Le 19 décembre 2012, la Chambre des députés s’est prononcée à la quasi-unanimité - 59 en faveur et une voix contre, celle du député Serge Urbany (Déi Lénk) - sur la libéralisation des services postaux. Le législateur a opté pour une distribution du courrier pendant 5 jours ouvrables, un 6e ayant été en discussion. L’Entreprise des P&T (EPT) aura pendant 7 ans, c’est-à-dire jusqu’en 2020, l’obligation de garantir un service postal universel. A partir de 2013, le secteur des envois en-dessous de 50 grammes devra également s’ouvrir à la concurrence. La directive européenne prévoit des mesures d’accompagnement pour financer le "service postal universel" qui, au Luxembourg, prendra la forme d’un fonds de compensation spécial.
Le projet de loi 6160 sur les services postaux, dont le député CSV Norbert Haupert était le rapporteur, a pour objectif de transposer la directive 2008/6/CE, qui modifie la directive 97/67/CE sur l’achèvement du marché intérieur des services postaux. Le projet de loi porte principalement sur deux grands sujets : le service universel et l’ouverture générale du marché.
L’idée de la directive est d’offrir aux utilisateurs de bons services à des prix abordables. Afin de remédier au danger d’une diminution de qualité des services, le principe du service postal universel est important. La directive stipule que le service universel garantit, en principe, une levée et une distribution au domicile ou dans les locaux de toute personne physique ou morale tous les jours ouvrables, y compris dans les zones éloignées ou faiblement peuplées.
Le principe du service universel existe également pour le secteur des télécommunications, mais la concurrence sur ce marché fonctionne efficacement, de manière à ce que le législateur n’ait pas dû charger un opérateur particulier pour assurer le service universel.
Pour ce qui est du marché postal, le projet de loi propose de maintenir l’obligation du service universel pour l’EPT pour une période de sept ans, jusqu’en 2020. Il retient pour le consommateur luxembourgeois une distribution du courrier pendant les cinq jours ouvrables de la semaine.
Le maintien du service universel pour sept ans dans l’attribution de l’EPT devrait permettre d’amortir les investissements réalisés par l’entreprise pour se préparer à la libéralisation complète du marché. Après cette échéance les opérateurs alternatifs ont la possibilité de briguer le statut de prestataire du service universel par une procédure transparente, proportionnée et non discriminatoire.
Par le projet de loi 6160, le service postal universel n’est plus financé par le biais du service réservé. Le monopole de l’EPT sur les envois de moins de cinquante grammes disparaît donc avec la transposition de la directive.
Le service postal n’est plus qu’un domaine d’activité parmi les trois sur lesquels l’EPT intervient, les autres étant les télécommunications et les services financiers. La loi opère la séparation des services financiers postaux de la loi sur les services postaux.
Un autre revenu de services postaux se fait par l’émission de timbres-poste. Ce droit d’émission relève de la souveraineté nationale et est réservé à l’Etat. Le projet de loi dispose que l’Etat pourra concéder par convention son droit spécial d’émission au prestataire du service postal universel. Le concessionnaire, actuellement l’EPT, tient compte de ce privilège dans son calcul du coût du service universel.
Un des points les plus importants du projet de loi est la création d’un fonds de compensation pour le maintien du service postal universel, géré par l’ILR. Par ce fonds, les prestataires privés qui fournissent des services postaux relevant du service postal universel sont tenus de contribuer au financement du service universel pour le cas où l’obligation de prestation de ce service entraînerait un déficit pour l’opérateur en charge, en l’occurrence actuellement l’EPT.
Bien qu’il y ait une libéralisation du marché postal, celui-ci reste soumis à la régulation, mission qui incombe à l’ILR. L’accès au marché postal est donc conditionné et soumis à l’obligation d’autorisation préalable. Par l’octroi d’une autorisation, un opérateur est tenu de contribuer au fonds de compensation.
Pour les services postaux en dehors du service universel il est proposé de limiter les formalités à une simple notification comprenant l’engagement de participer aux coûts de surveillance du marché.
Tout prestataire de services postaux est donc soumis à des règles précises, notamment de garantir le secret des lettres et de respecter les obligations légales et conventionnelles applicables en matière de droit du travail et la législation de sécurité sociale en vigueur.
