José Magone, professeur à la Berlin School of Economics and Law (HWR), a parlé le 21 mai 2012 de l’Union européenne dans « le meilleur des mondes », sous l’angle du récit sans fin sur la crise de l’euro et la périphérie sud de l’UE. Il était invité dans le cadre du Programme sur la gouvernance européenne de l’Université du Luxembourg.
José Magone a qualifié la période actuelle de « grande crise de transition », avec une "pax americana" en crise, un système de relations internationales qui ne va pas changer fondamentalement avant 2025, pour évoluer ensuite, entre 2025 et 2050, sous le coup d’événements peut-être fulgurants, vers une gouvernance globale. Pour José Magone, il est prévisible qu’au cours de la crise de transition actuelle, les citoyens exigeront de leurs gouvernants, d’ici 2020-2025, des certitudes, comme par exemple une paix démocratique. Se référant à des modèles cycliques d’évolution historique, José Magone estime possible qu’à une période de pouvoir global comme celui des Etats-Unis qui est sur le recul, suive une période de délégitimation, suivie d’une période de décentralisation pour connaître ensuite une période de recentralisation. Dans ce contexte, une thèse est émise : "L’UE n’est pas en crise à cause de la Grèce, mais parce qu’elle est désunie dans un monde globalisé en transition." Et la crise n’est pas non plus une crise uniquement de la dette souveraine, mais des dettes tout court, dettes privées et bancaires incluses.
Face aux défis actuels, les Européens peuvent adopter trois attitudes : s’en sortir d’une manière ou d’une autre, en n’ayant pas de vision courageuse, en misant sur la" Kleinstaaterei" ou le salut dans les petits Etats, ou bien en jouant la compétition entre Etats nationaux. Une autre attitude est de s’abandonner à des chimères politiques comme l’intégration de la Chine et des Etats-Unis, ou bien opter pour la gouvernance démocratique globale.
José Magone a ensuite essayé de tracer les frontières du "meilleur des mondes". C’est un monde issu, pour parler dans les termes de l’historien de l’économie Karl Polanyi, de la deuxième grande transformation qui se déroule dans un cadre marqué par :
Face à cela, l’UE a réagi, car elle doit, selon José Magone, se protéger contre cette sorte de marché qui cible les Etats et déstabilise les économies, d’autant plus que les dettes de tout ordre réunies sont plus élevées que les dettes publiques. La nouvelle gouvernance économique, le semestre européen avec sa pression des pairs, le pacte euro plus et le pacte budgétaire, sont autant d’éléments d’une culture budgétaire qui, selon le professeur de Berlin, tiennent la route dans la mesure où ils sont reliés à d’autres démarches comme le programme-cadre de recherche et la stratégie Europe 2020. Mais tout cela a une limite : celle du budget de l’UE qui ne représente que 1 à 1,05 % du PIB de l’UE.
L’UE est finalement plombée par le fait qu’elle fonctionne en termes de compétitivité à plusieurs vitesses et que son rôle et son importance ont diminué dans le monde, insiste José Magone. Elle est constituée d’un centre qui regroupe 11 Etats (DE, FR, UK, SE, DK, FI, AT, NL, LU, BE, IT) qui regroupent à seuls 65 % de la population, 56 % du territoire, 95,3 % des dépôts de brevets, 2,4 % (contre 0,9 % chez les autres 16 Etats membres) de dépenses du PIB dans la R&D, et qui comptent, à l’exception de l’Italie, parmi les 20 pays les plus compétitifs du globe, avec un classement moyen de 14,8 contre 50,6 pour les autres Etats membres. Tous les scénarios indiquent que les fonds de cohésion de l’Union peuvent, sur le moyen terme, aider à compenser les déficits de la périphérie, mais seulement jusqu’à une certaine limite, en aidant à l’émergence de quelques zones périphériques mieux intégrées dans l’économie européenne. Les conséquences seront multiples :
Le modèle du capitalisme de l’Europe du Sud a échoué, estime José Magone. Avec la chute des dictatures au Portugal, en Grèce et en Espagne entre 1974 et 1975, les pays du Sud de l’Europe ont pris le chemin de la démocratisation. Mais le capitalisme qui y avait cours n’a pas changé selon le professeur. Malgré des transferts massifs de fonds européens, les économies de ces pays ne sont pas devenues compétitives, car les fonds structurels ont avant tout été dépensés dans des infrastructures, et non pas dans des projets à effet de levier sur la compétitivité. Les réformes structurelles et les réformes des administrations publiques ont été différées, alors que l’emploi public absorbe des fonds bien au-delà de la moyenne européenne. Le modèle de ce capitalisme du Sud se distingue donc encore actuellement par un bas niveau des mécanismes de qualification, par un degré très élevé de dépendance de l’investissement étranger, des industries qui ont un recours intensif à de la main d’œuvre et un secteur des services faible. S’y ajoutent une culture entrepreneuriale structurellement faible et un bas niveau d’investissement dans la R&D.
S’il y a eu échec de l’effet des fonds structurels sur ces pays, José Magone explique que c’est surtout dû au fait que l’on a trop misé sur la mise en place d’infrastructures publiques. Et cela est de nouveau dû à deux facteurs : l’absence de consultation de la société civile, qui, si elle a eu lieu, l’a été purement pour la forme, et "la faiblesse extrême du secteur public" qui a empêché ce dernier de prendre part directement à de grands projets. D’autres maux grèvent aussi le capitalisme du Sud selon José Magone : le clientélisme et le "patronage", la corruption politique, surtout en Grèce, en Espagne et au niveau local, les retards en termes de libéralisation et de privatisation, la faiblesse de la société civile comme instance de contrôle, et des élites politiques profondément divisées.
Reste néanmoins qu’en 2010, les 16 pays de la périphérie européenne avaient un ratio de dette publique moins élevé que les pays du centre de l’UE, 56 contre 68 %, mais leur taux de déficit budgétaire était le double, avec 8 % contre 4,2 %.
Dans ce contexte, il s’agit pour José Magone de recréer de la confiance dans des réformes crédibles, des objectifs à long terme acceptés, un Etat efficient, en rendant plus transparentes les finances publiques.
Dans ses conclusions, José Magone a souligné en premier lieu que le débat sur l’Union européenne et la situation dans les différents Etats membres est devenu un débat de politique intérieure. "On discute de tout partout", a-t-il relevé. Une autre conclusion est que le débat sur la crise partout en Europe a révélé à l’espace public européen que l’Union est hétérogène et que le processus de réformes qu’elle a induit a été mené de manière asymétrique. Et une dernière conclusion de José Magone rejoint sa thèse de départ : "L’exclusion de la Grèce de la zone euro ne résoudra pas le problème commun de la compétitivité de l’UE. Car les marchés, toujours à la traque d’un problème de dette, ne vont pas tarder à prendre d’autres Etats pour cible."