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Développement et aide humanitaire
"Si l'UE s'est donné pour but de rester le plus grand acteur dans le domaine de l'aide au développement, alors elle devrait avoir en même temps l'ambition d'être le meilleur", considère l'eurodéputé libéral, Charles Goerens
20-09-2012


Dans le cadre des Assises de la Coopération qui se tenaient les 17 et 18 septembre 2012, le Luxemburger Wort s'est entretenu avec l'eurodéputé libéral et ancien ministre luxembourgeois de la Coopération, Charles Goerens, au sujet du futur de la politique européenne d'aide au développement.

Charles GoerensA l'approche de l'échéance de 2015 pour les Objectifs du millénaire pour le développement qui ne seront, selon toute vraisemblance, pas atteints, l'aide publique au développement fait l'objet de remises en questions et de débats critiques, qui se prolongent, au niveau européen, dans les discussions actuellement en cours sur le cadre pluriannuel financier. Ces réflexions doivent notamment tenir compte des évolutions depuis l'adoption des Objectifs en l'an 2000 : l'essor producteur d'inégalités connu par les pays émergents, la croissance démographique, la fermeture des frontières aux ressortissants des pays en vie de développement (PED).

Vice-président de la Délégation à l'Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE et membre de la Commission du développement, Charles Goerens avait déjà fait part, en juin 2012, de quelques réflexions en présentant le Projet de rapport sur un programme pour le changement, dont il est le rapporteur. 

Dans une communication publiée en octobre 2011, la Commission européenne avait en effet suggéré trois axes de changements: différencier l’aide publique au développement ; favoriser la croissance inclusive et se concentrer sur trois secteurs où l’UE excelle.  

En attendant, Charles Goerens rappelle au Luxemburger Wort que les valeurs et principes fondamentaux  qui animent l'aide européenne au développement sont listées dans le consensus de développement européen de 2005 : partenariat, respect de l'Etat de droit, exigence d'un bon gouvernement, amélioration des conditions des femmes dans les pays en voie de développement…

Il revient dans le même temps sur le principe de la différenciation, pour lequel "l'Europe s'emploie fortement", comme il l'observe. L'idée est que les pays qui, en raison de leur développement économique, sont dans la situation de combattre la pauvreté avec la richesse nouvellement créée, soient retirés de la liste européenne des récipiendaires d'aide au développement et ne reçoivent plus qu'une aide technique de l'UE, par exemple pour la mise en place de systèmes de protection sociale. "En ce sens, Bruxelles deviendrait plus sélective, ce qui est aussi normal", juge Charles Goerens.

Charles Goerens apprécie également le concept de croissance inclusive, intégré "de manière renforcée" dans la politique européenne de coopération. "La croissance économique d'un pays devrait aussi servir à combattre la pauvreté d'un Etat", rappelle-t-il, et d'ailleurs, selon lui, le grand défi qui lui vient en tête lorsqu'on lui pose la question "est de s'investir activement afin que tous, pays émergents inclus, perçoivent leur responsabilité. Si ces pays ne parviennent pas à redistribuer justement leurs richesses pour lutter contre la pauvreté, alors il deviendra impossible d'atteindre à temps les Objectifs du millénaire."

Après la coordination politique, l'heure de la coordination technique renforcée

Pour ce qui est de la répartition des compétences entre l'UE et les Etats membres, l'UE aurait l'avantage, en tant qu'acteur important, de pouvoir "assumer une série de fonctions pour lesquelles les Etats membres sont purement et simplement débordés".C'est le cas notamment lorsqu'il s'agit de faire avancer la dimension régionale en Afrique. "Pour les unions régionales comme la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'UE est le meilleur interlocuteur."

L'UE est responsable de la mise en œuvre de 20 % de l'ensemble de l'aide européenne au développement, les 80 % restants étant à la charge des Etats membres. Mais Charles Goerens est d'avis que les 28 acteurs (la Commission européenne et les Etats membres) devraient "travailler de manière plus coordonnée". "Je trouve juste que l'UE se concentre dans un pays en voie de développement au maximum sur trois domaines" : la gouvernance, la "croissance économique durable et inclusive" et le développement de systèmes de protection sociale.

 A côté de cela, il y a encore beaucoup de possibilités où d'autres acteurs, comme par exemple les Etats membres, peuvent en complément prester une aide. "A côté de la coordination technique entre l'UE et les Etats membres, il doit alors aussi y avoir une coordination politique." "C’est une erreur que les ministres européens du Développement ne se rencontrent officiellement que deux fois dans l'année et ne se rencontrent qu’au maximum deux fois de manière informelle. De cette manière, il est impossible de coordonner la politique de développement de 28 acteurs", tranche-t-il.

L'intérêt de l'évaluation

De son côté, le Service européen d'action extérieure (SEAE) "prend des décisions stratégiques et décide, quel pays reçoit quelle aide", constate Charles Goerens qui poursuit en soulignant l'intérêt des évaluations : "A mes yeux, il est extrêmement important qu'on prévoie suffisamment de mesures de sécurité et de contrôle, pour que le but propre de l'aide au développement ne soit pas détourné par des orientations stratégiques, qui n'ont en fait plus rien à voir avec la lutte contre la pauvreté."

Charles Goerens invite à des évaluations systématiques. "Si l'UE s'est donné pour but de rester le plus grand acteur dans le domaine de l'aide au développement, alors elle devrait avoir en même temps l'ambition d'être le meilleur."

Pour cela, il faudra notamment être en mesure des mener des études d'impact comparatives sur la politique européenne de coopération et celle d'autres acteurs en devenir, comme la Chine. "L'aide européenne au développement repose par exemple plus sur le don que les crédits, la politique chinoise se concentre au contraire plutôt sur l'attribution de crédits. J'aimerais savoir dans cette situation, quel impact chacune de ces deux politiques a sur les Etats bénéficiaires", explique Charles Goerens.

"Dans quelques Etats membres se développe une tendance à jouer "les pauvres dans son propre pays contre les pauvres dans les pays en voie de développement"

Dans le cadre des discussions sur le cadre pluriannuel des finances européennes, "il y a de grandes et pénibles discussions", confie encore l'eurodéputé au Luxemburger Wort. "Dans quelques Etats membres se développe une tendance à jouer "les pauvres dans le propre pays contre les pauvres dans les pays en voie de développement", prévient-il. C'est un conflit impossible et un processus douloureux que nos démocraties subissent. Cela aura des conséquences pour la politique européenne d'aide au développement."