Principaux portails publics  |     | 

Stratégie numérique - Marché intérieur
Droits d’auteur - La Commission propose de faciliter l'octroi de licences de droits sur les œuvres musicales dans le marché unique
11-07-2012


Couverture de la brochure présentant la stratégie de la Commission en matière de Droits de la Propriété intellectuelleLa Commission européenne a proposé le 11 juillet 2012 une directive qui contient des mesures visant à moderniser les sociétés de gestion collective de droits d'auteur et à les inciter à renforcer leur transparence et leur efficacité. La directive proposée est présentée comme un des nouveaux éléments qui doivent contribuer à la mise en place d’un marché unique pour les droits de propriété intellectuelle et s'inscrit dans le cadre de la stratégie définie en 2011 par la Commission en matière de propriété intellectuelle:

Selon la Commission, les nouvelles technologies numériques ouvrent de grandes perspectives aux créateurs comme aux consommateurs et aux entreprises. La demande de contenus culturels en ligne (musique, films, livres, etc.) ne cesse de croître, sans tenir compte ni des frontières ni des restrictions nationales. Il en va de même des services en ligne permettant d'accéder à ces contenus.

C'est là qu'interviennent les sociétés de gestion collective de droits d'auteur, en particulier pour la musique, puisqu'elles gèrent collectivement la concession de licences d'exploitation en ligne d'œuvres musicales protégées par le droit d'auteur pour le compte d'auteurs et de compositeurs et leur redistribuent les redevances qui s'y rapportent.

Or, certaines sociétés de gestion collective ont, juge la Commission, du mal à s'adapter aux contraintes de la gestion de droits pour l'exploitation en ligne d'œuvres musicales, notamment dans un contexte transfrontière. Résultat : un accès à moins de services musicaux en ligne. Et dans ce contexte, le Luxembourg est cité en compagnie de Malte, Chypre, la Slovénie, les Etats baltes, la Hongrie, la Bulgarie, la Grèce et la Roumanie.

La proposition de la Commission européenne prévoit que les sociétés de gestion collective qui veulent se lancer dans la concession de licences multi-territoriales sur leur répertoire devront se conformer à des normes européennes. Il s'agit de faire en sorte que les prestataires de services puissent obtenir plus facilement les licences nécessaires à la diffusion de musique en ligne dans toute l'UE et d'assurer la bonne perception des revenus et leur répartition équitable entre les auteurs et les compositeurs.

Principaux éléments de la directive proposée

La proposition présentée poursuit deux objectifs complémentaires:

  • promouvoir la transparence et améliorer la gouvernance des sociétés de gestion collective en renforçant leurs obligations d'information et le contrôle de leurs activités par les titulaires de droits, de manière à créer des incitations à la prestation de services plus innovants et de meilleure qualité;
  • sur cette base, et d'une manière plus spécifique, encourager et faciliter la concession de licences de droits d'auteur multi-territoriales et multi-répertoires pour l'utilisation d'œuvres musicales en ligne dans l'Union européenne et l'Espace économique européen.

Dans la pratique, cela signifie plusieurs choses.

Les titulaires de droits pourraient intervenir directement dans la gestion de leurs droits et être rémunérés plus rapidement ; ils seraient légalement en droit de choisir la société de gestion collective la plus performante au regard de leurs objectifs. Les intérêts des titulaires de droits seraient ainsi mieux protégés et les consommateurs auraient accès à un contenu culturel plus riche.

Ces nouvelles règles changeraient la façon de travailler des sociétés de gestion collective dans toute l'Europe, en imposant par exemple une meilleure gestion des répertoires, le versement plus rapide des sommes dues aux membres, la transparence des flux financiers générés par l’exploitation des droits d'auteur, l'élaboration d'un rapport de transparence annuel et la communication directe d'informations supplémentaires aux titulaires de droits et aux partenaires commerciaux (qui peuvent être d’autres sociétés de gestion collective).

Les États membres devraient se doter de mécanismes pour la résolution des litiges entre ces sociétés et les titulaires de droits.

Cette amélioration des normes et des processus devrait se traduire par un meilleur fonctionnement des sociétés de gestion collective, qui bénéficieraient ainsi d'un regain den confiance dans leurs activités.

Il serait alors plus facile de concéder des licences de droits d'auteur multi-territoriales pour l'utilisation d'œuvres musicales sur Internet par-delà les frontières, sous réserve de justifier de capacités techniques suffisantes pour assurer cette tâche efficacement, ce qui profiterait aussi bien aux auteurs qu'aux fournisseurs de services Internet et aux citoyens.

Les sociétés de gestion collective

Les sociétés de gestion collective servent d’intermédiaire entre les titulaires de droits et les prestataires de services qui souhaitent utiliser leurs œuvres, non seulement dans le domaine musical, mais aussi dans d'autres domaines artistiques, tels que la littérature ou le cinéma.

Leur rôle consiste à concéder des licences de droits et à en percevoir les redevances pour les redistribuer ensuite aux titulaires des droits, lorsqu'il est difficile ou très coûteux de négocier individuellement avec chaque créateur l'obtention d'une licence sur ses droits.

Il existe dans l'UE plus de 250 sociétés de ce type, qui gèrent des recettes de l'ordre de six milliards d'euros par an. Dans le secteur de la musique, l'exploitation des droits représente environ 80 % des recettes totales perçues par ces sociétés.

