Le site Internet du LSAP publie, en vue de l’académie d’été du parti qui aura lieu le 22 septembre 2012 et qui portera sur l’avenir de l’Europe, un entretien avec le député Ben Fayot. Celui qui préside la commission des affaires européennes et internationales à la Chambre livre, dans cette interview titrée "Il n’y a pas d’alternative à l’Europe", sa vision de la politique européenne en cette période marquée par la crise.
Espoirs et inquiétudes d’un parlementaire qui juge irréversible le projet européen, mais qui dénonce la tendance intergouvernementale à l’œuvre depuis le traité de Lisbonne.
Ben Fayot est dans un premier temps interrogé sur l’impuissance de la politique en cette période où l’Europe est prise dans les remous de la crise financière. Aux yeux du député socialiste, les incessantes annonces catastrophistes relayées par les médias sont une partie du problème. Mais il ne perd pas de vue pour autant le problème qu’a la zone euro du fait de la construction européenne selon le traité de Maastricht : "Une union économique et monétaire a été établie qui laisse aux Etats membres de la zone euro une marge de manœuvre pour définir eux-mêmes leur politique budgétaire et économique", constate-t-il.
Or, relève le parlementaire, les 17 pays de la zone euro ne travaillent pas assez étroitement ensemble pour porter leur monnaie commune. C’est donc là que, selon lui, réside le problème. Car l’euro en soi est une monnaie internationale solide, explique Ben Fayot, mais elle est prise dans les turbulences des marchés parce que différents Etats membres ont accumulé, du fait d’une politique budgétaire négligée, des montages de dettes au cours des dix dernières années. En bref, il s’agit d’une crise de la dette, et non d’une crise monétaire.
Pour Ben Fayot, l’Europe n’a du poids et de l’importance, sur le plan économique et culturel, que si les pays du continent font preuve de coopération et de solidarité. Et, bien qu’il reconnaisse l’existence de forces qui voient les choses autrement, le projet européen est pour lui non seulement nécessaire, mais aussi irréversible. "L’UE n’est pas une Union soviétique, mais une union libre d’Etats démocratiques et souverains", juge-t-il, relevant que le nombre toujours plus grand de pays aspirant à la rejoindre est bien la preuve que l’UE ne doit être si mal.
Le député ne veut pas perdre des yeux les faits : certes, l’Europe n’est pas exempte de pauvreté, de problèmes sociaux et de chômage, mais la société européenne bénéficie aussi d’une grande prospérité et d’un système social qui fonctionne. De plus, observe-t-il, au cours des deux dernières années, nombre de décisions importantes ont été prises pour réguler les marchés financiers, et ce notamment au niveau européen. Et, face aux forces du capitalisme néolibéral sauvage encore puissant dans le monde, l’Union européenne joue certainement un rôle de maintien de l’ordre, juge Ben Fayot.
Autre constat du député, les oppositions politiques se sont accentuées du fait de la crise, et ce au prix de la capacité à trouver des compromis. Ainsi, à gauche et surtout à l’extrême gauche, on refuse l’austérité et on accepte l’idée d’un accroissement de la dette publique ou on plaide pour un nouveau capitalisme d’Etat tournant le dos au libéralisme et à l’économie de marché. Oubliant au passage, ce qui étonne le député socialiste, que les économies planifiées des pays d’Europe centrale et orientale ou de l’Union soviétique ont pourtant conduit à l’austérité et à des difficultés d’approvisionnement. Car, rappelle-t-il, si l’URSS s’est effondrée, c’est que son économie n’était plus viable.
Ben Fayot se voit interrogé, en tant qu’observateur expérimenté de l’intégration européenne et que défenseur de la méthode communautaire, sur la façon dont il perçoit l’état actuel de l’UE. Premier constat du député, une communauté conçue à l’origine pour six ou neuf pays a des difficultés quand elle doit fonctionner à 27 ou 28 Etats membres. Résultat, "il y a certainement une Union à plusieurs vitesses". "Beaucoup de pays d’Europe de l’Est qui sont entrés n’ont pas forcément les mêmes habitudes que les pays d’Europe occidentale", estime Ben Fayot qui trouve difficile leur intégration aussi du fait qu’ils doivent trouver des compromis entre les intérêts nationaux et les intérêts communautaires. Selon le député socialiste luxembourgeois, un large consensus politique est en effet nécessaire dans ces pays pour éviter que chaque changement de gouvernement ne soit l’occasion de remettre en question l’UE. Un consensus qui n’existe pas partout, observe-t-il en citant l’exemple de la Hongrie, "très nationaliste", ou de la Roumanie et de la Bulgarie. Autre exemple avancé par le député, le Royaume-Uni, qui veut un grand marché européen mais qui veut aussi jouer aussi librement que possible ses atouts nationaux.
