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Transports
Les propositions de nouvelles règles harmonisées proposées par l’AESA pour lutter contre la fatigue des pilotes sont mal reçues par la profession
03-10-2012


L'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) a présenté le 1er octobre 2012 ses propositions pour de nouvelles règles harmonisées en Europe afin de lutter contre la fatigue des pilotes, qui doivent entrer en vigueur d'ici fin 2015.

L'AESA a proposé une trentaine de mesures de sécurité pour les 27 pays de l'Union européenne ainsi que la Suisse, la Norvège, l'Islande et le Liechtenstein, sous forme d'amendements par rapport à une réglementation européenne déjà existante mais non totalement harmonisée.

Les mesures phares consistent à réduire le maximum autorisé de temps de service de vol (TSV) et à augmenter le temps de repos minimum pour des vols à des heures défavorables, comme en période de nuit ou à l'aube, et à tenir mieux compte des effets du décalage horaire, a précisé l'AESA.

La fatigue est "l'un des principaux facteurs affectant la performance" des pilotes, présentant donc une menace directe pour la sécurité aérienne, rappelle l'Agence dans un communiqué.

Les propositions de l'AESA vont être remises à la Commission européenne en vue de leur finalisation, puis devront être approuvées par les Etats membres.

Les mesures proposées par l’AESA n’ont pas été bien reçues par la profession au Luxembourg, en Allemagne et en France

Au Luxembourg

Le président de l'ALPL, Paul Reuter, le 3 octobre 2012 lors de la conférence de presse de son syndicatL’Association luxembourgeoise des pilotes de ligne (ALPL), affiliée à la central syndicale chrétienne LCGB, qui regroupe 550 pilotes et revendique pour elle un taux d’adhésion de 90 % des pilotes dans les compagnies Luxair et Cargolux, a réagi à ces propositions lors d’une conférence de presse le 3 octobre 2012 avec son président, Paul Reuter. L’ALPL avait déjà organisé le 3 août 2012 avec le slogan "Méfiez-vous : votre sécurité est menacée!" une distribution de tracts à l’aéroport afin de prévenir les passagers que la sécurité sur les vols aériens pourrait connaître une dégradation sensible au cours de l'année 2013.

Dans un argumentaire, l’ALPL avance des chiffres. Selon des enquêtes sur le terrain, "50 à 54 % des pilotes, interrogés récemment dans plusieurs pays européens, y compris le Luxembourg, ont avoué s’être déjà endormi dans le cockpit." Et elle explique aussi que "dans 15 à 20 % des accidents aériens, ayant fait des victimes, la fatigue des pilotes a été un facteur majeur".

Il a fallu six ans pour arriver à la proposition de l’AESA. En 2006, le Conseil des Ministres européens des Transports avait  demandé une évaluation scientifique des normes européennes régissant la limitation des temps de vol. L’AESA et la Commission européenne avaient reçu un mandat pour élaborer, sur la base des connaissances scientifiques, de nouvelles règles portant sur la limitation des temps de vol. Mais le projet de règlement soumis le 1er octobre par l’AESA "ne respecte pas les conditions du mandat", affirme l’ALPL, qui estime que "dans beaucoup de dispositions, les recommandations scientifiques énoncées dans trois expertises, diligentées par l’AESA elle-même en 2011, ont été ignorées". Elle juge donc ce projet “inapproprié pour assurer la sécurité des passagers”, car il conduira à une baisse des normes de sécurité en vigueur, et pas seulement au Luxembourg, où celles-ci sont aujourd’hui beaucoup plus strictes.

Les revendications de l’ALPL s’articulent autour d’un point central : "Priorité absolue doit être accordée à la sécurité des passagers". Les nouvelles règles à l’échelle européenne pour prévenir l’épuisement des pilotes doivent alpl-logodonc établir "des normes sûres et scientifiquement fondées, destinées à éviter des accidents, et non pas à éviter des coûts aux compagnies aériennes".

Le syndicat affirme que "la recherche scientifique, menée pendant des décennies, y compris trois expertises scientifiques diligentées par les instances de l’UE en 2011, a démontré où il faut établir les restrictions européennes du temps de travail des équipages pour prévenir la fatigue". Or, le nouveau projet de règlement de l’UE ne tient pas compte de ces expertises. "dans de nombreuses dispositions”, ce qui le rend “insuffisant".

