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Journée luxembourgeoise de la propriété intellectuelle : l'ACTA au cœur des attentions
26-04-2012


Le 26 avril 2012, le ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, Etienne Schneider, a, lors de l’ouverture officielle de la 5e édition de la Journée luxembourgeoise de la propriété intellectuelle, évoqué dans son allocution l’importance que revêtait la protection de la propriété intellectuelle. Elle est pour lui un moyen de défendre les avantages compétitifs d’une économie ouverte à haute valeur ajoutée en Europe, et donc ceux de l’économie luxembourgeoise.

Au sujet du Luxembourg

Il a évoqué à ce titre les mesures fiscales en faveur des revenus qui découlent de la propriété intellectuelle, les aides spéciales dédiées dans le domaine de la recherche et de l’innovation aux mesures liées à la protection de la propriété intellectuelle, y compris les frais de consultance et de recherches d’antériorité.

L'Etat exemplaire

Etienne Schneider, lors de son intervention à la Journée de la propriété intellectuelle, le 26 avril 2012D’autre part, l’Etat paye depuis quatre ans à l’organisme de gestion et de répartition des droits d'auteur et des droits voisins, qu’est l'association sans but lucratif LUXORR (Luxembourg Organization For Reproduction Rights), des droits pour les copies et reproductions qu’il pratique pour ses besoins internes. Il est le premier Etat membre à avoir régularisé sa situation sur ces questions. Pour Etienne Schneider, en termes de droits d’auteurs, le Luxembourg ne peut pas en même temps essayer d’attirer des branches économiques qui vivent de leur créativité et affranchir son administration publique de ses obligations.

Le ministre a souligné que plusieurs sociétés importantes sont intéressées par le modèle de propriété intellectuelle développé au Luxembourg. Un copyright de l’industrie bien protégé, c’est pour lui plus d’emploi, plus de PIB dans le respect des créateurs.

Des brevets à l'efficacité énergétique

Une Europe ouverte doit aussi pouvoir s’appuyer sur un système de brevets efficace. Le Luxembourg en aura d’autant plus besoin qu’il voudra miser sur une économie basée sur l’efficience énergétique. Etienne Schneider a rappelé que le Luxembourg soutient actuellement la Présidence danoise qui demande l’introduction dans l’UE d’un objectif d’économie d’énergie contraignant de 1,5 % par an.et qu’en cas d’échec des négociations, le Luxembourg mettra en œuvre unilatéralement l’objectif d’efficacité énergétique de 1,5 % par an. Dans ce contexte, la réforme du brevet européen  est pour lui "cruciale", d’autant plus qu’elle pourrait permettre de réduire les frais pour le dépôt d’un brevet de 80 à 90 %. Optimiste, il a émis l’espoir que la question du siège unique de l’office compétent pour l’UE sera résolue d’ici juin 2012.

"Jamais il n’a été autant question de propriété intellectuelle qu’actuellement", a enchaîné le ministre pour en venir à la discussion sur l'ACTA. Pour lui, ce texte est destiné à lutter contre la contrefaçon de manière large, donc incluant l’Internet, un point qui figure dans le programme de coalition du  gouvernement actuel, qui est censé aller de 2009 à 2014.

Pour lui, c’est une chose positive que cet accord mobilise la société civile, qui pose des questions sur sa nécessité, sur sa capacité de protéger ce qu’il veut protéger, sur l’équilibre entre les droits fondamentaux des personnes et les droits de propriété menacés.

Si Verts et pirates étaient venus

Etienne Schneider a réitéré sa garantie que "le traité ACTA ne prévoit pas de surveillance des communications sur Internet", qu’il ne va pas au-delà de la législation actuelle et que "le gouvernement n’apportera pas de changement à la législation nationale actuelle". Le Luxembourg n’ira pas non plus dans le sens d’une "réponse graduée" comme en France ou au Royaume-Uni. Cela pour rappeler que la loi nationale de 2001 ne poursuit un citoyen pour téléchargement illégal qu'à la condition que celui-ci en tire un bénéfice économique ou que ce téléchargement soit 'frauduleux, méchant et intentionnel'. De l’autre côté, l'ACTA sera pour Etienne Schneider bénéfique à une économie européenne qui enregistre des pertes annuelles autour de 250 milliards d’euros dues à la contrefaçon.

Le ministre a conclu en souhaitant un "débat serein", regrettant que "quelques Verts et quelques militants du parti pirate" aient "préféré manifester et danser autour de la place Clairefontaine plutôt que de venir participer à nos débats".

