Le rapport final qui contient les propositions élaborées par un groupe de réflexion sur l'avenir de l'UE composé de ministres des Affaires étrangères de onze pays européens (Allemagne, Pologne, Autriche, Belgique, Danemark, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et Espagne) a été rendu public le 18 septembre 2012 à Berlin. Lors de sa présentation, Guido Westerwelle, a appelé à une plus grande coopération européenne pour sortir l'Union de la crise. "Nous devons surmonter les faiblesses de construction de l'euro et compléter notre union monétaire par une collaboration plus étroite et sensée en matière de politique économique, financière et budgétaire", a-t-il déclaré, selon le texte de son discours cité par l’AFP.
Les recommandations contenues dans le rapport seront communiquées au président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, et au président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, ainsi qu’au Conseil, au Parlement européen et aux parlements nationaux des Etats membres de l’UE.
Les ministres signalent d’emblée que le rapport reflète uniquement "leurs réflexions personnelles" et que tous les ministres "n’ont pas marqué leur accord avec toutes les propositions qui ont été avancées au cours des discussions". C’est ainsi que le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, qui a fait partie du groupe, a clairement marqué ses distances avec certaines idées avancées dans le texte. C’est le cas par exemple de la confusion des postes de président du Conseil européen et de la Commission, une telle solution donnant l’avantage à la méthode intergouvernementale aux dépens de la méthode communautaire que le ministre Asselborn a toujours prônée comme la seule capable de faire avancer l’Europe.
Le rapport tourne autour de deux grands axes : le renforcement de l’Union économique et monétaire et un meilleur fonctionnement de l’Union.
Pour les ministres, le renforcement de l’UEM passe par des mécanismes surveillant, au niveau de toute l’Union, que tous les budgets de tous les Etats membres sont en accord avec les règles de l’Union. Il implique aussi de nouvelles avancées vers une plus grande solidarité européenne suggérées par certains qui pensent que l’on pourrait aller jusqu’à une communautarisation de la dette publique. Les ministres souhaitent également une coordination de leurs politiques économiques, ceci afin de relancer croissance et emploi et de pallier certains déséquilibres. Il est même question de coordonner les politiques en matière de marché du travail et de réforme durable des systèmes de pensions.
Les ministres prônent ainsi un mécanisme de surveillance unitaire et effectif qui implique la BCE et qui s’applique aux banques de la zone euro et des autres Etats membres prêts à s’associer à un tel mécanisme.
A moyen terme, les ministres plaident, sans entrer dans le détail, mais la profession de foi est significative, pour la transformation du Mécanisme de stabilité européen, l’ESM, en un Fonds monétaire européen, ce afin de mettre l’Union économique et monétaire dans une position qui lui permette de résoudre elle-même ses problèmes potentiels.
La légitimation démocratique des décisions dans le domaine économique est un autre aspect discuté par les chefs de la diplomatie des 11 pays, dont ceux des six Etats fondateurs et deux, Danemark et Pologne, dont les pays ne sont pas membres de la zone euro.
L’idée est de dire que si de grandes mesures dans le domaine économique concernent l’UE, le Parlement européen doit être impliqué, soit dans le cadre de la codécision, soit dans le cadre de la consultation. La plupart des participants ont également mis en avant l’idée d’un rôle renforcé des eurodéputés des pays de la zone euro pour les décisions concernant la zone euro, "une sorte d'euro-parlement à l'intérieur du Parlement européen", comme l’exprime l’AFP, mais sans que cette procédure mette en cause l’intégrité de l’UE et du Parlement européen dans leur ensemble.
Les parlements nationaux devraient quant à eux avoir leur mot à dire si des décisions européennes touchent à leur compétence budgétaire par exemple. D’où la nécessité que Parlement européen et parlements nationaux coopèrent en matière économique et budgétaire au sein d’un comité permanent.
L’UE doit mieux fonctionner, et doit prendre des mesures décidées pour "devenir un acteur plus fort sur la scène internationale", pensent les onze chefs de la diplomatie. Pour eux, il s’agit là d’un dossier qui devrait être abordé séparément de celui de la réforme de l’UEM.
En guise de mesure à court terme, les onze ministres voudraient qu’en 2013 les compétences de la Haute représentante pour la politique étrangère et de son Service européen d’action extérieure (SEAE) soient renforcées, par exemple en matière de politique de voisinage et de développement, où elle devrait être mise en posture de coordonner l’action de différents acteur relevant de l’Union, y compris au sein de la Commission. Une façon de procéder serait d’envisager des commissaires "seniors" et des commissaires "juniors", une idée également défendue il y a quelques jours à Luxembourg par l’ancien commissaire européen au développement et à l’action humanitaire et ancien ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, preuve s’il en est que certaines idées font leur chemin.
