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La CJUE juge discriminatoire l’abaissement radical de l’âge de la retraite des juges hongrois de 70 à 62 ans décidé par le gouvernement hongrois de Viktor Orban
06-11-2012


CJUELa Cour de Justice de l’UE a jugé dans un arrêt publié le 6 novembre 2012 dans le cadre d’une procédure qui opposait la Commission européenne au gouvernement hongrois que l’abaissement radical de l’âge de la retraite des juges hongrois de 70 à 62 ans décidé dans le contexte des grandes réformes constitutionnelles du gouvernement hongrois de Viktor Orban, constitue une discrimination fondée sur l’âge non justifiée. Cette mesure avait parmi d’autres prises dans le contexte de cette réforme constitutionnelle soulevé de nombreuses inquiétudes au sein des institutions européennes quant à l‘indépendance du pouvoir judicaire en Hongrie.

L’historique du différend entre la Commission européenne et le gouvernement hongrois

Dès le mois de décembre 2011, la Commission européenne avait souligné les problèmes juridiques sérieux que posent les mesures prises par le gouvernement hongrois en vertu de sa nouvelle constitution au sujet du pouvoir judiciaire. L'un des points qui avait inquiété la Commission était la décision de la Hongrie de diminuer l'âge de la retraite des juges, des procureurs et des notaires de 70 ans à 62 ans. Si elle était mise en œuvre, cette mesure entraînerait le départ à la retraite anticipé de 236 juges rien que durant l'année 2012 (soit presque 10 % des juges en une seule année). Environ 25 % des notaires seraient également concernés.

Se fondant sur la jurisprudence constante de la Cour de justice, la Commission avait  examiné la légalité des mesures hongroises sur la base des règles de l'UE en matière d'égalité de traitement (directive 2000/78/CE), qui interdisent la discrimination sur le lieu de travail pour des raisons liées à l'âge. Malgré un avis motivé de la Commission du mois de mars 2012, la Hongrie n'avait pas fourni de justification objective ou cohérente de ces mesures. Donnant suite à une proposition de la commissaire en charge de la justice, Viviane Reding, la Commission avait donc décidé le 25 avril 2012 de saisir la Cour de justice de ce dossier.

Vu l'urgence de la question et le départ à la retraite imminent de 236 juges, la Commission avait demandé à la Cour de traiter cette affaire dans le cadre d'une procédure accélérée, une demande à laquelle la Cour de justice a fait droit, ce qui a permis de réduire la durée de la procédure à cinq mois.

La Commission avait également invité les autorités hongroises à suspendre la mise en œuvre de la loi contestée pour la durée de la procédure devant la Cour afin d'éviter des procédures judiciaires ultérieures à l'échelon national et l'introduction de recours en dommages-intérêts par les personnes concernées. Mais selon Szabolcs Hegyi, expert de l'ONG TASZ, cité par l’AFP le 6 novembre, le gouvernement hongrois n’a pas donné suite à cette demande. Près de 200 juges ont été renvoyés et remplacés. Les juges mis à la retraite forcée pourraient selon l’expert de TASZ demander leur réintégration via une procédure en justice, mais très peu y ont recouru.

En Hongrie même, le gouvernement était accusé par l’opposition de vouloir créer des postes dans l’appareil judiciaire pour les membres du parti au pouvoir, FIDESZ, mettant ainsi en danger l’indépendance du pouvoir judiciaire.  

L’arrêt de la CJUE du 6 novembre 2012

Dans son arrêt du 6 novembre 2012, la CJUE a maintenant jugé que "l’abaissement radical de l’âge de la retraite des juges hongrois constitue une discrimination fondée sur l’âge non justifiée" et que "cette mesure n’est pas proportionnée aux objectifs poursuivis par le législateur hongrois visant à uniformiser l’âge de la retraite des professions du service public et à mettre en place une structure d’âge plus équilibrée dans le secteur de la justice".

