Dans un arrêt rendu le 14 juin 2012, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) constate que la législation néerlandaise, qui soumet le financement des études à l'étranger à la condition de résidence, institue une inégalité de traitement entre les travailleurs néerlandais et les travailleurs migrants. Selon la Cour, les Pays-Bas n’ont pas prouvé que la condition de résidence "des 3 ans sur 6" ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif consistant à promouvoir la mobilité des étudiants. L’avocat général avait rendu ses conclusions au sujet de cet affaire en février dernier.
Un arrêt qui risque d’être observé d’un œil attentif au Luxembourg où la loi sur les aides pour études supérieures est contestée.
La loi néerlandaise sur le financement des études détermine les personnes pouvant bénéficier d’une aide financière pour suivre des études aux Pays-Bas et à l’étranger. En ce qui concerne les études d’enseignement supérieur suivies aux Pays-Bas, un financement peut être accordé à tout étudiant entre 18 et 29 ans, ayant la nationalité néerlandaise ou celle de tout autre État membre de l'Union européenne. Pour suivre des études d’enseignement supérieur à l’étranger, un étudiant doit pouvoir prétendre à un financement pour des études d’enseignement supérieur aux Pays-Bas et doit également avoir légalement séjourné aux Pays-Bas pendant au moins trois ans au cours des six années précédant son inscription dans un établissement d’enseignement à l’étranger.
Cette condition dite "des 3 ans sur 6" s’applique quelle que soit la nationalité de l’étudiant. La Commission a introduit un recours en manquement devant la Cour de justice à l'encontre des Pays-Bas, en faisant valoir que la condition "des 3 ans sur 6" constitue une discrimination indirecte des travailleurs migrants et des membres de leur famille, interdite par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et contraire à la réglementation européenne relative à la libre circulation des travailleurs.
La Cour constate que le TFUE prévoit que la libre circulation des travailleurs implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. En outre, il découle dudit règlement, que le travailleur ressortissant d’un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. Cette disposition bénéficie indifféremment tant aux travailleurs migrants résidant dans un État membre d’accueil, qu’aux travailleurs frontaliers qui, tout en exerçant leur activité salariée dans ce dernier État membre, résident dans un autre État membre.
La Cour rappelle qu’une aide accordée pour l’entretien et la formation afin de poursuivre des études universitaires, sanctionnées par une qualification professionnelle, constitue un avantage social au sens dudit règlement. Le financement des études accordé par un État membre aux enfants des travailleurs constitue, pour un travailleur migrant, un avantage social au sens dudit règlement, lorsque ce dernier continue à pourvoir à l’entretien de l’enfant. À cet égard, la Cour souligne que le principe d’égalité de traitement prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat. Tel est le cas, notamment, d’une mesure qui exige une durée de résidence bien précise, en ce que celle-ci risque de jouer principalement au détriment des travailleurs migrants et des travailleurs frontaliers ressortissants d’autres États membres, dans la mesure où les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux.
La Cour estime dès lors que la condition de résidence "des 3 ans sur 6" instaure une inégalité de traitement entre les travailleurs néerlandais et les travailleurs migrants résidant aux Pays-Bas ou y effectuant leur activité salariée en tant que travailleurs frontaliers. Une telle inégalité constitue une discrimination indirecte prohibée, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée.
À cet égard, la Cour écarte l’argument des Pays-Bas selon lequel la condition de résidence serait nécessaire afin d’éviter une charge financière déraisonnable pouvant avoir des conséquences sur l’existence même de ce régime d’aide. Elle rappelle que l'objectif d’éviter une charge financière déraisonnable ne saurait être considéré comme une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une inégalité de traitement entre les travailleurs néerlandais et les travailleurs des autres États membres.
En outre, les Pays-Bas soulèvent que, étant donné que la réglementation néerlandaise vise à promouvoir les études en dehors des Pays-Bas, la condition de résidence assurerait que le financement portable bénéficie uniquement aux étudiants qui, en l’absence de ce financement, suivraient leurs études aux Pays-Bas. En revanche, les étudiants ne résidant pas aux Pays-Bas auraient le premier réflexe d’étudier dans leur État membre de résidence et, de ce fait, la mobilité ne s’en trouverait pas stimulée.
La Cour observe que l’objectif de favoriser la mobilité des étudiants relève de l’intérêt général et constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction au principe de non-discrimination en raison de la nationalité. Elle rappelle toutefois qu'une réglementation qui est de nature à restreindre une liberté fondamentale garantie par le traité, telle que la libre circulation des travailleurs, ne peut être valablement justifiée que si elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint.
Dans ce contexte, les Pays-Bas soulèvent que ladite réglementation présente le mérite de favoriser la mobilité des étudiants par l’enrichissement que les études en dehors des Pays-Bas apporteraient non seulement aux étudiants, mais aussi à la société et au marché de l’emploi néerlandais. Ainsi, les Pays-Bas s’attendent à ce que les étudiants qui bénéficieront dudit régime retourneront aux Pays-Bas après avoir terminé leurs études pour y résider et y travailler.
La Cour admet que les éléments indiqués tendent à refléter la situation de la plupart des étudiants et, partant, que la condition de résidence est appropriée à la réalisation de l’objectif de promotion de la mobilité des étudiants. Néanmoins, les Pays-Bas auraient dû au moins justifier pourquoi ils ont opté pour la condition "des 3 ans sur 6", à l’exclusion de tout autre élément représentatif. En effet, cette condition présente un caractère trop exclusif. En imposant des périodes spécifiques de résidence sur le territoire de l’État membre concerné, la condition "des 3 ans sur 6" privilégie un élément qui n’est pas nécessairement le seul représentatif du degré réel de rattachement entre l’intéressé et ledit État membre. Dès lors, la Cour conclut que les Pays-Bas n’ont pas prouvé que la condition de résidence ne va pas au-delà ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par cette réglementation.