Au cours de l’été 2010, François Biltgen, alors ministre de l’Enseignement supérieur, présentait les modalités pratiques des nouvelles aides financières pour études supérieures mises en place par le gouvernement luxembourgeois. Une réforme du système introduite par la loi du 26 juillet 2010 qui a commencé à prendre effet dès la rentrée 2010-2011.
Aussitôt, nombre de voix se sont élevées contre une loi qui met aussi fin aux allocations familiales pour les jeunes âgés de plus de 18 ans et qui limite l’accès à l’aide pour études supérieures, constituée de bourses et/ou de prêts selon les cas, aux résidents du Grand-Duché. Les enfants de frontaliers en âge de faire des études se trouvent ainsi, comme les résidents, privés d’allocations familiales, mais, contrairement à eux, ils ne peuvent bénéficier du système d’aide qui vient compenser cette coupe financière.
La CJUE a été saisie d'une question préjudicielle introduite par le Tribunal administratif du Luxembourg en janvier 2012. L'audience a eu lieu le 28 novembre 2012 et l’avocat général a rendu ses conclusions en février 2013.
L’arrêt de la CJUE dans cette affaire C-20/12 a été rendu le 20 juin 2013 : la CJUE y conclut que cette réglementation est contraire au principe de la libre circulation des travailleurs.
Le droit de l’Union exige des États membres d’accorder aux travailleurs migrants les mêmes avantages sociaux et fiscaux qu’aux travailleurs nationaux.
Le Luxembourg accorde, sous la forme d’une bourse et d’un prêt, une aide financière pour favoriser la poursuite des études supérieures des étudiants sur son territoire ou sur celui de tout autre État. Cette aide est octroyée aux étudiants, luxembourgeois ou ressortissants d’un autre État membre, qui résident au Luxembourg au moment où ils vont entreprendre des études supérieures. Ainsi, les enfants des travailleurs frontaliers, qui résident normalement dans un pays limitrophe du Luxembourg, sont exclus du bénéfice de l’aide.
Plusieurs enfants de travailleurs frontaliers à qui l’octroi de l’aide financière a été refusé contestent devant les juridictions luxembourgeoises la légalité de leur exclusion du cercle des bénéficiaires de l’aide. Le tribunal administratif luxembourgeois, saisi de ces litiges, demandait à la Cour de justice si la réglementation luxembourgeoise portant sur l’octroi de cette aide est compatible avec le principe de la libre circulation des travailleurs.
Dans son arrêt, la Cour rappelle qu’une aide accordée pour financer les études universitaires d’un enfant à charge d’un travailleur migrant constitue, pour ce travailleur, un avantage social qui doit lui être octroyé dans les mêmes conditions qu’aux travailleurs nationaux. La Cour précise à cet égard que ce traitement égalitaire doit être réservé non seulement aux travailleurs migrants résidant dans un État membre d’accueil mais également aux travailleurs frontaliers qui, tout en y exerçant leur activité salariée, résident dans un autre État membre. Par ailleurs, lorsque l’avantage social est accordé directement à l’enfant d’un travailleur migrant, cet enfant peut lui-même se prévaloir du principe de l’égalité de traitement.
Ensuite, la Cour constate que la condition de résidence requise par la réglementation luxembourgeoise constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité dans la mesure où elle risque de jouer principalement au détriment des ressortissants des autres États membres, les non-résidents étant le plus souvent des non-nationaux.
Dans ce contexte, la Cour souligne qu’une telle discrimination ne peut pas être justifiée par des considérations d’ordre budgétaire, l’application et la portée du principe de non-discrimination en raison de la nationalité dans le cadre de la libre circulation des travailleurs ne devant pas dépendre de l’état des finances publiques des États membres.
La Cour relève néanmoins que la condition de résidence est propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi par le Luxembourg visant à promouvoir la poursuite d’études supérieures et à augmenter, de manière significative, la proportion des titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur résidant dans ce pays. En effet, la probabilité d’une installation au Luxembourg et d’une intégration au marché du travail luxembourgeois au terme des études supérieures, même lorsque ces études ont été effectuées à l’étranger, est plus importante s’agissant des étudiants résidant au Luxembourg au moment où ils vont entreprendre leurs études supérieures qu’en ce qui concerne les étudiants non-résidents.
Cependant, la Cour juge que le régime d’aide financière en cause présente un caractère trop exclusif. En effet, en imposant une condition de résidence préalable de l’étudiant sur le territoire luxembourgeois, la réglementation contestée privilégie un élément qui n’est pas nécessairement le seul élément représentatif du degré réel de rattachement de l’intéressé au Luxembourg.
Ainsi, il est possible qu’un étudiant non-résident puisse également avoir un rattachement suffisant au Grand-Duché permettant de conclure à l’existence d’une probabilité raisonnable de le voir revenir s’y installer et se mettre à la disposition du marché du travail de cet État membre. Tel est le cas lorsque cet étudiant réside seul ou avec ses parents dans un État membre frontalier du Luxembourg et que, depuis une durée significative, ses parents travaillent au Luxembourg et vivent à proximité de cet État membre.
La Cour précise à cet égard qu’il existe des mesures moins restrictives permettant d’atteindre l’objectif poursuivi par le législateur luxembourgeois. Par exemple, dans la mesure où l’aide octroyée peut consister en un prêt, un système de financement qui subordonnerait l’octroi de ce prêt, voire du solde de celui-ci, ou son non-remboursement, à la condition que l’étudiant qui en bénéficie revienne au Luxembourg pour y travailler et y résider après avoir achevé ses études à l’étranger, serait mieux adapté à la situation particulière des enfants des travailleurs frontaliers. De surcroît, afin d’éviter un « tourisme des bourses d’études » et de s’assurer que le travailleur frontalier parent de l’étudiant présente des liens suffisants avec la société luxembourgeoise, l’octroi de l’aide financière pourrait être subordonné à la condition que ce parent ait travaillé au Luxembourg pendant une période minimale déterminée.
Enfin, tout risque de cumul avec l’allocation d’une aide financière équivalente qui pourrait être versée par l’État membre dans lequel l’étudiant réside, seul ou avec ses parents, pourrait être évité par la prise en compte d’une telle allocation pour l’octroi de l’aide versée par le Luxembourg.
Dans ces circonstances, la Cour répond que la réglementation luxembourgeoise contestée va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par le législateur. Partant, cette réglementation est contraire au principe de la libre circulation des travailleurs.