Le 13 mai 2013, le Comité des Régions accueillait à Bruxelles une conférence co-organisée avec la Banque européenne d’Investissement et la Présidence irlandaise du Conseil. Les perspectives d’investissement à long terme étaient au cœur de discussions qui ont nécessairement abordé la question de l’équilibre à trouver entre efforts de consolidation et investissements d’avenir en vue de favoriser la croissance et d’emploi. Une question qui est de la plus grande actualité en cette période de crise et qui était là éclairée de l’expérience des collectivités territoriales d’Europe. En effet, 65 % des investissements de capitaux publics émanent des villes et des régions d’Europe. Et la crise s’est nettement ressentie dans la capacité d’investissement des collectivités locales et régionales.
L’enjeu était donc d’identifier les goulots d’étranglement des financements et de renouveler les instruments qui permettront de financer les objectifs que l’UE s’est fixée dans le cadre de la stratégie Europe 2020.
Le président du Comité des Régions, Ramon Luis Valcarcel, qui a ouvert la session clôturant cette conférence, identifie trois axes de travail.
D’une part, il convient selon lui de reconnaître les synergies entre budgets subnationaux, nationaux et européen, en sachant que le budget de l’UE, qui ne représente qu’1 % du PIB, ne peut suffire pour atteindre les objectifs de la stratégie Europe 2020. Et de ce point de vue, il appelle de ses vœux une meilleure gouvernance multi-niveaux, la coordination n’étant pas encore la règle dans la formulation des politiques.
Le président du Comité des Régions plaide aussi en faveur de la promotion des collaborations public / privé en matière d’investissement. Car devant le constat de la réduction à venir du prochain cadre financier pluriannuel, il est nécessaire de trouver des formes novatrices de financement. S’il salue de ce point de vue l’augmentation du capital de la BEI, qui joue un rôle déterminant dans le financement des investissements collectivités, il est cependant conscient qu’un changement de culture des autorités de gestion et des collectivités est nécessaire, ce qui peut se faire par une sensibilisation aux instruments de financement novateurs que s’efforce d’élaborer la Commission. Mais dans ce contexte, il a aussi souligné la nécessité de préciser les règles sur les aides d’Etat.
En troisième lieu, c’est l’idée de développer une capacité budgétaire pour la zone euro qu’a saluée le président du Comité des Régions qui voit dans la proposition de créer un instrument de convergence et de compétitivité un premier pas positif, même si certaines interrogations subsistent. Le CdR a d’ailleurs demandé une feuille de route à la Commission sur le développement d’un instrument de dette publique.
Plus généralement, Ramon Luis Valcarcel, convaincu que les efforts de consolidation doivent bien être poursuivis, estime cependant qu’il convient de mieux différencier les dettes des investissements productifs, mais aussi de mieux considérer les collectivités locales, qui ont besoin de plus de souplesse. Il a par ailleurs rappelé que le Comité des Régions s’oppose à la conditionnalité macro-économique, pointant le fait qu’une plus grande coordination des politiques économiques et budgétaires implique un renforcement de la responsabilité et de la démocratie. Dans ce contexte, il convient de considérer le potentiel des régions et des villes.
Jean-Claude Juncker, qui était un des invités de marque de cette conférence, a commencé par souligner le fait que sans l’euro et le cadre de l’UEM, la crise aurait très probablement conduit à "une guerre fratricide entre monnaies nationales" et entre économies. Dans la crise, l’euro a protégé les économies d’Europe, la discipline qu’impose l’Union monétaire ayant permis de formuler une réponse cohérente. Aujourd’hui, constate l’ancien président de l’Eurogroupe, les nombreux débats superficiels et nocifs qui ont rythmé les dernières années sur l’avenir de la zone euro et l’éventuelle sortie de certains de ses pays membres appartiennent au passé. Si l’on a pu sentir du regret dans sa voix lorsqu’il a constaté que le rapport sur l’avenir de l’UEM auquel il a contribué en décembre 2012 n’a pas donné lieu aux suites qu’il aurait souhaité, Jean-Claude Juncker n’a toutefois pas oublié que, dans toutes ces discussions, le Comité des Régions avait été d’une cohérence exemplaire.
Pour le Premier ministre luxembourgeois, il convient de faire le constat que le fait régional gagne en importance. Il est d’ailleurs convaincu que d’ici 20 ans, la compétition, non pas à la vie à la mort, mais "vertueuse", ne se fera non plus entre Etats membres, mais entre régions. Et l’exemple de la Grande Région est de ce point de vue la preuve que les régions l’ont bien compris. Leur importance accrue se ressent dans l’importance des investissements qu’elles génèrent, mais aussi dans la confiance que leur accordent les citoyens.