Le partage et la cession de compétences et la formation d’une société européenne sur la base d’une communauté de valeurs ne sont pas envisagés par tous de la même façon, constate encore le député. S’il est conscient qu’il faudra du temps pour que l’Europe fasse des progrès, il appelle aussi à veiller à ce qu’il n’y ait pas de recul, notamment dans la manière de travailler ensemble. Ben Fayot fait en effet part de son inquiétude à l’égard de la tendance intergouvernementale qui est apparue depuis le traité de Lisbonne. "Les chefs d’Etat et de gouvernement et le Conseil européen ont toujours plus de poids", observe le député, qui ne perd pas de vue que cette tendance est liée à la nécessité de réagir vite aux évolutions des marchés. Résultat, il distingue deux pouvoirs à l’œuvre actuellement : les marchés et les chefs d’Etat et de gouvernement. Quant aux autres, note Ben Fayot, "ils observent plus ou moins et s’occupent des questions de second ordre". "Cette évolution n’est pas bonne", déplore Ben Fayot qui critique le fait que le Parlement européen soit parfois plus ou moins contourné.
Lorsqu’on lui demande quelles issues il imagine à l’actuel scénario de crise, Ben Fayot souligne dans un premier temps que l’Union européenne doit avancer dans les limites que lui donnent ses traités et doit exploiter à fond ses marges de manœuvre. Il appelle donc de ses vœux la volonté politique de respecter les traités. Mais il ne voit pas pour autant de remède miracle à la crise.
Par ailleurs, le député socialiste plaide la plus grande prudence pour ce qui est de l’élargissement de l’UE. "Parmi les huit pays de l’ancien bloc de l’Est qui sont entrés dans l’UE en 2004, certains n’étaient de toute évidence pas encore prêts", observe-t-il en effet.
Enfin, Ben Fayot prescrit l’approfondissement de l’UE dans certains domaines : à ses yeux, un marché intérieur sans frontières nécessite un cadre réglementaire social, et les domaines de la justice, de l’éducation ou des échanges culturels lui semblent aussi importants. Des domaines dans lesquels les traités laissent beaucoup de marge, pour peu que la volonté politique existe.
Pour ce qui est du nouveau couple franco-allemand, Ben Fayot estime que le duo Merkel-Hollande peut fonctionner si les Français comprennent qu’ils doivent prendre des mesures pour améliorer leur compétitivité. Mais, observe-t-il, il y a dans le nouveau gouvernement français des tendances nationalistes. A ses yeux, le problème du socialisme français est qu’il est composé de différents courants, parmi lesquels un capitalisme d’Etat centralisateur qui est représenté au sein du gouvernement.
Ben Fayot est invité plus avant à se prononcer sur le caractère réaliste d’un scénario fédéral. Le député appelle à la prudence quand on manie le concept de fédéralisme, car il en existe différentes formes, comme en témoignent les exemples belge et allemand. En Europe, observe-t-il, il y a différentes approches fédéralistes de la façon de concevoir la politique budgétaire des Etats membres, ce qui est un pas en direction du fédéralisme et qui s’inscrit dans le cadre de la politique monétaire. "J’ose douter qu’il sera possible de faire entrer une dose de fédéralisme dans tous les domaines", commente le député.
Ben Fayot relève aussi qu’il est souvent question, dans ce contexte, des élections européennes : "le Parlement européen est le législateur qui représente le peuple, tandis que le Conseil européen représente les différents pays, mais les députés européens sont élus dans chacun des différents pays". Pour l’ancien député européen, "le fédéralisme se heurte surtout à la différence de taille des pays" : "les petits, moyens et grands Etats ont chacun leurs intérêts et craignent de renoncer totalement à leur souveraineté", explique-t-il.
