Le 29 février 2012 la Confédération européenne des syndicats (CES) avait appelé à une journée d’action européenne des syndicats de l’UE contre "la politique de durcissement de l’austérité comme réponse à la crise économique et sociale dont souffrent des millions d’Européens" qui est menée, selon les syndicats, par la Commission et les Etats membres de l’Union
Au Luxembourg, lors d’un piquet symbolique devant le Ministère du Travail, les syndicats OGBL, LCGB, ALEBA et FNCTTFEL ont remis aux ministres du Travail et de la Sécurité sociale un manifeste intitulé "Trop, c’est trop! L’austérité ça ne marche pas! Pour l’emploi et la justice sociale, des alternatives existent!" Ce titre correspond aux mots d’ordre par lesquels la CES a mobilisé pour le 29 février.
Devant la BEI, où plusieurs centaines de militants venus de Lorraine (CFDT et CGT) et de Belgique (FGTB Namur, FGTB Luxembourg, CSC Namur Dinant et la CSC Luxembourg) ont débarqué de bus affrétés depuis le PED d’Aubange, le message a surtout porté sur la nécessité d’investir pour la croissance et l’emploi.
Pour les syndicats, cette "politique de durcissement de l’austérité" se caractérise "par une pression à la baisse des salaires, la remise en cause des négociations collectives et du dialogue social, le démantèlement de la protection sociale, la diminution des pensions, la flexibilisation et la précarisation des contrats de travail, la privatisation des services publics". Ce qui les contrarie particulièrement est que "cette politique fait payer aux travailleurs le prix fort d’une crise qu’ils n’ont pas provoquée, alors que les initiateurs de cette crise s’en sortent indemnes". Pour les syndicats, procéder de la sorte "ne fera que renforcer la crise économique, sociale et politique", alors que "des alternatives existent".
Pour les syndicats luxembourgeois, cette tendance européenne se traduit au Luxembourg "par le vote de la loi manipulant l’indexation des salaires et des pensions, par la désindexation des allocations familiales, des indemnités de congé parental, une augmentation des participations personnelles dans l’assurance-maladie". Cette politique, les syndicats exigent qu’elle soit abandonnée. Ils revendiquent "le rétablissement de l’indexation normale des salaires, des pensions et des prestations familiales". Ils veulent "le maintien du niveau actuel et futur des pensions", des "recettes supplémentaires diversifiées" pour les systèmes de sécurité sociale, "une politique de l’emploi qui maintient les travailleurs dans l’emploi, qui prend en considération la pénibilité des conditions de travail et améliore les conditions de travail". La réforme de l’assurance pension devrait selon eux "prendre en considération les périodes de formation plus longues des nouvelles générations, les biographies professionnelles des femmes et prévoir des mesures permettant une transition flexible du travail à la retraite".
Les syndicats refusent d’autre part "toute immixtion dans les négociations salariales" et "toute détérioration du salaire minimum". Ils craignent également que "le subventionnement envisagé d’une partie du salaire minimum dans le cadre de la politique d’emploi" n'ouvrent la voie "à une mise en cause rampante du salaire minimum".
La politique de l’emploi doit selon eux protéger les salariés par différents moyen : le renforcement du caractère protecteur du droit du travail en cas de licenciement économique, le renforcement de la politique de maintien dans l’emploi ; l’amélioration de la protection des salariés en cas de faillite d’une entreprise ; le renforcement des droits des demandeurs d’emploi ; la création d’un cadre législatif pour protéger l’emploi des salariés ; la création d’un véritable droit d’accès à un emploi de qualité ; le développement d’une politique de sécurisation des parcours professionnels des salariés tant dans les secteurs privés que publics de l’économie.
Pour les syndicats, "les salariés ont droit à une protection contre l’insécurité, la précarité et le chômage qui les menacent de plus en plus dans leur vie professionnelle et dans la construction de leur avenir personnel et familial". Ils demandent pour cela "des initiatives législatives fortes" qu’ils jugent "plus que nécessaires et urgentes".
Un autre aspect est le dialogue social, dont "une politique sociale juste ne peut se passer". Pour que ce dialogue social soit possible, les syndicats revendiquent un renforcement des droits syndicaux, de la cogestion et des droits des représentants du personnel, tout en faisant le constat que "la réforme de la législation sur la cogestion et sur la représentation du personnel dans les entreprises est en souffrance depuis des années".
Au cours du piquet, le président de l’OGBL, Jean-Claude Reding, a prononcé un discours dans lequel il a déclaré que le slogan "Trop, c’est trop !" traduisait bien ce que les salariés ressentent face à "une politique d’austérité qui ne peut pas fonctionner et qui va conduire l’Europe dans une crise encore plus profonde". Il s’est prononcé contre une approche de la crise qui se calque sur le modèle allemand et juge "saine" une économie à bas salaires. Car cela veut dire baisse des salaires au Luxembourg, comme il y a eu baisse du SMIC en Grèce - un SMIC déjà bien bas", a insisté Jean-Claude Reding -, cela veut dire aussi baisse de la protection des salariés contre les licenciements comme en Espagne, baisse aussi de leurs indemnisations en cas de licenciement. Au Luxembourg, cela se traduit par une pression sur les prestations sociales, sur le droit du travail, sur les services publics que l’on veut privatiser. Tout se plie selon Jean-Claude Reding au dogme néolibéral qui exige une réduction de l’influence de l’Etat dans l’économie. Et pointant du doigt le siège d’Arcelor-Mittal, qui fait face au Ministère du Travail, il a déclaré que cela avait été une erreur de l’Etat d’abdiquer en 2006 de son influence sur une entreprise qui avait été sauvée depuis les années 1970’ avec de l’argent public. Et une telle erreur risque selon lui d’arriver de nouveau avec les processus en cours à l’aéroport, à la Cargolux et à la Luxair.
