements pris ne suffisaient pas pour résoudre les problèmes de concurrence constatés.
Eurex, plate-forme de Deutsche Börse, et Liffe, exploitée par NYSE Euronext, sont les deux plus grandes bourses au monde pour les transactions sur produits financiers dérivés adossés à des sous-jacents européens. Elles sont en concurrence directe et chacune est pour l’autre le principal concurrent.
Le projet de concentration aurait mis un terme à cette concurrence mondiale et créé un quasi-monopole pour plusieurs catégories d’actifs, ce qui aurait pu causer un préjudice important aux utilisateurs de produits dérivés ainsi qu’à l’économie européenne dans son ensemble. La disparition d’une réelle pression concurrentielle sur le marché ferait que les clients ne pourraient plus profiter d’une concurrence par les prix. Cette situation pourrait également avoir des conséquences négatives sur l’innovation dans un secteur où l’existence d’un marché concurrentiel est essentielle à la fois pour les petites et moyennes entreprises et pour les entreprises de plus grande taille.
1. Marché concerné
L'analyse de la Commission a porté principalement sur les effets qu’aurait le projet de concentration sur les marchés des instruments financiers dérivés européens (taux d’intérêt européen, produits dérivés sur actions individuelles et produits dérivés sur indices boursiers) négociés en bourse. Elle n'a pas constaté de problèmes de concurrence importants dans d'autres domaines, comme les services de cotation et de négociation d’actions au comptant et les activités post-marché.
Les produits dérivés sont des contrats financiers dont la valeur est dérivée d’un actif sous-jacent (par exemple, un taux d’intérêt ou des actions). Les entreprises et les institutions financières les utilisent pour gérer des risques financiers. Ils sont également utilisés comme instruments de placement par les investisseurs particuliers et institutionnels – y compris les fonds de pension et les fonds communs de placement investissant pour le compte de consommateurs finaux.
Les produits dérivés peuvent être négociés en bourse ou de gré-à-gré. Les produits dérivés négociés en bourse sont des contrats très liquides, portant sur des montants relativement modestes (100 000 euros environ par transaction) et dont les conditions et modalités juridiques et économiques sont entièrement normalisées. Les produits dérivés négociés de gré à gré portent, quant à eux, généralement sur des contrats beaucoup plus importants (de l’ordre de 200 000 000 euros par transaction), dont les conditions et modalités juridiques et économiques sont établies en fonction des besoins. L’enquête a montré que les produits dérivés négociés en bourse ou de gré-à-gré ne sont généralement pas considérés comme interchangeables par les clients étant donné qu’ils sont utilisés à des fins différentes et dans des contextes différents. En outre, certains opérateurs en bourse ont des mandats ne leur permettant pas d’intervenir sur le marché de gré à gré pour des raisons de gestion des risques.
2. Quasi-monopole pour les produits financiers dérivés européens négociés en bourse
Eurex, plate-forme de Deutsche Börse, et Liffe, exploitée par NYSE Euronext, sont les deux plus grandes bourses au monde pour les transactions sur produits financiers dérivés adossés à des sous-jacents européens. Elles sont en concurrence directe et chacune est pour l’autre le principal concurrent.
Le projet de concentration aurait mis un terme à cette concurrence mondiale et créé un quasi-monopole pour plusieurs catégories d’actifs, ce qui aurait pu causer un préjudice important aux utilisateurs de produits dérivés ainsi qu’à l’économie européenne dans son ensemble. La disparition d’une réelle pression concurrentielle sur le marché ferait que les clients ne pourraient plus profiter d’une concurrence par les prix. Cette situation pourrait également avoir des conséquences négatives sur l’innovation dans un secteur où l’existence d’un marché concurrentiel est essentielle à la fois pour les petites et moyennes entreprises et pour les entreprises de plus grande taille.
Certes, d’autres sociétés, dont Chicago Mercantile Exchange (CME), fournissent des services similaires à l’échelon international, mais leur activité n’est que marginale dans les catégories d’actifs concernées. L’enquête a montré qu’en raison d’importants obstacles à l’entrée, aucun autre acteur ne serait en mesure de développer un volume d’activité suffisant dans le domaine des produits financiers dérivés européens pour que le marché demeure concurrentiel.