L'ACTA selon Benoît Lory, un de ses négociateurs pour la Commission européenne

Ils auraient pu entendre Benoît Lory expliquer pourquoi les opposants se tromperaient dans l'ensemble de leurs critiques. Membre de la direction générale Commerce de la Commission européenneBenoît Lory, DG Commerce extérieur, Benoît Lory a en effet considéré que la contestation de l'ACTA n'est que le résultat d'une suite de malentendus. Il se satisfait toutefois, comme le ministre luxembourgeois de l'Economie, que le sujet provoque des débats aussi bien dans la société civile qu'au Parlement européen. "Cet accord mérite d'être débattu car il s'agit en fait également de s'interroger sur le rôle de la propriété intellectuelle dans notre société et notre économie", a-t-il estimé. Or, "pour reprendre un cliché bien connu, c'est peut être la seule matière dont nous disposons aujourd'hui."

La propriété intellectuelle repose sur deux piliers, poursuit l'expert : la protection et le respect des droits. Tandis que la question des brevets relève du premier, l'ACTA est l'élément déterminant du second. Benoît Lory constate par ailleurs que ses partisans et ses adversaires sont d'accord pour considérer que "l'ACTA traite d'un vrai problème qui ne cesse d'augmenter, qui concerne l'économie, les citoyens : la lutte contre la contrefaçon et le piratage des droits européens de propriété intellectuelle".

Etendre le système européen au-delà des frontières

Dans un premier temps, Benoît Lory est revenu sur l'essence même de cet accord né de l'initiative du Japon, auquel se sont ensuite associés les Etats-Unis puis l'Union européenne, pour finalement concerner treize parties.  L'Union européenne est entrée dans ses négociations avec la volonté de mettre en œuvre les droits de propriété intellectuelle au niveau international selon les modalités du droit européen.

Or, la législation européenne s'est fortement développée depuis des années. L'harmonisation de la protection juridique des dessins ou modèles, l'harmonisation partielle des droits d'auteur et de la protection des appellations d'origine notamment ont produit "un système global de  protection de la propriété intellectuelle". En parallèle à cela, des mesures de sauvegarde ont été mises en place pour garantir les droits des citoyens en matière de libre expression, de libre accès à l'information et de protection des données ou encore le droit des prestataires de services et des intermédiaires.

Ce que les citoyens et les entreprises attendent

Benoît Lory estime que l'Union européenne épouse par l'ACTA les attentes des citoyens européens. "L'une des grandes réussites de l'Union européenne a été de s'assurer que l'ACTA soit étroitement inspiré du système européen." N'est ce pas là ce que les citoyens attendent en général de toute politique européenne, de créer des droits, de les mettre en œuvre puis de les exporter au niveau international ?", interroge-t-il.

"C'est sûrement ainsi que les entreprises européennes voient cet accord". En effet, même si la Chine, l'Inde et le Brésil ne sont pas partie prenante de l'accord, ce dernier lierait un groupe représentant la moitié du commerce mondial. Cela aurait des "conséquences positives pour la rentabilité, les emplois" des entreprises. Comme l'OMC, qui a commencé avec neuf Etats membres (dans sa version "GATT") et en compte désormais 158, l'ACTA a vocation à grandir. Benoît Lory en est persuadé : "L'ACTA sera une référence mondiale." Il en veut pour preuve que Taïwan réfléchit déjà à la possibilité d'y participer à partir de 2013. Que l'Europe le valide ou pas, l'accord entrera en vigueur. Alors qu'il faut six ratifications pour que ce soit le cas, huit des treize parties sont déjà en mesure d'appliquer l'accord.

La nécessité d'un accord

Dans l'Union européenne, huit Etats membres (dont le Luxembourg) ont déjà fait savoir qu'ils pouvaient transposer l'ACTA sans à avoir à changer leur législation, soulignait Benoît Lory. Par contre, ce dernier reconnaît que les derniers développements au sein du Parlement européen sont tels que "si le Parlement devait voter aujourd'hui, l'ACTA serait rejeté." Il croit ainsi savoir que des quatre commissions parlementaires chargées de rendre un avis sur l'ACTA, et qui se sont réunies les 25 et 26 avril 2012, seule une, la Commission juridique, aurait rendu une copie qui y est favorable.