Ben Fayot ne s’oppose pas fondamentalement à tout élargissement de l’UE. A ses yeux, il y a des pays en Europe, parmi lesquels il compte la Turquie, mais aussi la Moldavie, l’Ukraine, le Belarus, qui aspirent à un ancrage en Europe. "Que ces pays soient aidés par le biais d’une politique de voisinage est merveilleux est bon", trouve le député, mais il voit en revanche comme une évolution "dangereuse" l’idée d’offrir à ces pays une perspective européenne en leur laissant entrevoir une adhésion à l’UE afin qu’ils adaptent leur Etat, leur constitution et les libertés civiles aux standards européens. Le risque est sinon que ces pays n’accomplissent pas d’eux-mêmes complètement cette évolution et que leur comportement entrave par la suite le fonctionnement de l’UE, estime-t-il.
Par ailleurs, le député socialiste est d’avis que les pays qui ont récemment adhéré à l’UE doivent montrer à l’égard de l’Europe le même enthousiasme qu’avant leur adhésion. Quant aux pays candidats, il convient de juger de leurs mérites avec la plus grande rigueur, estime Ben Fayot qui cite l’exemple des pays des Balkans qui devraient selon lui veiller à avoir des relations convenables entre eux. "Nous ne pouvons pas nous permettre un deuxième cas chypriote ou un conflit nord-irlandais", juge Ben Fayot pour qui ces problèmes ne peuvent être résolus par une adhésion à l’UE. Et le député de rappeler que l’UE a été fondée sur la volonté des membres fondateurs de ne plus se faire la guerre. Or, il n'est "pas sûr que des pays comme la Serbie, le Kosovo et la Macédoine en soient déjà là".
Pour Ben Fayot, le plus grand danger pour la cohésion de l’UE est actuellement la perte de confiance des citoyens et les troubles sociaux. Cette dernière est en effet souvent utilisée comme bouc émissaire par les gouvernements, tandis que la confiance dans l’UE et dans le projet d’intégration s’amenuise. "Les gens ne voient pas que ce sont leurs propres gouvernements qui, s’ils ne l’ont pas causée, ont au moins aggravé la crise par ce qu’ils ont fait ou négligé de faire", déplore le député avant de lister les exemples : la bulle immobilière espagnole, dont tout le monde a profité, mais aussi l’état des finances publiques siciliennes, qui n’est pas sans évoquer le système d’Etat grec. Et ce qui est plus grave encore, c’est qu’il ne s’agit plus d’une crise de l’UE, mais d’une crise de confiance dans la politique, et ce dans les pays eux-mêmes. "On sait très exactement où cela a conduit en 1933", commente le député.
Le principal problème, aux yeux du député socialiste, est que des pays comme la Grèce sont arrivés depuis longtemps au bout de leurs capacités économiques et ne veulent pas l’admettre. Et il fait un lien avec le Luxembourg où d’aucuns mettent en avant la faiblesse de la dette publique, qui est de 20 % quand elle atteint dans d’autres pays 80, 100 ou 120 % du PIB. Mais cette dette signifie qu’au cours des cinq dernières années, le Luxembourg a affiché un déficit budgétaire entre un et 1,5 milliard d’euros par an, explique-t-il. S’il est conscient qu’il n’est pas possible d’y mettre fin d’un instant à l’autre dans la mesure où l’économie doit continuer de croître, il lance une mise en garde : il va falloir s’entendre un jour sur une issue à la crise. Car si le Luxembourg avait une dette importante après la deuxième guerre mondiale afin de reconstruire le pays, le député souligne que l’on vit aujourd’hui une époque normale. "Il faut dire aux gens que la politique nationale, que ce soit en Espagne, en Italie ou en Grèce, joue un rôle essentiel dans l’évolution de la situation", recommande Ben Fayot qui se dit "effrayé" à l’idée que "l’Italie ait accordé sa confiance à un frimeur comme Berlusconi pendant dix, quinze ans pour ensuite aller manifester dans les rues quand plus rien ne va".