Principaux portails publics  |     | 

Traités et Affaires institutionnelles
Pour André Hoffmann (Déi Lénk), un débat sur la révision de la constitution luxembourgeoise doit permettre de répondre aux questions posées par la primauté du droit européen sur le droit national
07-09-2012


En 2013, le Luxembourg doit se doter d'une nouvelle constitution qui remplacera un texte qui remonte à l'année 1868. Dans ce contexte, le magazine Forum publie dans son édition du mois de septembre 2012 "un plaidoyer pour un débat sur la constitution". En introduction au dossier de dix-huit pages qu'il consacre à la question, le magazine rappelle que les travaux préparatifs, réalisés par la commission parlementaire présidée par le député CSV Paul-Henri Meyers, n'ont pas impliqué les membres de la société civile.

Il fait également état des positions politiques quant à la pertinence de soumettre le changement constitutionnel à un référendum. Ainsi, le CSV et le DP ne se seraient pas encore officiellement positionnés, le LSAP y serait "fondamentalement opposé" tandis que Déi Gréng, l'ADR et Déi Lénk seraient "plutôt pour".

Débattre "de manière aussi publique, controversé et objective, que le sujet le mérite"

André HoffmannLe dossier comporte une contribution de l'ancien député et toujours membre de  Déi Lénk, André Hoffmann qui y déploie l'argumentation justifiant à ses yeux que le débat dépasse l'habituelle lecture des anciens et nouveaux articles dans l'enceinte de la Chambre des députés et s'adresse au contraire à l'ensemble des électeurs. Il émet en effet l'espoir que "les débats sur notre constitution nationale puissent être menés de manière aussi publique, controversé et objective, que le sujet le mérite".

Pour ce faire, l'ancien partisan du Non au traité établissant une constitution européenne revient sur l'échec de ce dernier texte en 2005 qui avait déclenché, par l'entremise des médias, "pour la première fois un débat sur la construction européenne au Luxembourg", fait-il remarquer. Or, "la discussion sur une constitution nationale ne peut plus être menée sans thématiser le droit communautaire européen, la constitutionnalité implicite des traités et la question d'une constitution européenne explicite".

L'ancien député rappelle que l'idée d'une constitution européenne a germé à une époque, au tournant du XXIe siècle, où la légitimation démocratique des institutions reculait et "les effets sociaux de l'orientation néolibérale devenaient plus visibles". Il s'agissait alors de prévoir le fonctionnement d'une Union européenne à trente membres, après la chute du bloc communiste.

Suite à l'échec du sommet européen à Nice en 2000 pour se mettre d'accord sur un nouveau mode de décision, en raison des intérêts divergents des participants et avant tout sur la question de la majorité qualifiée,  les gouvernements avaient lancé, en 2001, la Déclaration de Laeken sur l'avenir de l'Union européenne. Ils y faisaient état d'un problème de "légitimation démocratique" et constataient : "Le citoyen demande une approche communautaire claire, transparente, efficace et menée de façon démocratique (…) qui fasse de l'Europe un phare pour l'avenir du monde".

De cette déclaration est née l'établissement de la Convention pour l'établissement d'une Constitution pour l'Europe qui devait réfléchir à la pertinence de l'adoption d'un texte constitutionnel, réfléchir aux valeurs auxquelles l'Union est attachée, les droits fondamentaux et les devoirs des citoyens, les relations des États membres dans l'Union... Ainsi posées, ces questions pouvaient "faire émerger une refondation de l'Europe", se rappelle André Hoffmann. Mais les travaux de la Convention furent à son avis d'entrée "affectés par deux conditions préalables" : l'urgence de l'élargissement et l'orientation sociale et économique de l'Union, qui n'était pas à négocier. Au final, "ce qui sortit n'était pas même une constitution, mais plutôt un mélange difficilement digestible de droits fondamentaux constitutionnels, de mécanismes et procédures institutionnels et la codification détaillée du contenu politique dans les domaines qui tombent dans la compétence de l'UE".

