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Economie, finances et monnaie - Fiscalité
De retour des Etats-Unis, Luc Frieden fait part de l’inquiétude que lui inspirent les réglementations FATCA contre l’évasion fiscale qui mise sur l’information automatique et Volcker sur la spéculation des banques qu’il juge discriminatoire pour l’UE
16-02-2012 / 16-02-2012


Au retour d'une visite de deux jours aux Etats-Unis, le ministre luxembourgeois des Finances, Luc Frieden, s'est adressé à la presse le 16 février 2012, afin de lui faire part de l'avancement de dossiers qui touchent à la fois l'Union européenne et le Luxembourg. En effet, les Etats-Unis proposent deux règlementations,  la première luttant contre l'évasion fiscale (FATCA), la seconde limitant la spéculation des banques (Volcker) qui viennent peser sur les relations transatlantiques. Ils ont dominé les échanges du ministre des Finances durant ce "voyage très important", ponctué de dix rendez-vous en deux jours. cdp-frieden-volker

Réglementation FATCA : des faits et des actes

Le Foreign account tax compliance act (FATCA) appartient au Hire Act, loi votée en mars 2010 pour relancer l'emploi. Le FATCA est censé être opérant en juillet 2013. Il vise à lutter contre l'évasion fiscale et à s'assurer que citoyens et investisseurs américains s'acquittent de l'impôt dont ils sont redevables. 

Au dernier jour de la visite de Luc Frieden, le département du Trésor a annoncé que cinq pays (Allemagne, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni), s'étaient engagés à coopérer avec les Etats-Unis pour permettre la mise en œuvre de cette loi et notamment l'acquittement des obligations fiscales pour des comptes détenus à l'étranger. Ces pays, a révélé Luc Frieden, auraient consenti à faire transmettre les données concernant les contribuables américains, mais en les faisant transiter par leur administration fiscale avant de les délivrer aux autorités américaines.

Le Luxembourg avait été le premier à réagir au vote de cette loi et à l'inscrire à l'ordre du jour du Conseil ECOFIN. Les négociations entre l'UE et les USA sont depuis lors en cours. "C'est la voie normale car cela touche d'autres pays". Ainsi, Luc Frieden "regrette qu'au moment où les négociations de l'UE sont en cours, des accords bilatéraux sont conclus". Les Américains seraient aussi d'accord de trouver un accord bilatéral avec nous. Mais je donne ma préférence aux négociations européennes sur le principe."

Toutefois, le Luxembourg devrait in fine emprunter la voie d'un accord bilatéral, dont les termes possibles ne sont pour l'heure pas communiqués. Pour cause, si "les discussions sont constructives", elles ne sont "pas faciles à conclure". "L'économie américaine est une économie tellement importante et nos relations politiques et commerciales avec les USA sont elles aussi si importantes que nous devons trouver une solution qui ne remet pas tout en cause mais permet de poursuivre ces relations".

"Nous n'avons pas d'objection de principe sur la loi mais sur le moyen d'atteindre l'objectif"

Pour le Luxembourg, l'entrée en vigueur tel quel de ce règlement pose des questions plus délicates que pour ses partenaires européens. Les banques et fonds devraient donner automatiquement une grande somme d'informations concernant des citoyens et investisseurs américains à l'administration fiscale de leur pays, ce qui d'ailleurs constituerait un "énorme effort bureaucratique quotidien" pour le Luxembourg.

Or, cette demande d'échanges de données est "en contradiction" avec la législation luxembourgeoise, en l'occurrence le secret bancaire, et "en partie avec l'accord de non double d'imposition" qui lie le Luxembourg et les Etats-Unis. Luc Frieden, a ajouté : "Nous partageons les objectifs selon lesquels le contribuable doit payer des impôts dans le pays où il habite. Nous n'avons pas d'objection de principe contre la loi mais sur le moyen d'atteindre l'objectif. Au Luxembourg, l'échange automatique d'informations financières, nous ne l'avons pas. Cela est contraire à notre législation. Nous ne l'avons pas encore non plus en Europe, de sorte que nous sommes dans une situation difficile." 

