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Justice, liberté, sécurité et immigration - Traités et Affaires institutionnelles
Après l’éviction du Parlement européen du mécanisme d’évaluation de Schengen, la présidence danoise du Conseil a essuyé les foudres d’une très large majorité des eurodéputés
12-06-2012


SchengenLe 7 juin 2012, le Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) a adopté à l’unanimité, et donc avec le concours du gouvernement luxembourgeois, une orientation générale sur deux propositions législatives liées à Schengen qui règlent la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures. Il s’agit d’un côté du  mécanisme d'évaluation de Schengen, qui exclut de fait le Parlement européen des décisions, et de l’autre côté des modifications du code frontières Schengen en ce qui concerne des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles, des modifications qui devront être co-décidées avec le Parlement européen. Le Parlement européen avait dès le jour de cette décision très mal réagi, et il en avait été de même de la commissaire européenne Cecilia Malmström.

Le 12 juin 2012, le Parlement européen a discuté en plénière de cette décision, et notamment de la base légale du mécanisme d’évaluation de Schengen qui l’exclut du processus de codécision.

Morten Bødskov,  ministre danois de la Justice : il s’agit "seulement d’une question de contenu, pas d’une question politique", et ce serait "une erreur de faire de cette histoire une affaire de lutte entre le  Conseil et le Parlement européen"

Morten Bødskov, le ministre social-démocrate danois de la Justice, a pris la parole au nom de la Présidence du Conseil. Il a déclaré être en accord avec la décision du Conseil, "même si celle-ci n’est pas populaire en cette enceinte", mais "nécessaire si l’UE veut atteindre un résultat qui est d’améliorer la coopération Schengen". Pour lui, une autre décision n’était "pas possible au Conseil". Il s’agissait d’agir dans l’intérêt des citoyens et de montrer "notre responsabilité pour la victoire qu’est Schengen". Continuer la lutte pour une Europe sans frontières intérieures, c’est aussi doter la coopération Schengen d’un mécanisme spécifique pour faire face à situations extraordinaires qui la mettent en danger.

Le paquet présenté par la Commission en septembre 2011 a mis les présidences polonaise et danoise au défi de trouver une solution prise à l’unanimité au Conseil. Pour cela, il a fallu passer de la référence à l’article 77 TFUE à l’article 70.

Pour explication : l’article 77 donne plus de pouvoirs au Parlement européen pour participer aux décisions, tandis que l’article 70 TFUE implique que le règlement proposé devrait être adopté par une décision du Conseil requérant la majorité qualifiée des États membres. Il ne suit donc pas la procédure législative ordinaire du traité de Lisbonne, qui accorde un pouvoir de codécision au Parlement européen. Le Conseil devrait cependant convenir également de consulter le Parlement à titre volontaire afin de veiller à ce que sa position soit prise en compte dans toute la mesure du possible.

Pour le ministre danois, ne pas changer de base juridique aurait signifié qu’il n’y aurait pas eu de nouveau mécanisme d’évaluation, car au Conseil, il y avait trop d’opposition à article 77. Pour lui, il s’agit "seulement d’une question de contenu, pas d’une question politique", et ce serait donc "une erreur de faire de cette histoire une affaire de lutte entre Conseil et Parlement européen", parce que cela serait "dommageable pour la coopération Schengen"..

Le ministre danois a fait l’éloge des bons rapports qu’il a avait eu avec le rapporteur du Parlement européen, Carlos Coelho (PPE) dont le rapport adopté par la Commission LIBE est complètement basé sur la référence à l’article 77 et à la codécision. De son point de vue, le Conseil a fait montre d’esprit de compromis en augmentant les pouvoirs de la Commission. En même temps, il a promis qu’il "y aura aussi la plus grande transparence avec des rapports vis-à-vis du Parlement européen" et que la présidence danoise veillerait à ce que le Parlement européen reste co-législateur sur le code frontières. Pour Morten Bødskov, cela permet de s’attendre dans le futur à un modèle plus communautaire. Il a conclu en misant sur un bon débat et en exprimant le souhait du Conseil d’avoir un dialogue avec le Parlement sur une "proposition qui doit répondre aux désidérata de nos populations".