Eurex et Liffe exploitent des silos verticaux fermés reliant leur bourse à leur propre chambre de compensation. La fusion aurait abouti à un silo vertical unique, réalisant la négociation et la compensation de plus de 90 % des transactions mondiales de produits dérivés européens négociés en bourse. Il aurait été difficile pour tout nouvel acteur d'entrer sur le marché car les clients auraient hésité à négocier des instruments dérivés de ce type sur une autre place boursière en raison des avantages liés à la compensation de contrats similaires dans une chambre de compensation unique. Dès lors, la dynamique du marché aurait renforcé la position de monopole de l'entité issue de la concentration, entraînant une hausse des prix et limitant les incitations à innover.
Les deux sociétés ont fait valoir que l'opération de concentration serait bénéfique pour les clients, grâce à une plus grande liquidité. Toutefois, il est peu probable que l’opération envisagée donne directement de tels avantages. Par le passé, c’est la concurrence – et non le renforcement des places boursières – qui a permis d’obtenir des gains de liquidités.
Les sociétés ont en outre avancé que les clients devraient fournir moins de garanties pour les titres. Les avantages tirés devraient toutefois être moins importants que ne l’affirment les sociétés concernées par la fusion et pourraient être obtenus en partie sans cette opération.
En tout état de cause, aucun des gains d'efficacité ne serait suffisamment important pour compenser le préjudice causé aux clients par l’opération de concentration. Les éventuels avantages auraient également peu de chances d'être répercutés pleinement sur les clients en raison de la création d’une situation de quasi-monopole.
3. Mesures correctives proposées par les deux sociétés
Les deux sociétés ont notamment proposé de vendre les produits dérivés européens sur actions individuelles du Liffe qui seraient en concurrence avec ceux d’Eurex. Toutefois, les actifs cédés seraient trop limités et pas suffisamment diversifiés pour être viables par eux-mêmes.
En ce qui concerne les produits européens dérivés de taux d’intérêt, plus importants sur le plan commercial, les sociétés n’ont pas proposé de vendre les produits dérivés qui se chevauchent, mais seulement d’ouvrir la chambre de compensation de l'entreprise issue de la concentration à certaines catégories de "nouveaux" contrats. Ces mesures ont été considérées comme insuffisantes, en particulier parce qu'elles ne s’étendaient pas aux produits concurrents existants. La viabilité et l'efficacité de cette mesure corrective liée à l’accès était également une source de préoccupation majeure.
La Commission en est donc arrivé à conclure que l'opération "entraverait de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci" (article 2, paragraphe 3, du règlement sur les concentrations) et a interdit l'opération.
Étapes précédentes
L'opération de concentration avait été notifiée le 29 juin 2011. Le 4 août 2011, la Commission a décidé d’ouvrir une enquête approfondie. Le délai fixé pour l’adoption d’une décision a été prorogé deux fois afin d'évaluer les mesures correctives. Les parties ont été informées, dans une communication des griefs envoyée en octobre 2011, que la concentration telle que notifiée suscitait de vives préoccupations et, qu’en l’absence d’une mesure corrective suffisante, elle pourrait être interdite.
A Francfort et à New York, les représentants des deux bourses ont affiché leur déception face à cette décision qui n’était pourtant pas tout à fait impossible à prévoir, même si la Commission semblait afficher quelques désaccords en interne sur le sujet. Ce refus de la Commission empêche la création d’un groupe boursier de stature internationale ayant son siège en Europe, déplore ainsi Reto Francioni, de la Deutsche Börse, qui est cependant convaincu que son groupe est en mesure de continuer son expansion sans cette fusion.
Au Luxembourg, le journaliste Pierre Ley rapporte dans le Luxemburger Wort daté du 2 février 2012 la déception affichée au Luxembourg par Clearstream, qui est membre du groupe Deutsche Börse. La fusion des deux bourses aurait en effet ouvert à la société spécialisée dans les services post-négociation des possibilités de développement aux Etats-Unis, et ce alors que Clearstream, qui est par ailleurs bien implanté en Asie, est encore faiblement actif en Amérique du Nord. Cette fusion aurait pu faire de Clearstream un "global player". La déception exprimée par le porte-parole de la société qui a son siège à Luxembourg, Nicolas Nonnenmacher, est donc "extraordinaire".