Une solution doit être trouvée d'ici à la fin de l'année. Celle-ci passera par un aménagement de l'accord de non-double imposition qui lie les deux pays ou par "une réflexion fondamentale sur un changement de la loi". "Comme nous trouvons nos relations économiques avec les Etats-Unis très importantes, et que notre industrie des fonds a besoin de cette relation, il faut voir dans quelle mesure nous voulons ou devons aller sur la voie de l'échange automatique. C'est  une remise en question fondamentale de nos principes. Ne risque-t-on pas d'être exclus d'investissements américains à l'avenir?"

Dans ce contexte, en tant que "grand défenseur d'un dialogue transatlantique", Luc Frieden a d'aileurs plaidé pour "un dialogue institutionnalisé mieux structuré" qui évite comme dans le cas présent de découvrir une loi quand elle est déjà votée.

Règlementation Volcker : la discrimination des fonds européens

De la même manière, en juillet 2010, les Etats-Unis avaient adopté une loi de réforme de la régulation financière, le Dodd Frank Act qui trouve sa traduction dans le projet de règlement Volcker, du nom de l'ancien directeur de la Réserve fédérale américaine et conseiller économique du président Obama. Ce texte qui doit entrer en vigueur le 21 juillet 2012, vise à limiter la spéculation des banques. Il interdit ainsi aux banques de dépôts auxquelles l'Etat apporte ses garanties, aux holdings bancaires et à leurs filiales, de gérer pour leur propre compte tout type de titres financiers, produits dérivés et autres instruments financiers. Il leur est aussi interdit "de détenir des fonds spéculatifs et des sociétés de capital investissement, d'investir dans ce genre d'entités ou d'avoir certaines relations avec elles.

Ce projet de législation prévoit des exemptions. Ainsi, ces établissements pourront toujours opérer des transactions concernant les obligations du Trésor américain ou celles émises par les organismes publics américains ou parapublics ainsi que les titres de dette émis par les collectivités locales et les Etats fédérés américains.

Le lundi 13 février 2012 constituait le dernier jour ouvrable pour envoyer aux régulateurs financiers américains ses commentaires sur le projet de réglementation Volcker. Le 8 février,  le commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, Michel Barnier, avait ainsi fait savoir son mécontentement. Il faisait valoir que les obligations d'Etat européennes devaient obtenir la même exception que les obligations du Trésor américain tandis que les établissements européens devaient être traités comme leurs semblables américains.

"Je ne suis pas en tant que Luxembourgeois contre l'objectif de Volcker", a confié pour sa part Luc Frieden. "Nous pensons que des opérations spéculatives doivent être réglementées davantage ou autrement." "Le problème est que dans ce projet de règlement, l'industrie des fonds européenne, et notamment les fonds règlementés, qui vendent aux citoyens normaux et investisseurs, sont traités de manière discriminatoire par rapport aux fonds américains."

Le Luxembourg est particulièrement exposé à cette nouvelle règle. "Nous sommes le pays de l'UE qui a la plus grande industrie de fonds", a rappelé le ministre Luc Frieden. "Nous aimerions que les fonds européens qui sont bien réglementés et surveillés, soient traités de la même manière que les fonds anglais et américains."

"Pas dans l'intérêt de l'économie mondiale"

Comme dans le cas du FATCA, "nous ne sommes pas contre les objectifs de cette loi", dit Luc Frieden. "Cette loi est de toute façon déjà votée. Mais nous aimerions que notre industrie de fonds, en tant que secteur économique important pour notre pays, ne soit pas discriminée."

Luc Frieden y souligne aussi l'importance économique du débat. "Il ne serait pas dans l'intérêt de l'économie mondiale, qu'un continent soit mal traité, car cela conduit toujours à ce qu'on se protège contre le reste du monde, ce n'est pas bon pour le développement économique, nous dépendons beaucoup trop des uns et des autres pour ne pas préférer la recherche de solutions communes."

