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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination
Le Luxembourg scruté par le Conseil de l’Europe sous l’angle de la lutte contre la discrimination
21-02-2012


Commission européenne contre le racisme et l’intoléranceL’ECRI, la commission européenne contre le racisme et l’intolérance, créée après la Conférence de Vienne de 1993, et chargée de combattre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance dans la grande Europe, celle des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, vient de publier son 4e rapport sur le Luxembourg. Le rapport précédent datait de mai 2006.

Les progrès

Selon l’ECRI, des progrès ont été accomplis dans un certain nombre de domaines abordés en 2006. Parmi ces avancées, l’ECRI mentionne la ratification par le Luxembourg du Protocole n° 12 à la Convention européenne des droits de l’homme, un protocole qui prévoit une interdiction générale de la discrimination raciale, et l’entrée en vigueur le 1er janvier 2009 de la loi sur la double nationalité. L’ECRI salue aussi la nouvelle législation contre la discrimination raciale, avec l’adoption des lois des 28 et 29 novembre 2006 qui transposent la Directive 2000/43/CE relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique et la Directive 2000/78/CE portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

Autre pas positif, en application de ces lois : la création, en 2008, du Centre pour l’égalité de traitement (CET), l’organe luxembourgeois spécialisé dans la lutte contre la discrimination raciale.

L’ECRI met en avant, dans la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, qu’elle a changé le système d’octroi des permis de travail aux étrangers et qu‘autorisations de séjour et de travail « se trouvent désormais réunies dans un seul titre, ce qui simplifie les démarches administratives ».

Un autre développement positif est pour l’ECRI l’adoption, par le Conseil de Presse luxembourgeois, d’un Code de déontologie dans lequel il est inscrit que la presse s’engage à éviter et à s’opposer à toute discrimination pour des raisons de sexe, de race, de nationalité, de langue, de religion, d’idéologie, d’ethnie, de culture, de classe ou de convictions, tout en assurant le respect des droits fondamentaux de la personne humaine.

Ce qui préoccupe

L’ECRI a appris lors de ses consultations au Luxembourg que "l’une des principales conditions d'obtention de la nationalité luxembourgeoise est une épreuve d’évaluation de la langue luxembourgeoise parlée » et que « ce test est difficile et serait une entrave à l’acquisition de la nationalité luxembourgeoise pour un certain nombre d’étrangers".

L’ECRI pense également que la loi du 28 novembre 2006 sur la discrimination "contient certaines lacunes » et constate qu’elle "ne couvre pas la nationalité, la langue et la couleur" comme motif de discrimination. Enfin, l’ECRI pense que la loi n’est pas assez connue, ce qu’elle déduit du fait que "depuis son entrée en vigueur en 2006, aucune affaire n’a été portée devant la justice relativement à cette loi".

Le fait que le CET ne peut pas ester en justice, que ceux à qu’il s’adresse à la suite d’une plainte ne sont pas contraints de lui répondre, réduit selon l’ECRI considérablement sa capacité à répondre aux plaintes. De plus, "la nationalité n’est pas l’un des motifs couverts par le CET alors qu’environ 40 % des personnes vivant au Luxembourg sont des étrangers", constate l’ECRI. L’ECRI n’a pas non plus apprécié que le budget du CET ait été réduit. Et que son secrétariat ne soit doté que de deux personnes.

L’ECRI a aussi constaté que "très peu d’élèves étrangers intègrent la filière secondaire classique, tandis qu’ils représentent la majorité d’élèves dans l’enseignement technique". Le décrochage scolaire, particulièrement élevé parmi les élèves étrangers, et notamment ceux d’origine capverdienne, inquiète l’ECRI.

L’ECRI constate, à partir des statistiques, qu’il y a "des inégalités dans le domaine de l’emploi" du fait que "les personnes nées à l’étranger restent plus touchées par le chômage que les personnes nées au Luxembourg" et que les ressortissants des pays tiers sont plus touchés par le chômage que les ressortissants communautaires. "L’ECRI a été informée que la discrimination et le racisme existent dans le domaine de l’emploi, notamment à l’encontre des Noirs", lit-on également.

Les représentants des communautés musulmanes se sont plaints auprès de l’ECRI "que les musulmans sont toujours en train de se défendre contre les stéréotypes et préjugés concernant le terrorisme et que les autorités restent passives à cet égard".

Les recommandations de l’ECRI

De manière prioritaire, l’ECRI voudrait :

  • que le CET soit renforcé en se voyant doté du pouvoir d’ester en justice, de moyens humains et financiers nécessaires, et que les personnes ou organes auxquels il s’adresse aient l’obligation de lui répondre ;
  • que le Centre de rétention près de l’aéroport de Luxembourg soit doté d’un personnel suffisamment bien formé pour s’occuper des personnes retenues ;
  • que les ressources humaines et financières octroyées au Conseil national pour étrangers (CNE) soient augmentées et qu’il puisse accroître sa visibilité.

