C'est la deuxième fois que le Parlement européen fait ainsi usage du droit conféré par le traité de Lisbonne de bloquer un traité international. En février 2010, il avait retoqué l'accord SWIFT avant de l'accepter quelques mois plus tard après que le projet a été sensiblement amélioré par l'ajout de nouvelles garanties des droits fondamentaux citoyens.
L’ACTA avait été signé en janvier 2012 par vingt-deux des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne (l'Allemagne, l'Estonie, les Pays-Bas, la Slovaquie et Chypre ne l'avaient pas signé). Ils rejoignaient ainsi les États-Unis, l'Australie, le Canada, la Corée du Sud, le Japon, le Maroc, la Nouvelle-Zélande et Singapour; tandis que les principaux producteurs de contrefaçons, l'Inde et la Chine, n'étaient partie prenante.
Le rapporteur, l'eurodéputé britannique David Martin (S&D) s'est félicité que le Parlement ait suivi sa recommandation, étayée le 25 avril 2012, de voter contre le texte. Il a de nouveau mentionné ses inquiétudes sur le fait que le traité était trop vague, ouvert à une interprétation erronée et puisse, par conséquent, menacer les libertés des citoyens.
Le commissaire européen chargé du Commerce, Karel de Gucht, a "pris acte" du choix des eurodéputés. Selon lui, ce vote n'enlève toutefois rien à la nécessité de "protéger partout dans le monde ce qui constitue la colonne vertébrale de l'économie européenne: notre innovation, notre créativité, nos idées et notre propriété intellectuelle".
Le principal défenseur de l'ACTA au sein du groupe PPE, le Suédois Christofer Fjellner avait pourtant espéré sauver le texte en demandant au Parlement européen, de reporter son vote final jusqu'à ce que la Cour de justice ait rendu son avis sur la compatibilité de l'ACTA avec les traités de l'UE. Mais cette proposition n'a pu convaincre qu'une minorité des eurodéputés, lesquels ont par la suite préféré pour la plupart s'abstenir.
Aucun des six eurodéputés luxembourgeois n'a voté en faveur de l'ACTA. Les trois eurodéputés CSV avaient bien dans un premier voté en faveur de la proposition du Parti populaire européen de reporter le vote. Mais, lors du vote final, Astrid Lulling s'est abstenue tandis que les eurodéputés Frank Engel et Georges Bach ont voté contre le traité. Les eurodéputés luxembourgeois, le socialiste, Robert Goebbels, le libéral, Charles Goerens et le Vert, Claude Turmes, ont pour leur part tous trois rejeté le texte.
L'eurodéputé libéral, Charles Goerens, est intervenu en séance la veille du vote, le 3 juillet 2012. Il y a rappelé que "l'Union européenne eût été bien conseillée de négocier un protocole interprétatif en réponse aux interrogations et inquiétudes auxquelles a donné lieu la conclusion de l'accord ACTA". Ce processus aurait permis aux défenseurs du texte de partager une interprétation juridique commune et aux opposants de "repartir sur des notions plus claires en cas de renégociation".
"Il importe dorénavant d'impliquer le Parlement européen dans la définition du mandat de négociation de tout nouveau traité ou accord international", a-t-il prévenu, soulignant que le Parlement européen en sortirait responsabilisé "dès le début".
En amont du vote, le 4 juillet 2012, l'eurodéputé CSV Frank Engel, avait renouvelé ses critiques envers l'ACTA au micro de RTL Radio. Il y avait justifié son refus de ratifier le traité en lui reprochant avant tout son caractère trop vague. "Sur un sujet qui est si sensible, où on donnerait à l'économie des droits de contrôle et de surveillance sur le comportement des utilisateurs d'internet qui n’ont aucune légitimité démocratique, ça va trop loin pour le juriste que je suis", avait-il déclaré.
Dans un communiqué de presse publié après le vote, l'écologiste Claude Turmes s'est félicité que "la raison s'est imposée" "après de longues négociations et de nombreux débats au Parlement européen et dans l'espace public". Il considère que "le Parlement européen a empêché que les droits civiques des utilisateurs d'internet soient entamés de manière disproportionnée et que les raisons économiques priment sur les droits fondamentaux."
Toutefois, Claude Turmes reste prudent, signifiant que la joute poliltique n'est pas terminée. Le Parlement européen a envoyé "un signal clair" au commissaire au Commerce. "L'avis de la Cour de justice européenne ne peut pas et ne pourra pas remettre la position du Parlement en question." Au contraire, le vote du Parlement européen doit fournir le prétexte à "un débat objectif" qui permette de "trouver une solution européenne sensée sur les droits d'auteur", laquelle "doit garantir aux artistes une rétribution adaptée et en même temps prendre acte des nouvelles habitudes de consommation à l'ère numérique".