Mis à part quelques points positifs comme le renforcement du Parlement européen et la possibilité d'une initiative européenne citoyenne, le texte lui semblait le prolongement écrit des traités existants. Hoffmann mentionne la critique de Jacques Delors : "Gravera-t-on dans le marbre d'une Constitution un travail aussi inachevé, sans même approfondir la question de savoir ce qui, dans les politiques, est de niveau constitutionnel et ne l'est pas? [...] Rendre "constitutionnelles" des dispositions jugées insuffisantes par une partie importante de l'opinion européenne sur des questions aussi sérieuses que la gouvernance économique ou la dimension sociale de l'Europe, ce serait donner à cette frange de l'opinion le sentiment qu'elle n'a aucune chance de se faire entendre ultérieurement si elle avalise la Constitution." Et il rappelle que ce genre de propos étaient alors jugés comme "des fadaises" par le député socialiste Ben Fayot en 2005.

Une constitution marque "une rupture et un renouveau en même temps"

Mais surtout, André Hoffmann s'attarde sur les caractéristiques du texte européen et l'ambition qui a porté sa rédaction, pour mieux revenir ensuite au débat luxembourgeois. Il fait un détour par la Convention de Philadelphie de 1787, auquel était comparée la Convention pour le traité européen, pour rappeler ce que doit être un texte constitutionnel, et donc le débat qui l'accompagne.

Il constate que les 13 anciennes colonies britanniques qui la composèrent étaient liées par une histoire commune, un combat commun pour l'indépendance (obtenue en 1776) mais aussi une culture et une langue communes. "Une autre différence fondamentale" entre la convention américaine et la convention européenne réside dans la longueur du texte qu'elles ont commis. La Convention américaine a rendu sept pages d'une "véritable constitution", suivie deux ans plus tard du Bill of rights. Ces textes, "ne reposant sur aucune sorte d'orientation politique", étaient "lisibles et compréhensibles", et tiennent aujourd'hui sur une douzaine de pages A4. Au contraire, le texte européen contenait 300 pages de texte et manquait de "franchise politique", puisqu'il ne faisait pas ouvertement état de l'idéologie qui l'aurait animée.

André Hoffmann fait valoir qu'au contraire, une constitution doit reposer sur des principes qui sont au-dessus des partis politiques. "Une constitution, aussi quand elle est européenne, ne peut pas être aussi proche de la logique des programmes de parti ou de gouvernement comme le sont les traités européens."

L'ancien député philosophe explique aussi que la constitution américaine, comme deux années plus tard la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en France, marquaient "une rupture et un renouveau en même temps". L'Amérique rompait ainsi avec la dépendance coloniale qui la liait à la Grande-Bretagne, mais aussi avec son passé féodal et absolutiste de cette dernière, tandis que le renouveau passait par les idées des Lumières et les intérêts de la bourgeoisie, promus dans un "nouveau pays des droits de l'homme, de la démocratie représentative bourgeoise, de la séparation des pouvoirs".

Or, lors la rédaction de la constitution européenne achevée en 2003 pour le Conseil européen de Thessalonique, "il s'agit juste de consolider le statu quo européen, avec de légères corrections", observe André Hoffmann, qui conclut ensuite que "le contexte historique comme le contenu du traité est plutôt marqué par le détricotage du bouleversement qu'a été la mise en place de l'Etat-providence après la 2e guerre mondiale".

Les autres constitutions avaient "un caractère anticipatoire", un "surplus utopique". Ce surplus "avait l'apparence d'une contradiction entre texte et réalité" mais était en fait la promesse de la réalisation de progrès futurs. Or, ce caractère anticipatoire "manquait pleinement" au projet de constitution européenne.Ainsi, André Hoffmann suggère que la révision de la constitution luxembourgeoise permette de discuter d'un possible "supplément utopique" plutôt que de se contenter, comme le plaidraient ceux qui négligent le débat, d'adapter simplement le texte à la situation donnée.

Il poursuit en constatant qu'en 2005 "les référendums n'étaient pas vus comme un échange démocratique sur des alternatives possibles, mais comme la confirmation supplémentaire de décisions déjà prises."Il cite alors le philosophe français Jacques Rancière, lequel dans "La Haine de la démocratie" (2005), écrivait : "Dans l'esprit de ceux qui soumettaient la question au référendum, le vote devait s'entendre [...] comme une approbation par le peuple assemblé à ceux qui sont qualifiés pour le guider. Il le devait d'autant plus que l'élite des experts d'Etat était unanime à dire que la question ne se posait pas, qu'il ne s'agissait que de poursuivre la logique d'accords déjà existants et conformes aux intérêts de tous. La principale surprise du référendum a été celle-ci: une majorité de votants a jugé, à l'inverse, que la question était une vraie question." "Non pas une question rhétorique mais une vraie question, à laquelle on peut, avec de bonnes raisons, répondre par non", ajoute encore André Hoffmann.