L’ECRI recommande aussi aux autorités luxembourgeoises

  • d’évaluer le test de langue luxembourgeoise prévu pour l’acquisition de la nationalité luxembourgeoise;
  • de modifier la loi du 28 novembre 2006 afin de s’assurer qu’elle interdit la discrimination au motif de la nationalité, la langue et la couleur;
  • de prendre des mesures pour lutter contre le taux d’abandon scolaire élevé parmi les élèves étrangers;
  • de s’assurer que les communautés musulmanes se trouvant au nord du pays disposent d’un cimetière;
  • de s’assurer que les communautés musulmanes du Luxembourg disposent d’une mosquée répondant à tous les critères;
  • de s’assurer que soient clairement définis les critères relatifs à la mise en œuvre de l’article 342 du code pénal sur la mendicité en réunion et que toute mesure prise par la police pour combattre la mendicité en réunion ne stigmatise pas et ne vise pas injustement les Roms ainsi que de lutter contre toute discrimination des Roms par les gérants de campings.

La réaction du gouvernement luxembourgeois

Le gouvernement luxembourgeois a réagi notamment à la question de la revendication par l’ECRI que des cimetières et des mosquées soient mis à la disposition des musulmans. On lit en annexe du rapport :

"La question du carré musulman dans un cimetière du Nord du pays a été discutée entre le Ministère des Cultes et le SYVICOL, syndicat des communes du Luxembourg. En effet les communes sont responsables en la matière. Un échange de lettres de 2008 a retenu que la mise à disposition devra se faire au niveau régional et relève de l’attribution des communes conformément à la loi du 1er août 1972 portant réglementation de l’inhumation et de l’incinération des dépouilles mortelles.

Les autorités luxembourgeoises rendent par ailleurs attentif au fait que la revendication de bénéficier d’une mosquée n’a pas été formulée comme objectif premier par les communautés musulmanes du Luxembourg à l’égard des autorités luxembourgeoises, notamment pas par la Shoura, assemblée des communautés musulmanes du Luxembourg, dans le cadre des discussions devant le cas échéant mener à la conclusion d’une Convention au sens de l’article 22 de la Constitution luxembourgeoise.

Il faut par ailleurs souligner que les différentes associations musulmanes sont réparties à l’heure actuelle en huit associations ou mosquées, qui ne font d’ailleurs pas toutes parties de la Shoura. Il semble donc difficile de mettre en pratique la recommandation de l’ECRI telle qu’elle est formulée, alors qu’elle pourrait vouloir signifier que les autorités luxembourgeoises devraient pourvoir à la mise à disposition des mosquées pour chacune des associations musulmanes qui sont caractérisées par des conceptions philosophiques assez différentes entre elles. Toutes ont d’ailleurs un lieu de prières qu’ils qualifient de mosquées.

Par ailleurs, quant à son principe-même, la mise à disposition de lieux du culte par les autorités civiles du Luxembourg semble en contradiction avec le principe constitutionnel de la séparation des Eglises et de l’Etat. La Convention régissant les relations entre les communautés religieuses et l’Etat, mentionnée au point 93.du rapport, dont la discussion sera continuée prochainement, se limitera nécessairement au contenu visé à l’article 22 de la Constitution luxembourgeoise en vertu duquel l’Intervention de l’Etat se limite à la nomination et l’installation des chefs des cultes, le mode de nomination et de révocation des autres ministres des cultes , la faculté pour les uns et les autres de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes, ainsi que les rapports de l’Eglise avec l’Etat. La recommandation visant la mise à disposition par voie d’autorité de lieux du culte, telle qu’elle est formulée, semble donc difficile à mettre en pratique selon le droit constitutionnel luxembourgeois, qui est issu d’une conception concordataire des relations entre l’Etat et les Eglises."

Mandat de l’ECRI

L’ECRI, la commission européenne contre le racisme et l’intolérance, créée après la Conférence de Vienne de 1993, est chargée de combattre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance dans la grande Europe, celle des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, sous l’angle de la protection des droits de l’homme, à la lumière de la Convention européenne des Droits de l’Homme, de ses protocoles additionnels et de la jurisprudence y relative.

Les objectifs de l’ECRI sont :

  • d’examiner les législations, les politiques et les autres mesures prises par les Etats membres visant à combattre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance ainsi que leur efficacité ;
  • de stimuler l’action en la matière aux niveaux local, national et européen ;
  • de formuler des recommandations de politique générale à l’égard des Etats membres ;
  • d’étudier des instruments juridiques internationaux applicables en la matière, en vue de leur renforcement si nécessaire.

L'ECRI doit donner aux Etats membres du Conseil de l’Europe des conseils concrets et pratiques sur la manière de faire face aux problèmes de racisme et d'intolérance sur leur territoire. A cette fin, elle examine dans chaque pays le cadre juridique de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, son application pratique, l'existence d'organes indépendants chargés d'aider les victimes du racisme, la situation des groupes vulnérables dans des domaines d'action donnés (éducation, emploi, logement, etc.) et le ton du débat politique et public sur des questions concernant ces groupes.