La Cour constate d’abord que les juges, procureurs et notaires ayant atteint l’âge de 62 ans, sont dans une situation comparable à celle des personnes moins âgées qui exercent les mêmes professions. Comme les juges, procureurs et notaires sont contraints de cesser leurs fonctions en raison de leur âge, ils sont soumis à un traitement moins favorable que celui réservé aux personnes restant en activité. Cette situation constitue pour la Cour "une différence de traitement directement fondée sur l’âge".

Elle constate ensuite qu’au vu de l’objectif d’uniformisation de l’âge de la retraite pour les professions du service public, l’abaissement radical de huit ans de l’âge de départ, donc de 70 à 62 ans pour les juges, procureurs et notaires, n’est pas une mesure appropriée. D’abord, les personnes concernées par la législation contestée ont pu nourrir l’espoir de leur maintien en fonction jusqu’à l’âge de 70 ans. Mais, constate la Cour, "la législation contestée a procédé à un abaissement abrupt et considérable de la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité, sans prévoir des mesures transitoires de nature à protéger la confiance légitime de ces personnes." Conséquence : "Celles-ci sont obligées de quitter d’office et définitivement le marché du travail sans avoir eu le temps de prendre les mesures, notamment de nature économique et financière, qu’une telle situation nécessite." S’y ajoute que la pension de retraite de ces personnes est inférieure d’au moins 30 % à leur rémunération et que la cessation d’activité ne tient pas compte des périodes de contribution et ne garantit donc pas le droit à une pension à taux plein.

La Cour relève aussi "une contradiction" entre l’abaissement immédiat de huit ans de l’âge de départ à la retraite pour les juges, procureurs et notaires, sans prévoir un étalement graduel de cette modification, et le rehaussement de 3 ans de l’âge de départ à la retraite pour le régime général des pensions (c’est-à-dire le passage de 62 à 65 ans) qui doit s’effectuer à partir de 2014 sur une période de huit ans. Et elle conclut : "Cette contradiction suggère que les intérêts de ceux qui sont affectés par l’abaissement de la limite d’âge n’ont pas été pris en compte de la même façon que ceux des autres employés de la fonction publique pour lesquels la limite d’âge a été rehaussée."

La Cour a aussi examiné l’objectif invoqué par la Hongrie visant à mettre en place une structure d’âge plus équilibrée. Elle reconnaît "que la réglementation nationale peut faciliter à court terme l’accès des jeunes juristes aux professions concernées", mais "les effets immédiats attendus, apparemment positifs, sont susceptibles de remettre en cause la possibilité de parvenir à une 'structure d’âge' réellement équilibrée à moyen et long termes". Car en théorie, huit classes d’âge seraient remplacées au cours de la seule année, de sorte que dès 2013, le rythme de rotation subira un ralentissement radical, lorsqu’une classe d’âge seulement devra être remplacée. "De surcroît, ce rythme de rotation sera de plus en plus lent à mesure que la limite d’âge de cessation obligatoire d’activité s’élèvera progressivement de 62 ans à 65 ans entraînant même une dégradation des possibilités d’accès des jeunes juristes aux professions judiciaires", ajoute la Cour. Elle conclut : "Il s’ensuit que la réglementation nationale contestée n’est pas appropriée à l’objectif poursuivi visant à mettre en place une 'structure d’âge' plus équilibrée."

La Cour constate que la réglementation nationale établit une différence de traitement qui n’est pas apte ni nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis, et qu’elle ne respecte donc pas le principe de proportionnalité. La Cour conclut que la Hongrie a manqué à ses obligations découlant de la directive.

Contexte juridique

Un recours en manquement, dirigé contre un État membre qui a manqué à ses obligations découlant du droit de l’Union, peut être formé par la Commission ou par un autre État membre. Si le manquement est constaté par la Cour de justice, l’État membre concerné doit se conformer à l’arrêt dans les meilleurs délais.

Lorsque la Commission estime que l’État membre ne s’est pas conformé à l’arrêt, elle peut introduire un nouveau recours demandant des sanctions pécuniaires. Toutefois, en cas de non-communication des mesures de transposition d’une directive à la Commission, sur sa proposition, des sanctions peuvent être infligées par la Cour de justice, au stade du premier arrêt.