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Economie, finances et monnaie
Luc Frieden ouvre le débat sur l’état des finances publiques du Luxembourg : "la situation a changé et elle n’est pas bonne", conclut le ministre au vu des perspectives établies par le comité de prévision
21-03-2012


Le 21 mars 2012, Luc Frieden a présenté à la presse les prévisions en matière de finances publiques pour les années 2011-2015. Une présentation qui s’inscrit clairement dans le cadre du semestre européen, le Luxembourg devant en effet se préparer à livrer à la Commission européenne d’ici la fin avril 2012 son programme de stabilité et de convergence ainsi que son plan national de réforme. Des documents essentiels dans l’établissement du budget 2013 notamment. La Chambre des Députés, qui va d’ailleurs débattre du sujet lors de la prochaine séance plénièrGeorges Heinrich et Luc Friedene, avait été informée le matin même de ces chiffres lors d’une réunion de la commission des Finances et du Budget.

Accompagné de Georges Heinrich, directeur du Trésor, de Jeannot Waringo, directeur de l’Inspection générale des Finances, et de Serge Allegrezza, directeur du STATEC, le ministre luxembourgeois des Finances a tiré une conclusion on ne peut plus limpide des prévisions établies par le comité de prévision : "la situation a changé, et elle n’est pas bonne". Les prévisions présentées laissent en effet clairement présager qu’à politique inchangée, le Luxembourg n’atteindrait pas l’équilibre budgétaire en 2014 et risquerait une procédure de déficit excessif au niveau européen.

Le comité de prévision table sur une récession en 2012 et envisage une reprise graduelle de l’économie à compter de 2013

Serge Allegrezza a commencé par présenter le scénario envisagé par les membres du comité de prévision pour les prochaines années en termes de situation économique.

Pour 2012, c’est une détérioration de la situation économique par rapport aux hypothèses prises en compte dans le budget qu’ils entrevoient : les experts misent en effet sur une récession de l’ordre de 0,9 % en 2012, et ce alors qu’ils avaient envisagé il y a un an une croissance de l’ordre de 3,6 % pour 2012. Des chiffres revus à la baisse en raison des prévisions au niveau mondial, mais aussi des incertitudes qui pèsent sur la croissance en Europe. A partir Serge Allegrezzade 2013, ils escomptent toutefois une reprise graduelle de l’économie et un retour de la confiance. La croissance économique devrait donc, selon ces prévisions, tourner autour d’une moyenne de 3,7 % par an pendant la période 2013-2015.

En termes d’emploi, Serge Allegrezza envisage une décélération, y compris en 2013, et une reprise en 2014. Les membres du comité de prévision relèvent toutefois que, si l’évolution de l’emploi sera moins dynamique que par le passé, elle restera positive tout au long de la période 2012-2015, avec la création nette d’environ 22 000 emplois d’ici 2015. Le chômage continuerait sa progression dans les prochaines années, les experts annonçant un taux tournant autour de 6,8 % en 2012, puis de 7,6 % en 2013, 7,8 % en 2014 et 7,7 % en 2015.

Quant à l’inflation, elle devrait rester aux alentours de 2 %, mais Serge Allegrezza n’a pas manqué de souligner que ces prévisions étaient basées sur des chiffres optimistes quant au prix du pétrole : il est possible qu’une hausse de ces prix puisse avoir un impact négatif sur la croissance et l’inflation, même s’il restera un peu moindre du fait de la réforme de l’index, qui sera "plus encadré et plus prévisible".

Dans la note du comité de prévision, comparaison est faite entre le taux de croissance du coût salarial moyen (3 %) et taux d’inflation (autour de 2,1 %) sur la période 2012-2015. Une comparaison "pertinente dans le contexte de la surveillance de l’évolution de la compétitivité au sein de la zone euro suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure communautaire sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques", observent les auteurs du rapport en faisant référence au rapport sur le mécanisme d’alerte présenté par la Commission européenne le 15 février 2012.

L’écart entre recettes et dépenses se creuserait à politique inchangée, s’inquiète le comité de prévision

Pour ce qui est de l’évolution des recettes, Georges Heinrich a souligné tout d’abord que, pour 2012, le comité de prévision avait tablé en 2011 sur une croissance plus robuste, tandis que les effets de la conjoncture, qui se font sentir souvent avec 18 mois de retard sur les recettes fiscales, seront encore marqués en 2013.

Par ailleurs, l’impôt sur le revenu des collectivités fonctionne en principe sur la base d’avances, auxquellGeorges Heinriches s’ajoutent les soldes d’imposition des 4 ou 5 dernières années. Les  années 2011 et 2012 ont donc permis de recouvrir les soldes restants des exercices 2007-2008, à savoir les dernières "bonnes années" avant la crise. Sans oublier que 70 % de ces recettes fiscales proviennent du secteur financier, fortement affecté par la crise. A compter de 2013, les réserves seront donc moindres, prévient le directeur du Trésor.

Georges Heinrich insiste aussi sur le fait que la TVA sur le commerce électronique, qui, selon le régime actuel, dépend du lieu de vente et a donc un impact positif sur les finances publiques du Luxembourg – le comité de prévision imagine que cette TVA sur le e-commerce pourrait rapporter jusqu’à 1 milliard d’euros en 2014 -, va connaître en 2015 un changement important. L’imposition va en effet basculer du lieu de vente vers le lieu d’achat, ce qui aura pour conséquence qu’au moins 70 % de la TVA sur ces ventes risque de ne plus être versée au Luxembourg. Et cela aura un impact significatif sur les finances publiques luxembourgeoises en 2015.