Ainsi, l’ALPL constate que les scientifiques recommandent unanimement que le temps de vol de nuit devrait être limité à 10 heures, afin d’éviter la grosse fatigue - qui pour des raisons de biorythme guette toujours dans un tel exercice - alors que l’AESA propose 11 heures. Le règlement luxembourgeois prévoit que pour un vol de nuit qui dépasse les 10 heures, y inclus le temps de préparation à l’aéroport, il doit y avoir plus de deux pilotes, ce qui correspond aussi à la façon de voir des scientifiques. Avec la nouvelle proposition, ce ne serait plus le cas. Or, cela augmente les risques d’inattention et donc d’erreurs qui ne peuvent plus être rattrapées pendant les phases difficiles et moins difficiles d’un vol, et augmente donc le risque pour la sécurité. S’y ajoute encore les possibilités de dérogations en cas d’irrégularités ponctuelles qui peuvent aller jusqu’à 2 heures supplémentaires.  

En ce qui concerne le service de veille, dans les nouvelles règles proposées, "on attend d’un pilote de poser en toute sécurité l’avion et les passagers au bout d’une période de service de plus de 18 heures et après n’avoir pas dormi pendant 21 heures", ce qui laisse l’ALPL de nouveau perplexe sur l’aspect sécurité de cette mesure.

L’ALPL souligne que "toutes ces dispositions sont destinées à remplacer les standards de sécurité nationaux en vigueur" et met l’accent sur le fait qu’ils "sont plus stricts au Luxembourg et dans d’autres pays européens". Le syndicat se sent donc en droit d’affirmer que "le niveau de la sécurité aérienne au Luxembourg et en Europe risque d’être abaissé".

L’ALPL demande "par conséquent que le projet de règlement de l’UE soit modifié de façon à prendre pleinement en compte les connaissances scientifiques" sous le signe du principe de précaution et d’une protection efficace des voyageurs et les riverains des aéroports.

Pour ce faire, l’ALPL mise tant sur une intervention du ministre luxembourgeois en charge des Transports que sur un combat européen, où l’European Cockpit Association (ECA) qui fédère les syndicats européens de pilotes est en pointe.

Lors de la conférence de presse au Findel, Paul Reuter a très clairement dit que les pilotes sont conscients de la situation économique difficile dans laquelle se trouvent l’Europe et nombre de compagnies aériennes, et qu’il ne peut être dans leur intention de "torpiller les compagnies aériennes dans lesquelles nous gagnons notre pain quotidien". "Mais”, a-t-il insisté, "il faut un minimum de sécurité dans l’UE", ce qui ne peut dépendre de considérations économiques”. Dans cet esprit, l’ECA comme l’ALPL accepteront toute réglementation qui améliorera au nom du principe de précaution les normes de sécurité aérienne en Europe. 

En Allemagne

Pour le syndicat allemand des pilotes Cockpit, les mesures proposées par l'AESA ne vont pas assez loin : "Malgré des faits scientifiques, l'AESA trahit son mandat et suit la volonté des compagnies aériennes d'utiliser au maximum le personnel", selon un communiqué de Cockpit, qui parle de "scandale". On lit également dans le communiqué du syndicat Cockpit : "Alors que tous les experts consultés ont recommandé à plusieurs reprises de ne pas dépasser 10 heures de service de temps de vol par nuit (...), l'AESA, en concédant 11 heures de service avec une option d'extension jusqu'à 12 heures, refuse de remplir sa mission qui est d'assurer la sécurité dans le trafic aérien".

En France

En France, le Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL) s'est inquiété de propositions qui mettent "clairement en danger la sécurité des vols, et en conséquence celle des passagers dans le ciel européen". "L'AESA défend un texte au seul service des contingences économiques des compagnies aériennes, donc au détriment de la sécurité des passagers", a-t-il dénoncé. "Avec des horaires de travail largement étendus, les pilotes seront amenés à voler dans des états de fatigue dangereux", estime son président Yves Deshayes, qui appelle en conséquence "les institutions européennes à ne pas soutenir cette réglementation dangereuse pour la sécurité aérienne".