Joseph Daul : "Depuis le 7 juin, la présidence danoise du Conseil est pour nous terminée. Nous ne nous adresserons plus à elle"

Joseph Daul, le chef du groupe politique PPE, un homme d’habitude porté vers la conciliation plus que vers la polémique, a d’emblée expliqué qu’après un tel discours qu’il avait pris comme "ne provocation" il avait "u mal à garder son sang-froid, à ne pas exploser" La décision des ministres de l’Intérieur européens, prise contre l’avis du Parlement européen, est pour le PPE "absolument inacceptable". Il a par contre salué le courage de la commissaire Cecilia Malmström qui ne s’est pas déjugée. Il a accusé la présidence danoise d’avoir "cassé le lien de confiance avec ce Parlement". Il s’agit pour lui d’une attaque contre la méthode communautaire, des petits Etats contre les grands, contre l’idée même d’intérêt général dans l’UE.

"Nous ne renoncerons pas à nos prérogatives", a-t-il annoncé, reprochant à la présidence danoise de ne pas respecter les 500 millions de citoyens de l’UE sur un sujet aussi majeur que la libre circulation des personnes. "Depuis le 7 juin, la présidence danoise du Conseil est pour nous terminée. Nous ne nous adresserons plus à elle, seulement à son successeur, la République de Chypre", a enchaîné Joseph Daul, avec une dureté inédite, plaidant pour une souveraineté partagée et un esprit de confiance dans le cadre de la coopération Schengen et pour que le Conseil revienne sur sa décision, "seule possibilité pour lui de revenir dans ce Parlement".

Hannes Swoboda (S&D) s’est étonné que Morten Bødskov "ait encore osé venir au Parlement européen pour dire qu’il avait bien agi"

Le chef des sociaux-démocrates du S&D, Hannes Swoboda, a été particulièrement dur avec le ministre danois, qui est de la même famille politique. Il lui a reproché de ne rien avoir appris de l’histoire, expliquant que des concessions au populisme de droite en Europe, c’est toujours mauvais, surtout quand elles sont le fait de sociaux-démocrates. Le débat sur Schengen a commencé avec les décisions de la France de Nicolas Sarkozy et de l’Italie de Silvio Berlusconi de fermer leur frontière intérieure par peur des jeunes Tunisiens qui voulaient la passer. Finalement l’assaut de millions d’Arabes n’a pas eu lieu. Ils sont au contraire allés se réfugier de Libye en Tunisie. Hannes Swoboda ne veut pas nier qu’il y a des problèmes sérieux à la frontière gréco-turque, mais fermer les frontières intérieures, est-ce la seule option ? Ne faudrait-il pas ici plus de solidarité ? Reprochant violemment au gouvernement de centre-gauche danois d’avoir contribué à cette gabegie, il a dit au ministre Bødskov son étonnement que ce dernier ait encore osé venir au Parlement européen pour dire qu’il avait bien agi.

A ses yeux, le Conseil a exclu le Parlement européen du processus de décision sur le mécanisme d’évaluation de Schengen parce que le Parlement a toujours défendu la libre circulation des personnes et qu’il y aurait "de la résistance si l’on veut fermer les frontières". Pour Hannes Swoboda, il y a unanimité parmi les grands groupes politiques du Parlement européen pour s’opposer à plus d’éventualités pour fermer les frontières intérieures dans l’UE, pour regretter aussi que l’on ait ouvert la porte au populisme de droite, et surtout que le gouvernement danois y ait prêté son concours.

Guy Verhofstadt répondant à la proposition de dialogue du Conseil : "Nous sommes à l’âge de la codécision, nous n’avons pas besoin d’un dialogue"

Guy Verhofstadt a rappelé au nom des libéraux de l’ALDE que le 27e anniversaire des accords de Schengen serait fêté le 13 juin et il a remercié amèrement le ministre danois "pour ce cadeau". Pour lui, "c’est une honte que tout ça soit désormais sujet à discussion". Il lui a reproché aussi d’avoir fait diffuser en danois l’information selon laquelle la décision du Conseil aurait été le résultat d’un dialogue avec le Parlement européen. "Nous ne sommes pas au Moyen Âge, quand le roi dialoguait avec son parlement. Nous sommes à l’âge de la codécision, nous n’avons pas besoin d’un dialogue", lui a lancé le leader libéral. "Ce n’est non plus une question qui touche au pouvoir du Parlement européen, mais il s’agit d’une tentative du Conseil de renationaliser Schengen. Le Conseil veut créer un nouvel acquis et le gérer lui-même, et ne pas le laisser à la Commission. Il s’agit d’une attaque en règle contre la Commission et la méthode communautaire, qui sont des éléments constitutifs des politiques de l’UE."