Les prévisions portant sur les dépenses publiques, qui sont établies à législation constante, prévoient l’application de 4 tranches indiciaires sur la période 2012-2015, une augmentation des effectifs de l’Etat central de 1,3 % par an, une augmentation des effectifs du secteur public d’environ 1100 personnes par an – sans compter les éventuels Jeannot Waringobesoins de personnel en vue de la présidence du Conseil de l’UE que va assurer le Luxembourg au second semestre 2015, précise la note – et des dépenses d’investissement basées sur le programme pluriannuel existant. Jeannot Waringo, qui attire aussi l’attention sur l’augmentation du service de la dette au cours de la période, pointe une tendance problématique, à savoir la hausse des dépenses, "inflexible", tandis que les recettes ont tendance à baisser. Résultat, les dépenses sont supérieures aux recettes.

Ainsi, en 2011, le déficit budgétaire est de 0,3 % du PIB. Mais pour 2012, du fait de la révision à la baisse des prévisions de recettes publiques (baisse des taux de croissance des cotisations sociales, des impôts indirects et des impôts directs) face à un taux de croissance des dépenses constant, le comité de prévision prévoit un déficit budgétaire de 1,7 % du PIB. Le solde structurel se chiffre lui à + 0,4 % du PIB.

A moyen terme, toujours à politique inchangée, le solde de financement de l’administration publique va se détériorer et rester déficitaire tout au long de la période 2013-2015, pronostiquent les membres du comité de prévision : le déficit se chiffrerait à 3,5 % du PIB en 2013, 3,1 % en 2014 et 3,3 % en 2015. Le solde structurel se situerait donc en fin de période à – 4,3 % du PIB, en sachant que l’objectif à moyen terme (OMT) du Luxembourg est d’atteindre + 0,5 % du PIB en 2015.

Le Luxembourg pourrait recevoir un avertissement dès 2013 dans le cadre du volet préventif du PSC, et risque même de faire l’objet d’une procédure de déficit excessif en 2014

La note du comité de prévision précise par ailleurs, de façon technique et détaillée, que le Luxembourg ne respecterait plus les règles du volet préventif du pacte de stabilité et de croissance (PSC) dès 2012, et ce notamment en raison du taux de croissance de ses dépenses publiques. Le Grand-Duché risque donc d’être en situation de "déviation significative par rapport à la trajectoire d’ajustement de référence" et va sans doute se voir adresser un avertissement au printemps 2013. La procédure peut aller jusqu’à une amende sous forme de dépôt rémunéré de 0,2 % du PIB, est-il souligné dans la note.

Par ailleurs, le solde de l’administration publique dépasserait la valeur de référence de 3 % du PIB sur la période 2013-2014, ce qui pourrait impliquer le lancement d’une procédure de déficit excessif. Le Luxembourg serait alors soumis aux règles du volet correctif du pacte de stabilité. Le constat de l’existence d’un déficit excessif pourrait être fait en avril 2014, pronostiquent les membres du comité de prévision. En l’absence de mesures effectives, la procédure peut aller jusqu’à une amende définitive de 0,2 % du PIB.

Le comité de prévision envisage, à politique inchangée, une croissance de la dette publique qui n’est pas une option pour Luc Frieden

Ces évolutions ne seront pas sans conséquences sur la dette publique, prévoient encore les analystes, puisqu’il va falloir financer le déficit par des emprunts qu’ils évaluent, - de manière prudente, affirme Georges Heinrich -, à 1 milliard d’euros par an sur la période 2012-2015. En 2012, la dette publique se chiffrerait autour de 21 % du PIB, et, à politique inchangée, elle atteindrait 24,1 % du PIB en 2015. Une évolution qui suit la dynamique observée depuis 2007, à savoir une tendance à la hausse de la dette publique, laquelle implique aussi une tendance à la hausse des taux d’intérêt et donc du service de la dette. Le coût du service de la dette publique passerait ainsi de 214 millions d’euros en 2011 à 336 millions d’euros en 2015, selon les chiffres présentés par le comité de prévision.

Pour Luc Frieden, l’évolution des besoins de financements du Luxembourg telle qu’elle est envisagée à politique inchangée, en sachant aussi que les chiffres peuvent évoluer, n’est pas acceptable dans une économie fragile comme celle du Luxembourg. A court terme, on peut emprunter, mais à long terme, cela empoisonnerait la croissance et l’emploi, estime le ministre pour qui une croissance substantielle de l’endettement n’est pas une option.Luc Frieden

"Une nouvelle culture des dépenses est nécessaire", conclut Luc Frieden en guise d’ouverture d’un grand débat sur les finances publiques

"Une nouvelle culture des dépenses est nécessaire", en conclut Luc Frieden qui appelle à dépenser moins et à dépenser autrement. Le changement de paradigme qu’il prône doit se baser sur des priorités établies selon les critères de la justice sociale, de mesures attractives pour l’économie, de l’efficacité et de la solidarité intergénérationnelle. Il s’agit de mieux maîtriser les dépenses, mais aussi de veiller à rester compétitifs et attractifs pour assurer des recettes suffisantes.

S’il a bien des propositions concrètes en tête, le ministre s’est refusé, à ce stade, à les communiquer : l’heure est en effet venue de mener un débat en profondeur sur l’état des finances publiques du Luxembourg. Il en va en effet de l’avenir du pays.