Pour toutes ces raisons, Jean-Claude Juncker plaide pour que les régions et les villes trouvent une meilleure place dans le semestre européen. Il souhaiterait que la Commission examine ainsi dans le cadre se son examen annuel de croissance les effets des politiques de consolidation sur les politiques régionales. Mais il aimerait aussi que le fait régional soit mieux reconnu par les gouvernements lorsqu’il s’agit de définir des documents aussi déterminants que les programmes nationaux de réformes, les programmes opérationnels ou encore les lignes directrices pour l’emploi. En d’autres termes, la concertation doit alimenter le débat sur le semestre européen, estime Jean-Claude Juncker qui a émis le même vœu pour le traité sur la coordination et la gouvernance (TSCG), ou encore les arrangements contractuels à venir.
En tant qu’ancien président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker a convenu un peu plus tard dans la discussion avoir été insuffisamment attentif à l’impact de la consolidation sur les régions. C’est en 2012 qu’il dit en avoir pris la mesure, lorsqu’il a réalisé qu’entre 2010 et 2012, les investissements des régions s’étaient contractés de 16 %. Pour autant, dans les discussions qui reviennent régulièrement sur l’idée d’exclure des calculs utilisés dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance les budgets d’investissement, Jean-Claude Juncker a plaidé avec constance pour que l’on observe les budgets dans leur globalité. Pour autant, il rappelle que les dépenses d’investissement comptent déjà depuis 2005 parmi les facteurs pris en compte dans le cadre du Pacte. Pour Jean-Claude Juncker, il faudrait s’en tenir à une unique règle d’or en matière budgétaire : à savoir que les budgets d’investissements doivent être supérieurs au niveau d’endettement.
Michel Barnier, actuellement commissaire en charge du Marché intérieur, a commencé par évoquer le combat qu’il a dû mener aux débuts des années 2000, lorsqu’il était en charge de la politique régionale à la Commission, pour préserver la politique régionale qui était alors menacée par un discours qui misait tout sur la stratégie de Lisbonne. Si la bataille a pu être gagnée, c’est grâce à l’argument selon lequel la stratégie de Lisbonne n’avait d’avenir que si elle concernait toutes les régions, et, pour y arriver, il fallait donner des moyens à la politique régionale.
La grande bataille d’aujourd’hui, c’est celle de la compétitivité, de l’emploi et de la croissance. Pour le commissaire, les bonnes décisions ont été prises pour lutter contre la crise. Il est conscient des efforts qu’elles impliquent, mais il s’agit de corriger les erreurs et faiblesses du passé, à savoir une accumulation de dettes et des défaillances dans la gestion collective de la zone euro. Il s’agit aussi de corriger les dégâts provoqués par l’ultralibéralisme, estime le commissaire. Pour Michel Barnier, une rigueur mal différenciée peut tuer la croissance, et il se réjouit de voir son collègue Olli Rehn tenir maintenant ce discours au nom de la Commission. Il s’agit en effet de différencier l’effort de rigueur à la fois dans le temps, selon les pays, ainsi que selon la nature des efforts. A la demande des représentants du Comité des régions d’ouvrir des possibilités de s’endetter pour investir selon des lignes politiques claires, le commissaire répond en disant être bien conscient qu’il y a des dettes utiles pour investir dans l’avenir.
Le commissaire, convaincu lui aussi de la nécessité d’une bonne gouvernance multi-niveaux, a insisté sur deux outils non-budgétaires qui peuvent être utilisés. Il s’agit d’une part des nombreuses mesures que la Commission promeut pour approfondir le marché unique, et d’autre part des efforts faits en matière de régulation financière. Car les capacités financières des régions et des villes ont été parfois très directement impactées par la crise financière, avant de souffrir des conséquences de la crise qui s’est ensuivie et qui a rendu difficile l’accès aux financements. Or, la Commission a proposé 28 lois en deux ans, autant de textes qui relèvent d’une démarche "réparatrice" et qui sont en cours d’adoption, le temps de la démocratie requérant entre 12 et 22 mois entre une proposition législative et son entrée en vigueur. Dans toutes ces propositions, le commissaire s’est soucié du financement des territoires et des PME, veillant par exemple à ce que les règles prudentielles soient plus souples dans les cas où les banques prêtent aux PME, ou bien proposant un passeport pour le capital risque.
Soucieux de promouvoir un agenda plus proactif désormais, Michel Barnier a enfin attiré l’attention sur une consultation qui est actuellement ouverte afin de recueillir des idées sur le financement à long terme de l’économie. Parmi les idées évoquées, il y a par exemple celle de créer un livret d’épargne européen, qui permettrait de mieux utiliser et orienter l’épargne privée en lui offrant une garantie européenne. L’idée d’un tel plan d’épargne sûr et qui permettrait des investissements de long terme a d’ores et déjà rencontré un fort soutien lors de la conférence.