Un autre souci est la cohérence de l’Union au sein des organisations internationales, où elle devrait agir par le biais de déclarations de politique étrangère commune.
A long terme, les ministres prônent une extension des décisions à la majorité qualifiée là où cela s’avère possible dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et une représentation commune dans les grandes organisations internationales.
Pour certains des signataires du rapport, au-delà d’une industrie de l’armement commune et d’un marché intérieur de l’industrie de la défense, une armée européenne est une option.
Au niveau institutionnel, les onze ministres veulent renforcer le rôle dirigeant de la Haute représentante afin que les relations avec les grands partenaires stratégiques de l’Union soient mieux structurées. D’où la nécessité que le Conseil "Affaires étrangères" établisse des priorités plus claires et que les ministres des Affaires étrangères, exclus du Conseil européen depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, se rencontrent plus d’une fois par semestre de manière informelle, "en format Gymnich", comme on le dit en langage codé européen. Ils devront veiller à ce que leurs propositions s’imbriquent mieux dans les ordres du jour du Conseil européen, qui devrait réadmettre les chefs de la diplomatie une fois par an dans son enceinte. D’autre part, le Conseil "Affaires générales" devrait se voir dévolu dans les faits le rôle de coordination que le traité de Lisbonne a prévu pour lui.
Si cet ensemble de propositions devait être mis en œuvre, il revaloriserait le rôle des ministres des Affaires étrangères et/ou européennes, qui a été de fait sensiblement diminué par deux facteurs : une certaine manière de mettre en œuvre le traité de Lisbonne et le déplacement, lors de la crise, du centre de décision vers les chefs d’Etat et de gouvernement, un déplacement contre lequel plusieurs contre-feux institutionnels s’allument à la lumière de la lettre et de l’esprit du traité.
La proposition faite par certains signataires de confondre les postes de président du Conseil européen et de la Commission européenne est un point duquel Jean Asselborn s’est d’emblée distancié au nom de la méthode communautaire et de l’indépendance de la Commission. A l’agence DPA, il a déclaré le 17 septembre : "Celui qui veut unir par les temps qui courent en une seule personne les fonctions de président de la Commission et du Conseil européen, n’aura en fin de compte qu’un président du Conseil européen."
Un autre souci des onze ministres est "le renforcement du profil démocratique du Parlement européen". Ils prônent la nomination de têtes de listes pour tous les grands groupes politiques européens lors des élections européennes de 2014, lesquels seraient aussi candidats à la présidence de la Commission européenne, qui serait l’objet d’une procédure publique au Parlement européen. Les ministres recommandent de miser plus fortement sur la distinction entre majorité et opposition au Parlement européen, une idée qui avait elle aussi déjà été soulevée le 10 septembre 2012 à Luxembourg lors de la conférence de presse donnée par l’eurodéputé libéral Charles Goerens et son collègue belge Louis Michel.
L’idée d’une UE à géométrie variable - régulièrement de retour depuis les années 90 - fait aussi son chemin auprès de la majorité des onze ministres. Vue la difficulté croissante d’atteindre l’unanimité entre 27 et bientôt 28 Etats membres, ils considèrent que les modifications du traité européen et leur entrée en vigueur – à l’exception néanmoins de toute décision sur l’élargissement de l’UE – devrait se faire selon les règles d’une super-majorité qualifiée des Etats membres et de leurs populations, pour lesquels les modifications qu’ils auraient ratifiées seraient contraignantes.
Une autre idée qui est de plus en plus discutée et qui est évoquée par le rapport des onze ministres, est la question de la séparation des pouvoirs au sein de l’UE en lien avec la légitimité démocratique. Pour quelques ministres, le président de la Commission européenne pourrait être directement élu au suffrage universel, et il pourrait lui-même désigner les membres de son "gouvernement européen".
D’autre part, le Parlement européen devrait avoir un droit d’initiative législative, qui pour l’instant ne revient qu’à la Commission, une idée explicitement soutenue par Jean Asselborn, comme il ressort d’une contribution du journaliste Guy Kemp dans le Tageblatt daté du 19 septembre. L’idée d’une deuxième chambre, d’une sorte de Sénat européen des Etats membres, elle aussi avancée dans le texte, est récusée par Jean Asselborn, qui a posé à la DPA la question suivante : "Pourquoi aurions-nous besoin d’un Sénat, si tous les Etats membres sont déjà représentés au Conseil ?"