"Cette sorte de fixité de la réalité et absence d'alternatives est inconciliable avec le concept de politique démocratique"

André Hoffmann considère que les débats alors tenus à la Chambre des députés luxembourgeois éclairent parfaitement la critique de Rancière, "jusqu'à la caricature". Qui critiquait le traité établissant une constitution était considéré hostile à l'Europe. Or, "cette sorte de fixité de la réalité et absence d'alternatives est inconciliable avec le concept de politique démocratique, avec le concept de politique tout court", juge André Hoffmann. De même, se rappelle-t-il comme d'"une simplification négligente ou une tromperie consciente", une feuille d'information du gouvernement qui disait, en amont du référendum de 2005, que "la constitution de l'Europe ne remplacera pas la constitution luxembourgeoise, laquelle restera la législation fondamentale".

Or, l'article I-6 du texte prévoyait la primauté du droit européen sur le droit national. Et ce principe a été repris non pas dans le traité de Lisbonne mais dans la 17e des déclarations annexées à l'acte final de la conférence intergouvernementale qui a adopté le traité de Lisbonne : "La Conférence rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, les traités et le droit adopté par l'Union sur la base des traités priment le droit des États membres, dans les conditions définies par ladite jurisprudence."

La distinction n'étant pas faite, le droit européen pourrait primer le droit constitutionnel national. Au final, le droit européen pourrait devenir la constitution suprême et la Cour européenne de justice la cour constitutionnelle suprême, fait valoir André Hoffmann. Or, dit-il, si cela peut avoir des effets positifs, comme dans les jugements pour l'interdiction des discriminations, cela peut également "mettre en question ou ignorer les droits sociaux fondamentaux comme le droit de grève", comme l'ont démontré les jugements Viking et Laval.

André Hoffmann constate aussi que les procédures européennes ne conviennent pas aux exigences d'une communauté démocratique dotée d'un Etat social. Dans le système de l'UE, dit-il, les bureaucraties affaiblissent le contrôle des parlements nationaux, en laissant à la scène européenne les problèmes décisionnels. Mais sur la scène européenne, ils ne sont soumis à aucun contrôle politique semblable ou même s'approchant un peu de celui auquel ils sont confrontés dans les systèmes constitutionnels nationaux. "La responsabilité politique devient diffuse, se dilue toujours plus, disparaît au final complètement. Naît un système d'irresponsabilité organisée…" écrit l'auteur en citant le professeur de droit Stefan Oeter.

"Nous devons d'abord parler de ce sur quoi nous devons parler"

"Dans le contexte de la révision de la constitution luxembourgeoise, nous devons d'abord parler de ce sur quoi nous devons parler. Nous ne pouvons pas nous limiter à une discussion des anciens et nouveaux articles de la constitution si leur sens et leur valeur dépende d'un droit européen qui a la primauté", souligne ainsi André Hoffmann. Tous les changements au niveau de l'Union européenne posent des questions au niveau national. Ainsi, l'auteur demande-t-il "comment ainsi comprendre l'idée que "la souveraineté réside dans la nation"?", s'interroge sur quelle régulation étatique de l'économie et quelles formes de bien public admet encore le droit communautaire. "Pourrions nous par exemple sécuriser constitutionnellement les services sociaux et de santé pas seulement comme droit mais comme dépenses publiques obligatoires? Comment pouvons-nous encore nous prémunir constitutionnellement contre une orientation univoque vers une société libérale économiquement?", interroge-t-il.

Et si les citoyens ne peuvent ou ne veulent plus se retirer dans l'Etat national, se pose alors la question d'une constitution européenne. Une constitution qu'André Hoffmann voudrait "explicite, lisible, avec des droits fondamentaux étendus et de nouvelles formes démocratiques d'expression et de formation de la volonté politique sur la scène européenne, déchargé du programme économiquement libéral. Une constitution, démocratiquement légitimée par la population européenne, après un débat détaillé sans principe TINA (There is no alternative) dans un espace publique européen."