Le Parlement européen doit donc agir de trois manières selon Guy Verhofstadt : introduire une action contre le Conseil devant la CJUE ; ne pas voter cette part du budget de l’UE, puisque les Etats veulent tout faire eux-mêmes ;  cesser le trilogue sur Dublin II, sur le code frontières, etc., puisque le Parlement européen n’a plus rien à dire, et attendre que les choses aillent autrement sous présidence chypriote.

Pour Rebecca Harms, "c’est profondément révoltant que le gouvernement danois, avec lequel les Verts ont recherché la coopération, commette un tel acte de défiance à l’égard du Parlement européen"

Rebecca Harms, des Verts/ALE, a reproché au gouvernement danois d’avoir agi comme il a agi en connaissance de cause. "Cela finit toujours mal quand des sociaux-démocrates épaulent des populistes de droite", s’est exclamée la porte-parole des Verts, qui trouve par ailleurs que "c’est profondément révoltant que le gouvernement danois, avec lequel les Verts ont recherché la coopération, commette un tel acte de défiance à l’égard du Parlement européen". Comment les ministres de l’Intérieur peuvent-ils penser que l’on ne peut pas confier la sécurité des citoyens européens au Parlement européen, se demande Rebecca Harms. "Ils ont posé la tête d’un des plus grands acquis de l’UE sur le billot et ce jour est le plus triste de la présidence danoise du Conseil", a-t-elle conclu. 

Appui des conservateurs au Conseil et muselière pour Robert Goebbels

La conservatrice Anthea McIntyre s’est dit elle aussi surprise par la décision du Conseil, mais a appelé ses confrères et consoeurs à garder leur sang-froid. Les temps sont durs pour l’UE, pense-t-elle, et les institutions doivent garder de bonnes relations entre elles. Elle a de la sympathie pour les Etats membres qui ont "des arguments solides" et a rappelé que la commission LIBE du Parlement européen n’a pas été opposée à des contrôles. De plus, a-t-elle rappelé, la sécurité nationale relève de la compétence des Etats, pas de l’UE, et il en est de même de la compétence sur les frontières.

A ce moment, l’eurodéputé socialiste luxembourgeois Robert Goebbels, un des signataires historiques des accords de Schengen le 13 juin 1985, a voulu poser une question à la députée conservatrice britannique, une question que celle-ci n’a pas admise, comme le lui permet le règlement.

Cornelia Ernst, de la GUE/NGL, a pris la défense des frontières ouvertes, "le symbole le plus important de l’UE", et jugé "indigne" la manière dont le Conseil célébrait sa décision. Elle a demandé à ce que soit mis fin "à cette politique antieuropéenne et antidémocratique" et insisté sur le droit de codécision du Parlement européen inscrit dans les traités.

Cecilia Malmström : "Le dernier mot n’a pas encore été dit"

Cecilia Malmström, la commissaire en charge, qui n’avait pas mâché ses mots le 7 juin 2012 déjà, a insisté sur le fait que la proposition de la Commission de prendre l’article 77 TFUE qui implique le Parlement européen comme base juridique n’avait "pas seulement été une proposition juridique, mais avait aussi été conçue comme une ambition politique". Elle a ajouté que ce qui touche aux frontières affecte tous les citoyens européens et qu’il faut donc une décision européenne. Mais apparemment, "nous ne sommes pas encore assez équipés pour lutter contre le populisme de droite", a-t-elle lancé, en ajoutant que "le dernier mot n’a pas encore été dit". 

Morten Bødskov : le tout est un "malentendu"

Répondant aux eurodéputés, le ministre danois Morten Bødskov a parlé d’un "malentendu", assurant que le Conseil ne voulait en rien exclure le Parlement européen qui "doit garder son influence", et qu’il n’était donc "pas juste de dire qu’il s’agit d’une lutte entre Parlement européen et Conseil". Il a répété ses arguments fondés sur la nécessité d’un compromis pour disposer au Conseil de la majorité nécessaire pour prendre une décision. Pour lui, "il n’y a pas de doute que Conseil et Parlement européen ont un intérêt commun qu’il y ait un système Schengen qui fonctionne" et que le Conseil pourra compter à l’avenir sur l’aide du Parlement européen pour adapter et développer cette coopération. Le député Coelho, a-t-il dit de manière appuyée, "a été l’incarnation de ce moteur", et il lui a lancé un nouvel appel  pour que Parlement et Conseil "mettent ensemble en place un nouveau cadre pour la coopération Schengen". Pour le ministre danois, "la balle est maintenant dans le camp du Parlement européen, puisqu’il pourra jouer sur le code frontières son rôle habituel de codécideur". Pour lui, le Conseil, qui ne pouvait qu’adopter un paquet de mesures, "a toujours les meilleures intentions du monde".