Dans ce contexte, l'expert se félicite de ce fait que les quatre commissions parlementaires chargés d'aviser cet accord se sont donnés un mois de plus pour voter. Alors que le Parlement européen serait ainsi amené à voter juillet, il considère que les élus feraient mieux d'attendre l'avis de la Cour de justice de l'Union européenne, saisie par la Commission européenne.

L'émoi face au rapport du CEPD

Rapportant des informations qu'on lui avait transmises le même jour par téléphone, Benoît Lory a mis en doute la qualité de l'avis du CEPD présenté le 26 avril 2012 à la Commission LIBE. "Il semblerait qu'au cours des débats un certain nombre de parlementaires se sont étonnés que le contrôleur n'ait pas mentionné toutes les sauvegardes qui existent dans le texte  et quand il en mentionne quelques-unes c'est pour les rejeter."

Selon la même source, "un certain nombre de députés européens se seraient étonnés que le contrôleur présuppose quasi systématiquement que les flexibilités offertes par l'ACTA seraient systématiquement mises en œuvre. Même de manière illégale." Or, l'ACTA prévoit dans ses premiers articles, que les parties prenantes à l'accord doivent mettre les dispositions en œuvre dans leur légalité propre.

Une renégociation "quasi impensable" pour la Commission

"Il est clair pour la Commission qu'une renégociation de cet accord est quasi impensable", fait-il encore savoir. Pour la Commission, au contraire, l'accord doit être validé par le Parlement européen, sans quoi "les conséquences risquent d'être difficiles". C'est surtout en termes d'image de marque et de marges de manœuvre pour mener des négociations sur le plan international que l'Union européenne jouerait gros avec l'ACTA. 

"Quelle sera alors la crédibilité de l'Union européenne à l'avenir dans sa lutte contre la contrefaçon et le piratage?" De même, l'UE négocie des accords de libre-échange avec plusieurs partenaires (Inde, Canada, Mercosur) qui comportent un chapitre important sur la propriété intellectuelle. "Quelle sera notre crédibilité si nous demandons aux Chinois, aux Russes, aux Indiens de renforcer leur lutte contre la contrefaçon et le piratage alors que nous-mêmes nous refusons de le faire ?"

La réponse aux critiques

"Les raisons de ces débats sont justifiées. Mais le fait est que l'ACTA n'a pas toujours quelque chose à voir avec bon nombre de ces supposées menaces. Et certaines allégations sont hors sujet." Le négociateur de l'ACTA développe l'argumentaire qui expliquerait pourquoi les eurodéputés opposants se tromperaient dans leur évaluation du texte.

Les eurodéputés n'auraient pas saisi la portée même du texte. En tant que traité relatif au respect des droits de propriété intellectuelle, l'ACTA porte sur les procédures et n'a aucunement vocation "à rentrer dans les détails des droits qui peuvent exister ou à déterminer des limites".  "Il n'est pas directement applicable dans la législation européenne. Il ne peut pas non plus être directement invoqué contre les citoyens européens. Ce qui s'applique, ce qui s'appliquera et ce qui continuera à s'appliquer est la législation européenne." L'une des raisons à cela est que l'ACTA ne prévoit pas de mécanismes de résolution des conflits. L'interprétation des sanctions et des règles sera contrôlée par l'Union européenne elle-même  et sa Cour de justice.

Sur les droits d'auteur : Benoît Lory est formel : "L'ACTA n'y touche pas". Le traité vise à faire respecter les droits de propriété intellectuelle. Les droits d'auteurs sont déjà harmonisés en Europe. "La plupart des critiques sur l'ACTA visant les droits d'auteurs, portent en fait sur la législation européenne actuelle". Ainsi l'"exception copie privée" invoquée contre ACTA serait hors sujet. "Que les droits d'auteurs aient besoin d'une réforme, c'est légitime" juge par ailleurs Benoît Lory qui recommande au Parlement européen de consacrer des débats à cette question en attendant que la Cour de justice de l'Union européenne ait rendu son avis sur l'ACTA.

Sur le rôle des fournisseurs d'accès : L'ACTA "n'introduit pas de censure à l'internet". "Il ne donne lieu à aucune surveillance de mails, de blogs, ne sous-traite pas de fonctions de police à des prestataires privés de services en ligne." Il n'inviterait pas plus les fonctionnaires des douanes à inspecter l'intérieur des ordinateurs.

