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Agriculture, Viticulture et Développement rural
La Cour des comptes européenne passe au crible la mesure "modernisation des exploitations agricoles" dans un rapport spécial qui pointe le manque de ciblage de cette aide au Luxembourg et le risque d’aubaine qu’elle implique
30-05-2012


L'UE a mis en place une politique commune de développement rural, également connue comme le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC). La politique est mise en œuvre dans le cadre de périodes de programmation pluriannuelles. La période actuelle couvre les années 2007 à 2013 et les paiements doivent être clôturés avant fin 2015. La Cour des Comptes européenne

La politique repose sur le principe du cofinancement : aux fonds de l'UE viennent s’ajouter un financement national et des fonds privés. L'UE cofinance des opérations par l’intermédiaire du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), doté de 96 milliards d'euros pour la période de programmation 2007-2013. En 2009, afin de renforcer encore les opérations liées aux priorités de l’UE concernant le changement climatique, l’énergie renouvelable, la gestion de l’eau, la biodiversité et la restructuration du secteur laitier, un montant supplémentaire de 4,95 milliards d’euros a été alloué aux mesures de développement rural, y compris à la modernisation, au titre du bilan de santé et du plan européen pour la relance économique (PERE).

La mesure 121 permet de financer les investissements dans les exploitations agricoles. Ceux-ci peuvent aller de simples objets, comme des outils de jardinage et des caisses en bois pour les fruits, à des projets complexes, tels que des installations de biogaz. L’enveloppe budgétaire que l'UE lui a spécifiquement allouée s'élève au total à 11,1 milliards d'euros financés au titre du Feader, ce qui représente, pour l'ensemble de la période de programmation 2007-2013, environ 11 % du total des dépenses de l'UE prévues pour le développement rural dans l'Union. Tous les États membres ont décidé de recourir à la mesure 121.

Au Luxembourg, le budget public total (contribution UE, mais aussi nationale) affecté à la mesure 121 sur la période 2007-2013 atteint près de 123 millions d’euros.

La Cour des comptes européenne s’est penchée, dans un rapport spécial publié le 30 mai 2012, sur la façon dont cette mesure a été gérée par la Commission européenne et mise en œuvre par les États membres. L’audit a couvert les programmes de développement rural (PDR) de dix régions ou pays, parmi lesquels le Luxembourg, mais aussi la Wallonie voisine, le Bade-Wurtemberg ou encore la France métropolitaine. Cet audit de la performance a permis d’examiner si l'aide de l'UE à la modernisation des exploitations agricoles était centrée sur les priorités de l'UE et sur les besoins spécifiques dans les États membres.

La Cour des comptes européenne conclut que la mesure 121 "modernisation des exploitations agricoles" est de nature à permettre l’amélioration du rapport coût/efficacité, à condition que les fonds disponibles soient mieux ciblés. Il était pratiquement impossible que la mesure n’atteigne pas son objectif premier, puisque tout investissement ou toute acquisition de nouveaux équipements entraîne un certain degré de modernisation.

La Cour relève des problèmes de ciblage

Si certains États membres contrôlés centrent très bien leurs dépenses sur les priorités de l’UE et sur leurs besoins spécifiques en recourant à des procédures leur permettant de sélectionner les projets les mieux adaptés, ce n’est pas le cas pour d’autres, soit parce que leurs systèmes de ciblage sont inefficaces, soit parce qu’ils n’appliquent pas, dans la pratique, les bons critères de sélection qu'ils ont établis.

Ainsi par exemple, si certains pays, comme la Hongrie ou encore l’Allemagne, ont appliqué des conditions d’éligibilité restrictives, le Luxembourg se distingue, avec la Pologne, du fait que presque tous les investissements agricoles étaient éligibles. Les auditeurs relèvent toutefois que les mesures d’encouragement en faveur des projets correspondant aux priorités et aux besoins définis dans le PDR sont utilisées afin de cibler l’aide : le Luxembourg accorde ainsi des taux d’aide plus élevés (majorés de 10 % du coût du projet) pour les investissements répondant aux préoccupations environnementales ou à la question du bien-être animal. Dans la pratique, observent les auditeurs, "les priorités ne sont guère hiérarchisées". Au Luxembourg, comme en Belgique et en Pologne, aucun critère de sélection n’avait été fixé, alors même que la Commission avait informé les États membres que cela constituait une obligation légale.

S’agissant des résultats obtenus dans le cadre de la mesure 121, le système d’information ne fournit pas des données fiables et pertinentes afin d’en faciliter le suivi et de déterminer jusqu’à quel point la mesure contribue à la réalisation des priorités de l'UE, relève encore le rapport des auditeurs.

La Commission a approuvé des PDR qui ne ciblaient pas correctement l’aide

À ce manque de ciblage au niveau des États membres s’ajoute le fait que la Commission a approuvé des programmes de développement rural (PDR) qui ne ciblaient pas correctement l’aide ou qui ne précisaient pas les procédures ou les critères à appliquer lors de la sélection des projets.

Sur les dix PDR examinés, deux comportaient des informations probantes qui attestaient clairement un bon ciblage de la mesure 121 (Italie — Vénétie et Hongrie). Six autres PDR ne comportaient guère d’éléments probants concernant un tel ciblage (Belgique — Wallonie, Allemagne — Bade-Wurtemberg, Espagne — Catalogne, France, Portugal et Roumanie). Enfin, les deux derniers PDR (Luxembourg et Pologne) ne contenaient pas suffisamment d’éléments probants attestant que la mesure 121 avait été ciblée. La Commission a néanmoins approuvé les dix PDR, observe la Cour dans son rapport.

