Dans une lettre datée du 1er décembre 2011, l’association Chachipe, a.s.b.l. qui a son siège au Luxembourg et qui a pour objet la protection du droit des Roms, attirait l’attention du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, Nicolas Schmit, sur la situation des Roms venus des Balkans en nombre pour demander l’asile. Un courrier publié dans le Woxx daté du 13 novembre 2012 et dont l’ASTI donne aussi connaissance tout en communiquant la réponse dont il a fait l’objet de la part du ministre Schmit le 3 janvier 2012.
Dans son courrier, la présidente de l’asbl, Karin Waringo, se réfère au procès verbal de la réunion de la commission des Affaires étrangères et européennes, de la Défense, de la Coopération et de l’Immigration de la Chambre des députés du 20 octobre 2011. Une réunion au cours de laquelle le ministre était venu rendre compte de la situation des demandeurs d’asile au Luxembourg. L’accroissement du nombre de demandes d’asile introduites par des ressortissants des pays des Balkans occidentaux qui ont bénéficié de la levée de l'obligation de visa dans les pays de l'espace Schengen serait dû au fait "que les personnes socialement plus fragiles sont quasiment incitées par des personnes peu scrupuleuses à la recherche de profit facile de profiter de cette situation et à émigrer", avait expliqué le ministre qui dénonçait "le développement d'un commerce qui joue avec la détresse des personnes les plus faibles" dans des "pays d'origine où le commerce lié aux demandeurs d'asile est très lucratif".
"Ces affirmations vont à l'encontre de ce qu'a déclaré la Commission européenne ainsi que l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, Frontex", avance l’asbl Chachipe.
Se basant entre autres sur un document d’analyse de Frontex, les auteurs de la lettre soulignent ainsi que "de récentes enquêtes effectuées auprès des agences de voyage serbes n'ont révélé aucune irrégularité ni aucune activité criminelle", mais aussi que "ni les Etats membres de l'Union, ni les autorités serbes n'ont pu trouver aucune preuve leur permettant de conclure que les demandes d'asiles étaient organisées illégalement et à grande échelle". Sans compter que "les demandeurs d'asile interrogés à leur retour en Serbie ont déclaré qu'ils étaient partis sur recommandation de voisins ou de membres de leur famille installés à l'étranger", poursuit Chachipe, qui se réfère aussi à un document de travail de la Commission faisant le suivi de la libéralisation du régime des visas pour les pays dits des Balkans occidentaux, qui va dans le même sens.
Karin Waringo rapporte aussi un commentaire récent du Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Thomas Hammarberg, qui estime que "si les pressions de l'UE ont été justifiées en référence à la nécessité de combattre les réseaux organisés de passeurs d'immigrés ( ...), ces pratiques ne semblent pas dans ce cas précis être le modèle le plus fréquent (car) nombre de personnes qui ont quitté leur pays et demandé l'asile dans l'UE l'ont fait de leur propre initiative et en raison d'une situation réelle d'insécurité physique et/ou économique". "Elles ont voulu fuir des injustices et/ou la pauvreté et une misère abjecte", cite encore la présidente de l’asbl, soulignant que, pour le commissaire, "la surreprésentation des Roms dans cette catégorie n'est que le reflet de leur situation réelle dans la région".
"S'il y a eu un accroissement du nombre de demandeurs d'asile en provenance des pays des Balkans, c'est que la libéralisation du régime des visas a effectivement permis le départ de personnes qui n'avaient pas les moyens de payer les passeurs", déduit de ces différentes sources l’asbl qui insiste sur le fait qu’il suffit aujourd’hui de "prendre un des bus qui circulent régulièrement entre les pays des Balkans et les pays de l'Union européenne".
Mais, avance l’asbl, "cette tendance est actuellement sur le point de se renverser : sous l'impact des pressions exercées par l'Union européenne et certains de ses Etats membres, dont le Luxembourg, les Etats des Balkans occidentaux ont renforcé leur dispositif de contrôle aux frontières et empêchent le départ de leurs citoyens, principalement des Roms". Chachipe dénonce que, de ce fait, "la corruption reprend aux postes frontières et les réseaux de passeurs vont pouvoir se réorganiser".
Par ailleurs Karin Waringo pointe le fait que "les pressions de l’UE (…) contribuent à renforcer la stigmatisation des Roms et d'autres minorités en situation d'extrême précarité, tels que les Albanais du Sud de la Serbie et de l'Ouest de la Macédoine et les Bosniaques, qui sont qualifiés de `faux demandeurs d'asile´". Le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur serbe, Ivica Dacić, est ainsi cité par l’asbl pour avoir "exhorté les Roms à ne pas demander l'asile à l'étranger en affirmant qu'ils nuiraient aux intérêts étatiques et nationaux de la Serbie".
En conclusion, l’asbl appelle le ministre à "mettre fin, instamment, aux pressions [exercées], au nom du gouvernement luxembourgeois, sur la Serbie et la Macédoine, pour qu'ils empêchent ces miséreux de quitter leurs pays". Nicolas Schmit est aussi invité à "s’engager pour les droits des Roms dans ces pays et de faire respecter leurs droits au Luxembourg".
Dans sa réponse, le ministre Nicolas Schmit souligne "qu’il existe toute une série de raisons qui amènent des personnes à quitter leur pays" et il évoque des situations souvent "très complexes". Une évidence qu’il applique aussi au cas des Roms en provenance des Balkans occidentaux. "Qu’on ne puisse pas tout ramener à des réseaux de trafiquants est évident, mais, contrairement aux passages d’un rapport cité par vous, plusieurs sources m’ont confirmé les activités de tels réseaux dont les membres ont récemment été arrêtés par la police serbe", affirme cependant Nicolas Schmit qui reconnaît que l’exemption de visa "a sans aucun doute facilité ces flux".
Nicolas Schmit revient ensuite sur les conditions d’analyse des demandes d’asile introduites au Luxembourg avant de souligner que, lors de ses contacts avec les autorités serbes, il a "toujours attiré leur attention sur la discrimination dont fait l’objet la population Rome et qui incite ces personnes à vouloir immigrer". "Il est clair que ces problèmes ne pourront pas être résolus par le recours à l’asile mais par une politique de développement et d’intégration des populations à laquelle l’Union européenne doit contribuer activement comme elle s’y est engagée", conclut le ministre.