Dans un communiqué diffusé le 4 juillet 2012, Astrid Lulling se montre particulièrement dépitée par l'issue du vote. "Un accord contraignant entre 31 Etats parties contre la production et la diffusion illicite de produits matériels ou virtuels sous droit d'auteur constituerait assurément un instrument juridique essentiel dans le but de mieux protéger et valoriser nos entreprises innovatrices en matière de propriété intellectuelle", a-t-elle déclaré.
Or, "ce Parlement a malheureusement encore raté une occasion de se comporter en législateur averti et raisonnable, en cédant à une campagne de désinformation accompagnée de chantage comme j'en ai encore jamais subi dans ma vie politique", déclare la doyenne du Parlement européen.
Elle dit s'être abstenue "avec beaucoup de regrets" alors qu'elle soutient le traité "dans son principe" et estime que la majorité des députés aurait dû adopter "la proposition raisonnable de (son) groupe politique" qui aurait dû faire oublier le "manque de précision dans la formulation de certains articles, par exemple dans la définition ce qui est un délit dû à un acte à l'échelle commerciale". Elle déplore encore que "les arguments populistes quant au respect de la vie privée et de la divulgation de renseignements mis en avant par certains" dus, selon elle, à "leur méconnaissance du texte du traité" aient enterré un texte qui "prévoit clairement la sauvegarde de la vie privée en précisant qu'aucun renseignement ne pourra être révélé si sa divulgation est contraire à la législation nationale".
Interrogé par Le Quotidien, le directeur de l'Office de la propriété intellectuelle et conseiller de gouvernement, Lex Kaufhold, s'inquiète pour la crédibilité européenne : "Quelle crédibilité aura à présent I'UE lorsqu'elle demandera à la Chine, par exemple, de respecter la propriété intellectuelle, alors qu'elle vient de rejeter un accord international allant dans ce sens?", s'est-il demandé.
Les écologistes demandent à ce que le gouvernement luxembourgeois se positionne désormais clairement. Ils ont demandé au président de la Chambre des députés, Laurent Mosar de convoquer une réunion jointe de la Commission de l'Enseignement supérieur, de la Recherche, des Media, des Communications et de l'Espace et de la Commission de l'Economie, du Commerce extérieur et de l'Economie solidaire afin de discuter de l'impact du rejet de l'ACTA sur la position du Gouvernement en matière de réforme des droits d’auteur et des droits annexes.
Le député vert, Claude Adam, estime que le vote du Parlement européen vaut un blâme pour le gouvernement luxembourgeois, qui a figuré parmi "les défenseurs de choc" du texte. Il aurait "depuis le début considéré le traité ACTA comme une bagatelle et en a négligé les effets." Claude Adam reproche aussi au ministre de l'Economie de ne pas avoir tenu compte des critiques."
Le président du Parti pirate luxembourgeois, Sven Clement, a parlé d'un "vote historique" en faisant remarquer que "jamais encore une décision de la Commission européenne avait été refusée avec une si large majorité". Les débats auraient démontré le désir des citoyens de participer à la démocratie. Quant à la posture de la Commission qui "ne veut toujours pas réaliser que l'ACTA est mort", elle prouve selon lui que "le problème va bien au-delà de l'ACTA et que nous avons besoin d'une nouvelle démocratie, à commencer par une réforme complète de la Commission".
Il y a eu également de nombreuses réactions dans la société civile qui s'était particulièrement mobilisée à travers des manifestations, des courriers électroniques aux eurodéputés et des pétitions.
L'organisation Médecins sans frontières s'est félicitée de la décision du Parlement européen, rappelant que dans l'ACTA, "la différence manquante entre médicaments falsifiés d'une part et génériques légaux de l'autre était problématique".
L'Association Européenne pour la Défense des Droits de l'Homme (AEDH), présidée par le Luxembourgeois Serge Kollwelter, "salue ce qui représente aujourd’hui une victoire pour la société civile, représentante des intérêts des citoyens européens". Elle encourage "la société civile alors qu’un envoyé de la Commission européenne a déclaré, juste après le vote au Parlement, le maintien de la demande de vérification de conformité du traité avec les normes européennes par la Cour de justice de l’Union européenne, dans l’optique de mener de futures discussions avec les pays signataires de l’ACTA".