Carlos Coelho : "J’accuse le Conseil de nous amener au bord d’un précipice. Il n’est pas juste de renationaliser le système Schengen."

Le règlement du Parlement européen permettant à un député interpellé par un orateur de prendre la parole, Carlos Coelho a été plus qu’explicite : "Les choses ont mal tourné à cause de l’attitude du  Conseil qui n’a pas fait confiance au Parlement européen et qui a adopté une approche datant d’avant le Traité de Lisbonne qui nous a donné le droit de codécision. Le Conseil a été obnubilé par le désir de renforcer les contrôles aux frontières". Le système qu’il veut mettre en place ne permettra pas une vraie évaluation des problèmes aux frontières. Le Conseil veut garder un système qui se base sur les Etats membres dont l’expérience montre qu’ils cachent leurs erreurs. Bref, il s’agit pour Carlos Coelho "d’une approche intergouvernementale dépassée". Sa conclusion : "J’accuse le Conseil de nous amener au bord d’un précipice. Il n’est pas juste de renationaliser le système Schengen."

Commentaires luxembourgeois

L’eurodéputé vert Claude Turmes a diffusé une prise de position dans laquelle il approuve les propos de Joseph Daul sur les concessions au populisme et l’affront aux droits du Parlement européen. "Je ne comprends pas comment le gouvernement luxembourgeois a pu acquiescer au démantèlement d’une des grandes libertés de base de l’UE", déclare-t-il, convaincu que "nous ne résoudrons pas nos problèmes en Europe en érigeant de nouveau des murs aux frontières, mais que le défi de l’immigration doit être affronté par d’autres mesures".

En écho à son confrère eurodéputé, le député vert à la Chambre des députés Felix Braz a demandé dans l'après-midi du 12 juin 2012 au nom de son groupe parlementaire une heure d'actualité concernant le projet de réforme de l'espace Schengen adopté le 7 juin 2012 au Conseil JAI. Les Verts considèrent comme "parfaitement inacceptable" le fait que l’accord prévoit la réduction du rôle du Parlement européen pour l'évaluation de l'application des accords de Schengen.

Le 12 juin 2012, la radio 100,7 a diffusé lors de son journal du soir les réactions qu'elle a recueillies auprès des députés européens. L'eurodéputé écologiste, Claude Turmes, y a cette fois parlé d'un "putsch contre la démocratie". Ce serait "un terrible précédent si nous ne réagissons pas". "Ce serait comme si le gouvernement luxembourgeois disait nous ne faisons plus de loi au sujet desquelles nous faisons voter les députés mais nous ne faisons plus que des règlements grands-ducaux que le Grand Duc signe. Ce serait un recul de la démocratie au Luxembourg si cela arrivait et les gens seraient sur les barricades." Il s'est interrogé : "Comment est-ce possible que les ministres Nicolas Schmit et Jean-Marie Halsdorf soutiennent une politique migratoire aussi méprisante vis-à-vis des êtres humains et deuxièmement qu'ils aident à maintenir à l'écart la démocratie européenne?"."Je ne sais pas si les ministres sont conscients de la gravité de leur décision, qui consiste à entamer les droits du Parlement sur un point essentiel", a avancé l'eurodéputé libéral Charles Goerens.

Le chrétien-social Frank Engel s'est montré plus résigné : "Que les ministres luxembourgeois ne se soient pas opposés ouvertement, je le regrette. Mais je le comprends au vu du rapport de forces auquel ils ont été confrontés." Il a également déclaré : "Je dois sincèrement avouer que je considère le Conseil des ministres comme  déconnecté du monde de telle sorte que je ne compte pas a priori sur une concession."

Pour le socialiste Robert Goebbels, "si elle continue sur cette voie, l'Union européenne sera bientôt enterrée". Il souligne notamment la passivité du Premier ministre, Jean-Claude Juncker :"Je ne comprends pas [qu'il] ne freine pas ses ministres."