Les auditeurs précisent que, dans le cas du Luxembourg, le PDR fixe des critères d’éligibilité et des taux d’aide différenciés, mais il ne précise pas comment l’aide sera centrée sur les objectifs définis pour répondre aux besoins particuliers du pays. La Commission a rappelé à plusieurs reprises aux autorités luxembourgeoises leur obligation d’établir des critères de sélection, est-il relevé dans le rapport. Pour les auditeurs, les cas du Luxembourg et de la Pologne soulignent la nécessité, pour la Commission, de veiller à ce qu’un niveau suffisant de ciblage soit attesté dans les PDR qui lui sont soumis pour approbation. Une fois que la Commission a accepté un PDR et mis des fonds du Feader à la disposition d’un État membre, il lui est plus difficile de garantir, rétroactivement, le ciblage.

La Cour relève le risque d’effet d’aubaine, c’est-à-dire le fait que l’exploitant agricole aurait réalisé l’investissement même sans aide publique

En outre, les procédures permettant de déterminer si une exploitation ou un projet d'investissement sont viables et durables n'étaient pas efficaces dans tous les États membres note le rapport spécial de la Cour des comptes. Parallèlement, l'absence de mécanismes de ciblage adéquats limitait l'efficacité avec laquelle les fonds additionnels alloués pour renforcer encore les priorités spécifiques de l'UE pouvaient être utilisés.

Les États membres devraient veiller à ce que la viabilité économique des investissements proposés dans les exploitations agricoles puisse être démontrée avant l’octroi de la subvention afin d’éviter que l’aide ne soit accordée à des exploitations qui risquent de péricliter, ainsi que s’assurer de la durabilité de l’investissement subventionné. Bien qu’il n’existe aucune obligation légale en la matière, l’ensemble des États membres contrôlés ont demandé aux candidats de présenter des éléments probants attestant la viabilité économique de leur exploitation et/ou de la proposition de projet. Cependant, l’audit a montré que la qualité et la portée de ces éléments varient sensiblement d’un État membre à un autre.

Au Luxembourg, une attestation est requise pour les investissements d’un montant supérieur à un certain seuil ; elle certifie que l’exploitant agricole a bénéficié de conseils sur le plan économique pour son projet d’investissement et elle présente de manière synthétique des informations sur la marge bénéficiaire brute et sur les coûts du projet, mais ne mentionne pas le résultat de l’analyse économique.

Dans de précédents rapports (par exemple concernant l’approche Leader), la Cour a mis en évidence un risque pour l’efficience de tout programme subventionné, à savoir celui que l’investissement en cause aurait été réalisé même sans l’aide publique. Ce type d’investissement constitue un "effet d’aubaine".

S’agissant de la mesure 121, il existe différentes approches concernant l’approbation d’un projet dont les travaux ont déjà commencé. Au Luxembourg, les exploitations agricoles peuvent introduire une demande d’aide à l’investissement après l’avoir déjà réalisé si le montant est inférieur à 100 000 euros ou si la mise en œuvre du projet a commencé entre le début de la période de programmation et la date de promulgation de la loi d’application au niveau national.

L’audit a montré que dans quatre des États membres/régions contrôlés, parmi lesquels ont compte le Luxembourg, la moitié des projets de l’échantillon avaient été mis en œuvre (voire achevés) avant l’octroi de la subvention. Dans ces cas, observent les auditeurs, le risque d’effet d’aubaine, c’est-à-dire le fait que l’exploitant agricole aurait réalisé l’investissement même sans aide publique, est considérable.

Les propositions législatives de la Commission visant à modifier le règlement relatif au développement rural actuellement en vigueur disposent que les dépenses ne seront éligibles qu’après la présentation d’une demande de subvention. Si ces dispositions permettront d’éviter l’approbation d’un projet a posteriori, comme cela est possible au Luxembourg, elles ne suffiront toutefois pas à éliminer le risque d’effet d’aubaine, puisque les projets d’investissement pourraient encore commencer avant que la demande ne soit approuvée (et même avant que la demande ne soit transmise, sauf que les coûts encourus avant le dépôt de la candidature ne seraient pas éligibles à l’aide).

Les recommandations de la Cour des comptes

Afin d’améliorer l’efficacité de la mesure 121, la Cour recommande entre autres à la Commission :

  • d’approuver les PDR uniquement s’ils montrent que l’aide est ciblée et s’ils comprennent des critères de sélection clairs et pertinents tenant compte des priorités de l'UE et des besoins régionaux ou nationaux;
  • de veiller à ce que, pour la période de programmation suivante, des informations fiables et pertinentes soient obtenues;
  • de formuler des propositions législatives visant à ce que les fonds soient affectés à des priorités spécifiques prévues dans la réglementation de l’UE applicable en matière de développement rural, le cas échéant, afin de garantir que le financement apporte une valeur ajoutée.

Il est par ailleurs recommandé aux États membres de mettre en place des procédures efficaces et proportionnelles aux risques, qui permettent d'éviter que des subventions soient accordées à des projets pour lesquels la viabilité financière de l'investissement ou la pérennité de l'exploitation sont sujettes à caution.