Au Luxembourg, c’est la SACEM ( pour Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) associée avec la SDRM (pour Société pour l’administration de droit de reproduction mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs) et l'ALGOA (Association luxembourgeoise de Gestion des Œuvres audiovisuelles) qui gère des droits d'œuvres audiovisuelles qui sont compétents. L'association sans but lucratif LUXORR (Luxembourg Organization For Reproduction Rights) gère les droits des auteurs et éditeurs d'œuvres littéraires et assimilées.

La gestion collective des droits est importante pour l'attribution de licences aux prestataires de services de musique en ligne (téléchargement, lecture en flux continu). Ceci concerne au premier chef les droits des compositeurs ou des paroliers. Les prestataires de services en ligne souhaitent généralement pouvoir couvrir une multitude de territoires et proposer un catalogue d'œuvres très fourni, sans compter qu'ils sont souvent désireux de tester de nouveaux modèles commerciaux.

Tous ces facteurs compliquent beaucoup l'attribution de licences d'exploitation en ligne.

De nombreuses sociétés de gestion collective des droits d'auteur ne sont pas encore armées pour relever ces défis, les prestataires de services ont beaucoup de mal à obtenir les licences nécessaires pour lancer des services de musique en ligne à l'échelle de l'UE. Les sociétés luxembourgeoises sont de ce lot, selon la Commission. Cette situation limite l'offre de services de musique en ligne accessibles aux consommateurs dans l'ensemble de l'UE et ralentit la généralisation de services innovants. Ces sociétés ne sont pas non plus capables de gérer les données qui proviennent de prestataires de services en ligne, comme par exemple  Spotify ou Nokia Music qui offrent de la musique pour le téléchargement ou en streaming, et ils ne sont pas capables d’accorder ces données avec leur répertoire. Ce qui conduit à des factures erronées, à une double facturation ou pas de facturation du tout, au détriment des propriétaires des droits qui doivent bénéficier dans un monde digital qui évolue très rapidement d’une meilleure protection de leurs droits.

Pas de point d’entrée unique, mais quatre options

La responsabilité pour cette réorganisation incombe néanmoins à la profession. Pas question pour la Commission de prôner un point d’entrée unique, car cela supposerait la création d’un organisme central qui gérerait tous les répertoires et qui aurait de ce fait une situation de monopole, ce qui n’est pas compatible avec les règles sur la concurrence de l’UE.

Le problème n’est pas tant que les sociétés de gestion n’aient pas le droit de vendre concession de licences multi-territoriales, mais qu’elles ne font pas usage de ce droit ou pas de manière correcte. La Commission décrit les quatre options d’une société de gestion des droits luxembourgeoise qui voudrait rendre son répertoire accessible dans d’autres pays :

  1. elle peut accorder des licences pour tout son répertoire sur tout le territoire de l’UE si elle fonctionne comme le demandent les nouvelles règles de la directive ;
  2. elle peut déléguer la gestion de son répertoire à une société qui dispose de l’équipement électronique adéquat pour gérer les données liées à son répertoire ;
  3. elle peut aussi demander à une autre société de gestion collective d’un autre pays de l’UE de gérer pour ce pays son répertoire, et le faire ainsi avec les partenaires d’autres pays ;
  4. elle peut ensuite se mettre ensemble avec d’autres sociétés d’autres pays une société commune qui agrège les répertoires de toutes ces sociétés. Et si de telles sociétés devaient émerger, elles n’auraient plus le droit de refuser de rendre service à une société d’un autre pays.

Si aucune des quatre options n’est suivie par les sociétés de gestion, les détenteurs de droits qui les ont déposés auprès d’elles peuvent eux-mêmes confier leurs droits à d’autres sociétés, sans qu’ils ne puissent perdre leurs droits dans la société initiale. 

Surveillance du secteur

La directive ne prévoit pas que les Etats membres soient responsables d’une quelconque autorisation préalable aux sociétés de gestion collective des droits d’auteur, mais ils devront charger une autorité compétente de la surveillance du secteur quand il émet des licences multi-territoriales pour les services en ligne. Celle-ci devra veiller à ce que ces sociétés agissent en conformité avec la directive et recevoir et traiter les plaintes qui pourraient être émises contre ces sociétés.   

Une position luxembourgeoise dans ce contexte

Le 4 juillet 2012, lors d’un séminaire à la FEDIL sur la question des droits de propriété intellectuelle dans l’UE à l’ère numérique, le directeur de l’Office luxembourgeois de la propriété intellectuelle, Lex Kaufhold, s’était montré sceptique vis-à-vis de l’approche de la Commission, dont il connaissait déjà les tenants. Il avait déclaré qu’il ne suffisait pas de changer la législation pour changer les pratiques sur un marché intérieur du commerce électronique qui n’existe pas, même s’il est souhaitable, et qu’il fallait donc mieux procéder pas à pas.

Pour Lex Kaufhold, l’approche de la Commission est de fait une libéralisation immédiate et sans crier gare du marché de la gestion collective des droits d’auteur. Dans la pratique, les grandes sociétés nationales, comme la GEMA allemande par exemple, qui sont bien équipées (la GEMA vient juste d’augmenter de 400 %  les droits d’auteur sur les contenus musicaux dans les discothèques en Allemagne, une mesure très contestée, n.d.l.r.) risquent, selon Lex Kaufhold, de faire très vite la loi au Luxembourg. A noter que le Luxembourg fait nommément partie des pays où la Commission estime que les sociétés de gestion collective des droits d’auteur sont en retard, ou pour le dire en langage communautaire, où les sociétés en question ont du mal à s’adapter aux nouvelles contraintes. Lex Kaufhold avait aussi évoqué une autre menace : que les grandes entreprises de gestion collective des droits puissent s’approprier des portefeuilles des « majors » américaines et négligent les droits des petits auteurs.