Suivant le même raisonnement que pour les droits d'auteurs, Benoît Lory souligne que le rôle et la responsabilité des fournisseurs d'internet sont déjà prévus et définis depuis l'année 2000 et la directive sur le commerce électronique. Cette dernière pose le principe de la responsabilité des prestataires sous certaines conditions. Ainsi, ils ne sont pas responsables des informations transmises ou stockées. Aussi, l'article 15 de cette directive prévoit l'interdiction de la surveillance généralisée d'internet.

S'ajoute à cela que la jurisprudence de la Cour de justice européenne a déjà clarifié la situation entre le premier arrêt du genre, l'arrêt Promusica de 2008, et le dernier, l'arrêt Bonnier du 19 avril 2012.

"Ce régime de responsabilité limitée est fondamental pour conserver la neutralité du net. Or, l'ACTA ne pose aucun changement à ce régime." Certes, l'ACTA encourage éventuellement la coopération entre entreprises privées. Mais cette coopération existe déjà dans l'acquis communautaire, via l'article 16 de la directive sur le commerce électronique et à l'article 17 de la directive Respect des droits de propriété intellectuelle.

L'objectif de cette coopération est de créer au sein d'un certain nombre de secteurs commerciaux et économiques des codes de bonne conduite. "L'ACTA envisage ce qui existe déjà", commente ainsi Benoît Lory, ajoutant pour l'exemple le "memorandum of understanding"  signé par des plate-formes de commerce en ligne et titulaires en droit, qui a mis en place un système d'information et de retrait de produits vendus en ligne.

Sur l'accès aux médicaments : Les opposants considèrent que l'ACTA va remettre en cause l'accès à des médicaments abordables. Benoît Lory fait savoir que l'accord s'attaque à la contrefaçon des médicaments (une vente sur internet sur 4 selon l'Organisation mondiale de la Santé). Mais l'ACTA prévoit "un tas de sanctions et de sauvegarde" pour  permettre de préserver l'accès à des médicaments abordables. Ainsi il y est fait une référence explicite à la déclaration de Doha. Il comporte un renvoi aux articles 7 et 8 de l'ADPIC (Accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce).

Ensuite, ajoute-t-il, les brevets sont exclus des mesures aux frontières et des mesures pénales et ne sont qu'optionnels dans les mesures civiles prévues par l'ACTA.

Sur les libertés fondamentales : "Cet accord ne porte en aucune manière atteinte au point de vue législatif aux droits fondamentaux", tranche Benoît Lory. Au contraire, l'ACTA ferait une référence explicite à ces droits, à la liberté, à la protection des données, à la proportionnalité des mesures à prendre, dans son préambule et dans de nombreux articles. "Dans aucun traité international portant sur les droits de propriété intellectuelle, de telles sauvegardes existent en si grand nombre".

Sur le concept d'"échelle commerciale": L'échelle commerciale est celle qu'il faut atteindre pour être passible de mesures pénales. Elle a été jugée trop vague notamment par le rapporteur au Parlement européen, David Martin qui, déplorant "l'ambiguïté" du texte, considère dans son projet de recommandation que le Parlement européen ne doit pas voter pour le texte. Benoît Lory s'en étonne, car là aussi, le concept n'est pas nouveau. Il existe dans la législation européenne depuis 1992 et sa première introduction via la directive relative aux droits de location et de prêt. Il fut repris également en 2004 dans la directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle. Enfin, il existe au niveau international depuis 1994 dans les ADPIC . Dans ce dernier accord, il n'existe d'ailleurs pas de définition du  concept alors que l'ACTA en propose désormais une dans sa section pénale, celle qui a été négociée par les Etats membres via la présidence tournante de l'Union européenne.

L'ACTA suit la définition européenne. Ce concept a déjà été interprété par les juridictions "des dizaines voire des centaines de fois". Il  exclut les actes commis par "des consommateurs finaux agissant de bonne foi". Autrement dit, "une personne qui téléchargerait un film pour ses besoins voire l'échangerait après ne pourra jamais être criminalisée".

Une "ambiguïté constructive"

Le membre de la Commission européenne donne par ailleurs une explication diplomatique à "l'ambiguïté" déplorée par David Martin. L'ACTA est un traité international et donc le résultat d'un compromis. Or, qui dit compromis dit parfois ambiguïté. "Dans les négociations internationales de ce type, nous utilisons parfois la notion d'ambiguïté constructive. C'est une notion fort intéressante notamment quand on sait qu'il n'y a pas de mécanismes de résolution des conflits", a-t-il malicieusement expliqué.