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Economie, finances et monnaie
Les mesures d’austérité qui conditionnent l’octroi d’un deuxième plan d’aide à la Grèce et les déclarations qui accompagnent ce dossier font débat au Parlement européen, mais aussi au Luxembourg
Les eurodéputés luxembourgeois Robert Goebbels (S&D) et Frank Engel (PPE) ont fait part de leur indignation et de leurs inquiétudes
16-02-2012


Le 15 février 2012, alors que l’évolution de la situation de la Grèce continuait d’être suivie au jour le jour, un vent de fronde a soufflé au Parlement européen au sujet des conditions imposées à la Grèce en vue de l’octroi d’un deuxième plan d’aide financière.Parlement européen

L'eurodéputé vert Daniel Cohn-Bendit a eu les mots les plus forts au cours d’un débat qui s’est tenu en présence de Maros Secovic, vice-président de la Commission européenne. "Si ce sont les talibans néo-libéraux qui règnent en Europe, alors c'est mal  parti!", a-t-il ainsi lancé, s’en prenant à la troïka qui agit selon lui "de façon criminelle en Grèce en lui imposant toujours plus de mesures d'austérité". Maros Sefcovic a réagi en déclarant ne "pas accepter" ces propos. "Nous n'avons pas de talibans  néo-libéraux à la Commission mais des fonctionnaires qui travaillent dur pour  éviter une banqueroute de la Grèce", a-t-il affirmé, soulignant que "la Grèce n'a pas d'allié plus proche que la Commission".

Du côté des libéraux, Sylvie Goulard a déploré que l'UE "essaie d'imposer la stabilité par la force", ce qui est à ses yeux "en contradiction avec tout ce qui a été fait sur ce continent depuis 1950".

L’eurodéputé luxembourgeois Frank Engel (PPE) plaide pour sa part, comme il l’a confié au Tageblatt qui le rapporte dans son édition datée du 16 février 2012, pour qu’on octroie un délai de paiement à la Grèce pendant lequel devraient être mises en œuvre les réformes nécessaires à une relance économique. Car avec des pronostics de récession de 4 à 5 % pour 2012, la Grèce n’a à ses yeux pas de perspective. L’eurodéputé PPE est convaincu que la crise grecque ne saurait être résolue par une réduction du salaire minimum et des retraites.

L’Eurogroupe "fauteur de trouble" selon Robert Goebbels

Le groupe socialiste avait annoncé la veille l'envoi en Grèce, pour proposer "un autre programme" se concentrant notamment sur la nécessité de lutter contre l’évasion fiscale, d'une "troïka alternative" à laquelle participera le Luxembourgeois Robert Goebbels.Alliance progressiste des Socialistes et Démocrates

Robert Goebbels, qui a demandé au cours du débat à la Commission et au Conseil quelle instance politique avait donné mandat à la troïka pour exiger de la Grèce une baisse du salaire minimum de 22 %, s’est vu répondre par la Commission que c’est l’Eurogroupe. Cette formation réunissant les ministres des Finances de la zone euro, qui est présidée par le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, serait donc "le fauteur de trouble" dans la crise grecque, en conclut Robert Goebbels dans un communiqué diffusé à l’issue du débat.

C’est là que le débat glisse de l’hémicycle strasbourgeois vers le débat public luxembourgeois. "Notre Premier ministre, qui tient en général un discours social, couvre donc la réduction scandaleuse du salaire minimum et des retraites qui est exigée du salariat grec", constate en effet Robert Goebbels qui dénonce "le chantage politique" exercé par l’Eurogroupe sous la présidence de Jean-Claude Juncker. Après "les mesures d’austérité et les coupes sociales drastiques" adoptées par le parlement grec le 12 février 2012, les 325 millions d’euros d’économies supplémentaires sur le budget 2012 posés comme condition pour l’octroi d’un deuxième plan d’aide ne représentent que 0,25 % des 130 milliards d’euros promis, souligne ainsi Robert Goebbels.

L’eurodéputé socialiste s’en prend ensuite au ministre des Finances Luc Frieden qui, "pendant ce temps, philosophe à Washington sur une exclusion de la Grèce de la zone euro comme il réfléchit à voix haute au Luxembourg sur une suppression du salaire minimum".

"Jean-Claude Juncker et Luc Frieden sont les deux faces de la médaille du CSV", conclut l’eurodéputé socialiste : "toujours moins chrétien, à peine encore social, un parti de pouvoir contre le peuple".

Frank Engel s’inquiète à l’idée qu’on mette en pièce la maison européenne et qu’en spéculant sur une possible sortie de la Grèce de la zone euro on ne diffuse un message "dramatiquement faux"

Mais la critique est venue aussi du propre camp des chrétiens-sociaux, l’eurodéputé Frank Engel ayant pour sa part réagi vertement, dans un entretien accordé depuis Strasbourg à RTL Radio Lëtzebuerg le 15 février 2012, aux propos que le ministre Frieden a tenus à Washington au sujet de la Grèce. "Un pays ne peut pas être exclu de la zone euro, car le traité ne le prévoit pas", mais "un pays peut s’exclure lui-même en ne respectant pas les conditions", avait déclaré Luc Frieden sur les ondes de 100,7. Des propos au sujet desquels Frank Engel n’a "ni sympathie", "ni la capacité de comprendre", comme il l’a par ailleurs confié au Tageblatt.

