Dans une interview avec Fabien Grasser, publiée par Le Quotidien dans son édition du 8 octobre 2012, le ministre du Travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit, évoque le problème de la désindustrialisation du Luxembourg sous l’angle des cycles économiques et des changements en Europe et dans le monde et récuse l’idée d’une sortie de crise qui passerait par la transformation du Luxembourg et d’autres pays en pays à bas salaires.
Il explique dans l’interview que ce sont précisément les nouvelles industries que le Luxembourg a accueillies après la crise de sa sidérurgie depuis la fin des années 70 "qui sont en difficulté, qui ne peuvent plus investir ou qui ne projettent plus de le faire." Mais le ministre place ce phénomène dans un contexte plus général : "Le problème est que le monde a changé : nous vivons dans un espace géographique européen beaucoup plus vaste avec des pays d'Europe centrale et de l'Est aux conditions de production différentes, et aux salaires plus bas. Et au-delà, il y a le phénomène de la globalisation".
Peut-on encore sauver l'industrie au Luxembourg, veut savoir le journalisre. Oui, répond Nicolas Schmit, "à condition de mettre l'économie sur de nouvelles bases". Le ministre est convaincu "qu'il y a toujours la possibilité d'avoir une industrie dans un pays à salaires élevés. Tout dépend des produits, de leur valeur ajoutée, du niveau d'innovation développée par les entreprises." Il ébauche des pistes : le secteur de la logistique, de la biomédecine, la formation de clusters d’excellence. Il regrette qu’il y ait "un problème de rapidité dans la prise de décision", que les terrains soient "beaucoup trop chers", que l’on ne se donne pas les ressources humaines pour mener à bien les priorités fixées.
Répondant à l’objection que "selon le patronat, le principal handicap est celui de la compétitivité, plombée par des salaires et des conditions sociales trop élevées", il riposte en disant "qu'il n'est pas imaginable de refaire du Luxembourg un pays à bas salaires." La productivité reste pour lui "un élément central", mais elle passe "par une maîtrise de l’innovation et par une prise en considération du coût salarial global, ce qui inclut les charges sociales." Et ici, le Luxembourg reste pour lui compétitif par rapport à ses principaux concurrents, ses voisins. Pour Nicolas Schmit, il faut également tenir compte de la fiscalité, car "il ne faut pas que le travail soit le seul à subir la charge fiscale", et créer les conditions d’un meilleur dialogue social, contrairement à ce qui se passe actuellement avec les dénonciations de contrats collectifs.
Est-ce que la politique européenne est actuellement une politique qui préserve l’emploi, veut savoir Le Quotidien. Le ministre, qui a déjà participé à la négociation du traité de Maastricht, est très franc à ce sujet : "L'Europe n'évolue pas dans la bonne direction. On voit dans un certain nombre de pays que la course effrénée vers la réduction des déficits entraîne une récession de plus en plus profonde sans pour autant réduire les déficits. C'est un débat qui doit être mené." Et d’évoquer son initiative de réunir les ministres socialistes européens du Travail pour discuter d'un volet social. "Je suis totalement d'accord pour dire qu'on ne peut pas continuer dans une économie d’endettement et de déficits. Mais il faut aussi une politique plus équilibrée où la croissance est présente."
Quant l'idée de l’Union sociale que le ministre du travail veut promouvoir dans l’UE, il se défend et défend ses collègues d’être naïfs : "Nous savons bien que l'Europe ne présentera jamais le même modèle social selon que l'on se trouve au Luxembourg ou en Bulgarie." L’intégration européenne doit passer par une amélioration de la gouvernance économique et budgétaire, par une union bancaire qui contrôle mieux le secteur financier, et la légitimité démocratique de l'UE est également devenue l’objet de réflexions. Mais : "Moi je dis: il y a un vide et ce vide c'est le social. L'Europe c'est aussi un modèle social, c'est une certaine sécurité sociale au sens large du terme, c'est un droit du travail, la protection des salariés, la lutte contre la pauvreté, contre l'exclusion. Si l'Europe ce n'est plus cela, je dis très clairement qu'on va la perdre." Il faut donc selon le ministre "un pilier social avec un socle commun de droits sociaux." Et il met en garde : "Je le dis très clairement: le détricotage social que subissent des pays comme l'Espagne, ce n'est pas l'Europe. Ce n'est pas l'Europe que je veux. Il faut un pacte de stabilité sociale, de progrès social avec lequel les Européens peuvent s'identifier."