La situation dans la zone euro

Luc Frieden a, durant son voyage,  tenu un discours à l'Atlantic Council, où il a constaté, de la part des Américains, un "intérêt particulièrement grand pour le sujet de la crise dans l'eurozone. "Ils constatent que si on ne prend pas le problème en main, il y aura d'énormes répercussions pour eux. Nous l'avons vu avec la crise bancaire de 2008. (…) La crise des crédits hypothécaires aux Etats-Unis a provoqué une crise dans l'Union européenne et aujourd'hui nous en sommes à une crise de la dette en Europe, et sommes possiblement face à une grande crise aux Etats-Unis."

Luc Frieden a souligné le "rôle important" de l'engagement des Etats-Unis en tant que "plus grand actionnaire individuel du Fonds monétaire international" car "ce n'est pas seulement une crise de l'Europe mais c'est également une crise de l'économie mondiale, les monnaies dépendent les unes des autres". Ainsi, Luc Frieden lance-t-il un "appel amical" aux Etats-Unis afin qu'au regard de leur rôle dans l'économie mondiale, ils assument leur responsabilité ensemble avec l’Europe.

Toutefois, pour Luc Frieden, c'est aux gouvernements européens qu'incombe "la plus grande responsabilité dans la résolution de la crise". "Nous avons besoin de solutions à court terme pour des pays comme la Grèce, l'Irlande et le Portugal, mais nous avons aussi besoin de solutions à long terme, dans le contexte de la Grèce mais aussi d'autres pays, et de développer une stratégie pour être compétitif pour nos entreprises, pour nos pays,"

Luc Frieden a évoqué les critiques qui s’amplifient contre l'effet de l'austérité sur la croissance grecque. "Avoir une croissance n'est pas contraire à la réduction des déficits même s'ils ont une influence sur la croissance", a-t-il d'abord concédé avant d'expliquer : "Beaucoup des mesures que nous avons demandées à nos collègues grecs, ont pour but que la Grèce soit remise sur  pied, que l'économie grecque puisse aussi croître dans le futur. Si  elle reste si peu compétitive, si les coûts sont si hauts, si elle protège tant son marché, alors la Grèce ne peut pas dans le futur elle-même produire et créer des profits qui apporteront des rentrées fiscales pour le pays. Nous avons un devoir de solidarité. Mais celle-ci fait sens uniquement si le résultat de la solidarité est que la Grèce arrive à terme à avoir une économie solide."

Pour s'en assurer, le Luxembourg défend, rapporte Luc Frieden, la mise en place de "mesures de surveillance et d'accompagnement pour la transposition des réformes structurelles" auxquelles la Grèce est conviée. "Nous sommes dans une situation qui ne concerne pas seulement la Grèce, mais l'Europe et le monde." "Ce système est d'autant plus important qu’il y aura à court terme des élections en Grèce et nous voulons être certains que ce qui est promis dans les lettres des partis soit aussi transposé sur le terrain", a-t-il encore dit.

Luc Frieden a fait savoir qu'il était, au sujet de la Grèce, "optimiste en raison de ce qui est arrivé ces derniers jours". Les lois votées dans des conditions difficiles, puis les lettres que les responsables des différents partis politiques ont envoyées pour manifester leur attachement à ces lois "remplissent deux conditions essentielles".

Le FMI: un partenaire décisif

Lors de son voyage, Luc Frieden a également rencontré la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, et le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick. Ce sont "des interlocuteurs très intéressants car ils ont une bonne vue de la politique mondiale. L'ancienne ministre des Finances française connaît mieux que quiconque la situation. Elle est remarquablement compétente. Elle est consciente de la responsabilité du FMI dans la résolution de la crise. Je souligne avec force la très bonne collaboration de la zone euro avec le FMI." Luc Frieden se dit ainsi ravi de voir le FMI participait régulièrement à des séances du Conseil. Cela permet de mesurer l'effet de la politique européenne sur d'autres économies.