Le rapporteur, Norbert Haupert, a mis en exergue le problème fondamental de la loi : libéraliser le marché postal tout en assurant pour tous le service postal universel. Car il est établi, a-t-il dû constater, que les entreprises privées préfèrent les marchés lucratifs qui concernent des espaces limités à haute densité de distribution. L’obligation de maintenir un service postal universel qui émane de la directive vient corriger les dangers qui sont inhérents à une situation où le marché postal est rentable dans les grandes villes, mais pas dans les régions rurales, où les acheminements sont longs pour de petits volumes. Le problème ne se posait pas de la même manière tant que la poste traditionnelle avait le monopole. Le service postal universel que l’EPT va devoir assurer jusqu’en 2020 n’est donc pas un cadeau qui lui est fait.
Eugène Berger (DP) a abordé la question de la fermeture des bureaux de poste et les conséquences de la sortie programmée des services financiers des bureaux postaux.
Claude Hagen (LSAP) a insisté sur le fait que certains marchés postaux sont très lucratifs et qu’il est nécessaire d’éviter que l’EPT soit exposée à une concurrence trop brutale alors qu’elle doit assumer le service postal universel. Le député se demande toutefois qui va payer dans le Fonds de compensation. Il se demande aussi si les entreprises privées vont faire assez de chiffre d’affaires pour compenser par leurs versements le déficit de l’EPT lié au service universel.
Claude Adam (Déi Gréng) est, comme Claude Hagen, peu enthousiaste à l’égard de la libéralisation en cours et pense que "e n’est pas le citoyen qui profite de la libéralisation" Il a rappelé que le Luxembourg avait fait partie des rares pays opposés à la libéralisation des services postaux. Ce sont les grands clients de ces services, pas les citoyens, qui sont les plus intéressés à la libéralisation. Il appartient donc aux autorités publiques de protéger les petits clients par l’obligation du maintien du service postal universel. Claude Adam a lui aussi abordé le risque de fermeture de bureaux postaux, ce qui causera des problèmes dans certaines communes.
Serge Urbany (Déi Lénk) a voté contre le projet de loi et parlé d’un "ote de résistance contre les développements en cours dans le domaine des postes" Pour lui aussi, la libéralisation ne profite pas aux citoyens mais aux grandes entreprises. L’évolution en cours tirera l’EPT et le service postal universel vers le bas tant au niveau des prestations de services pour les personnes qu’au niveau des conditions de travail. La loi est pour lui "n signe alarmant pour le futur"
Dans son intervention, le ministre des Communications, François Biltgen, a lui aussi confirmé que le Luxembourg a toujours refusé la libéralisation dans le secteur postal. La libéralisation avait pour but d’offrir aux citoyens de meilleurs services et prix, et il était donc juste de l’aborder au moins de manière séparée. La libéralisation des télécoms a été une chose positive, sauf en ce qui concerne celle des infrastructures qui a par exemple conduit à des difficultés pour faire évoluer le haut débit, "ar cela revient à se faire de la concurrence à soi-même" C’est pourquoi c’est une bonne chose que dans les domaines de l’énergie et du rail, les infrastructures soient restées dans les mains de l’Etat. Autre conséquence de la libéralisation pour le ministre, il est devenu plus difficile de monter une stratégie dans le haut-débit. Bref, la libéralisation n’était pas souhaitable pour la poste, qui fournit toujours des services à bon marché et de bonne qualité.
Mais le marché postal devient plus grand et avec lui croît la concurrence, alors qu’en même temps, il y a moins de demande pour certains services postaux, ce qui cause des déficits. Actuellement, constate François Biltgen, l’EPT peut avoir les bonnes parts du gâteau sur ce marché, mais en même temps, elle doit garantir "a partie sèche du gâteau" le service postal universel, alors que les entreprises privées ne choisissent que les bonnes parts. Comme l’Etat paie pour l’EPT en tant que principal actionnaire, il ne veut pas aussi payer ses déficits qui découlent de ce genre d’obligations de l’EPT. Bref, les privés qui choisiront les bonnes parts du gâteau devront compenser son déficit. D’où la création du fonds de compensation.