Marc Glesener, le président de l’ALEBA, a estimé de son côté que seuls les salariés ont été lésés au cours de la crise, ce qui oblige les syndicats à les défendre. Le dirigeant des employés de banque a fortement dénoncé "la discrimination des frontaliers" avec le nouveau système des allocations familiales et d’études, et mis en garde contre une éventuelle reconduction de l’impôt-crise qui avait été perçu en 2011 et ensuite abandonné. Quant à la réforme du système de pensions, pour Marc Glesener, il s’agit d’une démarche négative. Selon lui, point besoin de faire travailler les gens plus longtemps. L’essentiel, c’est de leur donner l’occasion d’être plus productifs, car pour lui, le financement des systèmes de pensions n’est rien d’autre qu’une décision politique et plus de productivité.
Patrick Dury, le président du LCGB, a abordé la question du chômage, une question qui préoccupe selon lui éminemment les salariés qui ont compris que le chômage n’est plus seulement lié à la conjoncture ou à la crise, mais à l’évolution générale de l’économie. Celle-ci est faite de changements technologiques, de délocalisations, de restructurations, sans que tout cela ne soit lié à la crise. Dans une telle situation, les syndicats doivent veiller à ce que les intérêts des salariés mis en difficultés par ces évolutions soient soutenus par des instruments adéquats qui leur permettent entre autres de retrouver après la perte de leur emploi soit un nouvel emploi soit une formation qui leur permette de se requalifier. "C’est le secteur privé qui crée la richesse de ce pays", s’est exclamé le dirigeant syndical, "et les salariés du privé ont donc droit au soutien et à leur maintien sur le marché du travail". En général, pense Patrick Dury, "le Luxembourg et l’Europe ont besoin de plus de justice sociale".
Arrivés dans une cohorte de bus affrétés depuis Aubange, où ils s’étaient retrouvés aux alentours de midi, plusieurs centaines de militants du LCGB, de l’OGBL, de la CFDT, de la CGT, de la FGTB et de la CSC se sont rassemblés devant la Banque européenne d’investissement (BEI) pour plaider la cause d’une Europe du développement et de l’emploi.
Les alternatives proposées à l’austérité, qui est synonyme de pauvreté à leurs yeux, c’est une Europe démocratique et solidaire, qui pratique une fiscalité juste et équitable grâce à une contribution équitable des fortunes, à la lutte contre l’évasion fiscale, mais aussi à une taxe sur les spéculations et les opérations boursières qui pourraient financer le plan de relance que les syndicats appellent de leurs vœux.
" Nous avons besoin d’un plan de relance européen, d’un plan d’investissement", ont en effet clamé les représentants syndicaux venus de Belgique, de France et de Luxembourg. "Il faut que les Etats puissent emprunter à des taux décents", estiment les syndicalistes qui proposent que la BEI se fasse l’intermédiaire de la BCE pour leur prêter l’argent que la banque centrale n’a pas le droit de leur fournir.
La BEI, qu’ils ont choisi de cibler car elle est "un outil primordial du développement de l’Europe", doit "contribuer à l’équilibre entre les différents pays d’Europe". Et il est inquiétant, pour les syndicats, de s’entendre dire qu’elle va "réduire la voilure" en 2012, ainsi que l’a annoncé son nouveau président, Werner Hoyer, le 16 février dernier. "La BEI doit renforcer et consolider son action et ne peut se laisser enfermer dans des politiques de désinvestissement, elle doit financer de grands projets européens et soutenir les réalisations des Etats membres qui génèrent de l’emploi", ont lancé les syndicalistes à la porte de l’institution.
Le secrétaire général de la BEI, Alfonso Querejeta, venu les accueillir avec chaleur, leur a assuré qu’il avait bien entendu leur message. "Certes j’ai passé ma vie dans les salons feutrés, certes je suis ce que vous nommez un technocrate, mais je vous comprends bien", leur a-t-il lancé avant de rappeler que le premier objectif de la BEI était bien de soutenir la croissance et l’emploi. "Je viens d’une région où il y a 23 % de chômage", a souligné ce fonctionnaire espagnol entré à la BEI dès 1986. "Nous sommes engagés pour la croissance et l’emploi par l’intermédiaire des instruments dont nous disposons", a-t-il assuré. Ainsi, il s’est agi de maintenir pour 2012 le niveau de prêts dans des domaines essentiels pour la croissance et l’emploi, et notamment les prêts destinés au PME, dont le volume a été maintenu. "Pour le reste, nous sommes en contact avec les Etats membres et les institutions dans l’objectif d’augmenter les ressources de la banque", a déclaré Alfonso Querejeta. "Nous sommes prêts à faire plus", a-t-il assuré aux militants, leur expliquant que le message qu’il s'efforçait de défendre, certes en d’autres termes, était au fond le même que le leur.