Pour Frank Engel, si la Grèce devait quitter la zone euro, elle devrait aussi sortir de l’UE. Aucune procédure ne permet de sortir de l’euro, rappelle-t-il, et la seule solution serait donc de sortir de l’UE. Ce que ne souhaite pas la Grèce, comme il le souligne. "Si l’on commence maintenant à mettre en pièces la maison commune européenne en raison de difficultés financières (...), on prendrait une direction politique qui ne promet rien de bon pour l’avenir du continent", commente l’eurodéputé.rtl

"Mais s’il y a des gens qui sont d’avis que la Grèce devrait sortir de l’UE, il va falloir en discuter en toute honnêteté et le plus sérieusement du monde", juge Frank Engel. L’eurodéputé luxembourgeois ne voit en tous cas pas d’un bon œil les spéculations sur une éventuelle sortie de la Grèce, un message qui serait selon lui "dramatiquement faux, y compris envers les 11 millions de personnes qui n’ont pas de quoi rire en ce moment".

Frank Engel espère donc que les propos de Luc Frieden "ne reflètent pas l’opinion du gouvernement luxembourgeois" et que le ministre des Finances se prononce pour que la Grèce soit dans l’UE, et non contre.

Luc Frieden, de retour de Washington, réitère sa position : "si un pays décide de ne pas s'en tenir aux règles et qu'il ne veut pas d'aide européenne, alors il doit décider lui-même de sortir"

Le 16 février 2012, de retour au Luxembourg, Luc Frieden convoquait la presse pour faire le point sur sa visite de travail à Washington DC. L’occasion, entre autres, de répondre aux questions que lui ont posé les journalistes au sujet de la prise de position de Frank Engel.

"Je ne sais pas ce qu'a dit M. Engel, j'étais en Amérique", a déclaré Luc Frieden avant de s’expliquer plus avant sur sa position. "Notre but est que chacun puisse rester dans la zone euro", rappelle-t-il ainsi, soulignant que cet objectif "est partagé par les 17 ministres des finances de la zone euro". La position du gouvernement luxembourgeois, qu’il est chargé de défendre au sein de l’Eurogroupe, n’est pas d'exclure un pays, a-t-il aussi souligné.

"Mais quand un pays ne s’en tient pas aux conditions, quelle est la réponse ? Dit-on alors : "Cela nous est égal" ?" C’est en ces termes que le ministre luxembourgeois s’est interrogé devant la presse avant de préciser ne pas avoir "dit à Washington que la Grèce doit être exclue, mais que si un pays ne s’en tient pas aux conditions, cela serait la conséquence logique". "Ce n'est pas un souhait", a cru bon d’ajouter Luc Frieden. Il a donc réitéré sa position, que selon lui d’autres pays partagent. A savoir que "si un pays décide de ne pas s'en tenir aux règles et qu'il ne veut pas d'aide européenne, alors il doit décider lui-même de sortir". Ce qui vaut d’ailleurs aussi pour le Luxembourg, ainsi que le ministre l’a rappelé.

"Quelle serait l'autre réponse ?", a épilogué le ministre, imaginant que ce serait "peu importe, nous avons introduit des mécanismes pour le futur qui ne jouent pas dans le cas de la Grèce". "Si un pays ne s'en tient pas aux conditions pendant des années, il ne peut pas rester dans le club. Il s'exclut lui-même", a martelé Luc Frieden soulignant qu’un pays peut en exprimer le souhait en disant "Nous ne voulons pas d'argent européen. Nous ne voulons pas mener les réformes". "La Grèce peut le dire", affirme Luc Frieden, selon qui elle peut déclarer "Nous préférons mener notre propre affaire, nous trouverons notre propre voie rationnelle." "Mais si la Grèce dit : "nous voulons rester dans l'union monétaire et nous avons besoin d'un deuxième programme d'aide." Alors, elle doit s'en tenir aux conditions", a poursuivi Luc Frieden. En clair, "c'est le choix de la Grèce".

Luc Frieden tient à ce que la mise en œuvre des mesures par les autorités grecques se fasse dans le cadre d’une étroite coopération avec les autres pays de l’UE

Commentant les dernières évolutions du dossier, et notamment la conférence téléphonique de l’Eurogroupe de la veille, Luc Frieden a souligné que "la Grèce s'est engagée à prendre une série de mesures, avant tout en ce qui concerne son marché du travail", mais aussi à introduire d’ici la fin du mois au parlement de nouvelles mesures concernant les statistiques, la fiscalité ou encore la surveillance des banques. "Si toutes ces lois sont votées d'ici la fin février, ce seraient des réformes structurelles fondamentales qui remettraient le pays sur pied", a affirmé le ministre des Finances luxembourgeois.

Luc Frieden a enfin insisté sur la nécessité d’une mise en œuvre des mesures qui doit être faite par les autorités grecques, mais dans le cadre de la plus étroite coopération avec les autres pays de l'UE. Il s'agit de l'argent des contribuables des autres Etats membres, a souligné le ministre luxembourgeois, et il faut donc veiller à ce qu’il soit utilisé à bon escient. "On ne peut pas laisser la Grèce seule", a-t-il donc indiqué, plaidant pour un travail mené conjointement et pour "un système efficace de surveillance".