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Politique étrangère et de défense
L’avenir de la politique de sécurité et de défense commune européenne scruté de manière très critique par les eurodéputés Danjean et Pascu lors d’un débat organisé par le Bridge Forum Dialogue
24-09-2013


Bridge Forum DialogueLe Conseil européen de décembre 2013 sera consacré aux questions de défense et de sécurité. C’est en vue de cette échéance que le Bridge Forum avait invité le 24 septembre 2013 les députés européens Arnaud Danjean (PPE), président de la Sous-commission sécurité et défense et Ioan Mircea Pascu (S&D), vice-président de la Commission des affaires étrangères et ancien ministre de la Défense de Roumanie, pour évoquer l’avenir de la politique de sécurité et de défense commune européenne (PSDC).

Les quatre paradoxes de la défense européenne selon Arnaud Danjean

Arnaud Danjean, député européen (PPE), lors de la conférence du Bridge Forum sur l'avenir de la politique de sécurité et de défense commune, le 24 septembre à LuxembourgDevant un nombreux public, Arnaud Danjean a d’abord dressé un état des lieux de la PSDC, qu’il juge "pas satisfaisant", soulignant quatre paradoxes.

Premier paradoxe : il y a un décalage entre la faible visibilité de la défense européenne et l’intérêt que les citoyens portent à cette question dans les Etats membres. Pour Arnaud Danjean, il s’agit là de domaines où les citoyens souhaitent « plus d’Europe ». L’Europe a été absente des crises libyenne, malienne et syrienne. Des interrogations surgissent alors sur le fossé entre les attentes des citoyens et la réalité sur le terrain, un fossé qui est pour lui en tant que politique "insupportable".

Deuxième paradoxe : il y a malgré tout un "affichage d’ambition" dans le traité de Lisbonne qui consacre tout un chapitre à la question de la sécurité et de la défense commune – le dernier mot "voulant vraiment dire quelque chose" selon Arnaud Danjean – et qui contient une clause de solidarité et d’assistance mutuelle. Mais, estime le député européen, "le traité n’est pas du tout appliqué", et pendant que la Commission enchaîne directive sur directive pour juguler la crise économique, pour rétablir les équilibres budgétaires et réguler le système bancaire, "les Etats membres ignorent superbement le traité qu’ils ont ratifié". Or, la clause d’assistance mutuelle est selon lui la clé de toute politique de la défense, et cela vaut avant tout pour les petits Etats membres, qui accordent pour cela une si grande importance à leur appartenance à l’OTAN quand ils en sont membres. Pour Arnaud Danjean, les groupements tactiques ou battle groups de l’UE sont par contre des formations purement "virtuelles" et "théoriques".

Troisième paradoxe : les nations européennes restent, malgré tout, des puissances militaires. Prises ensemble, les armées de l’UE forment la première puissance mondiale en termes d’hommes sous les drapeaux, mais pas en termes budgétaires, le budget de la défense des USA étant deux fois supérieur aux budgets européens de la défense pris dans leur ensemble. Par ailleurs, le matériel n’est pas non plus techniquement au même niveau. Néanmoins, les Européens sont les premiers partenaires des USA auxquels ces derniers ont recours en cas de crise. "Nous sommes encore forts, mais nous n’en avons pas conscience", a martelé l’eurodéputé, qui souhaite que les Européens comprennent qu’ils comptent encore et laissent tomber l’autocensure qui les bloque dans le domaine de la défense.

Quatrième paradoxe : l’accoutumance à la paix a conduit à un relâchement sur les questions de sécurité alors que les dernières grandes crises – Libye, Mali, Syrie – sont des crises "à nos portes" et autant "d’occasions manquées pour concrétiser la PSDC". Les opérations en Libye se sont déroulées sous le drapeau de l’OTAN parce que, selon Arnaud Danjean, un grand Etat européen – en l'occurrence l’Allemagne – n’a pas voulu participer "pour des raisons idéologiques". Au Mali, la France a fait un effort, et cet effort a bénéficié du soutien de nombreux Etats membres, comme maintenant de celui de l’UE pour la formation de l’armée malienne. Pourtant, a souligné Arnaud Danjean, la crise malienne n’était pas une surprise, mais était bien annoncée depuis trois ans auparavant et débattue au Conseil Affaires étrangères. Bref, "du point de vue opérationnel, l’UE était aux abonnés absents". Sur la Syrie, "les violons ne sont toujours pas accordés", a conclu l’eurodéputé, ce qui a pour conséquence que "l’UE ne pèse pas sur ce dossier".

Au cours de la discussion, Arnaud Danjean dénoncera le fait que la France, qui a été un double contributeur en termes de coût matériel et humain à l’opération au Mali, subisse la double peine d’un déficit budgétaire qui est de surcroît épinglé par la Commission    

Arnaud Danjean a ensuite pointé différents facteurs qui devraient inciter les Européens à changer d’attitude. Les USA insistent auprès des Européens afin qu’ils prennent davantage leur défense en main, dans la mesure où eux-mêmes changent d’orientation en déplaçant le centre de gravité de leurs intérêts géostratégiques, de l’Atlantique vers le Pacifique. Les Européens doivent par ailleurs s’occuper des "foyers djihadistes" à leurs frontières. Or, il n’y pas encore de "réponse collective" à ces défis, car les 28 Etats membres ont des intérêts géopolitiques différents et, de ce fait, "des vues différentes légitimes" de ces défis.  

Pourtant, "dans une structure commune, il faut hiérarchiser les priorités", pense le député européen, pour qui "la menace d’aujourd’hui est clairement au Sud et au Sud-est", ce à quoi il se demande qui d’autre que l’Europe pourrait s’occuper du Sud. Si ces défis ne sont pas affrontés, "nous sommes condamnés à l’impuissance", a-t-il mis en garde. Le Conseil européen des 19 et 20 décembre est donc "une opportunité" pour la PSDC, mais Arnaud Danjean "ne se fait pas d’illusions". Car l’UE est aussi un ensemble de pays où certains ont la volonté politique d’avancer sur le chapitre de la défense européenne, mais pas les capacités, comme l’Estonie ou le Portugal, d’autres ont les capacités, mais pas la volonté politique, et rares sont ceux qui ont volonté politique et capacités. Bref, "il est temps de se réveiller".

Ioan Mircea Pascu: "L’UE veut jouer à la grande puissance, mais elle n’aime pas la chose militaire"

Ioan Mircea Pacu, député européen (S&D), lors de la conférence du Bridge Forum sur l'avenir de la politique de sécurité et de défense commune, le 24 septembre à LuxembourgPour l’eurodéputé roumain social-démocrate et ancien ministre de la Défense de son pays, Ioan Mircea Pascu, la situation sécuritaire de l’UE change. Les pouvoirs se redistribuent entre l’Atlantique et le Pacifique, avec un déplacement des activités des USA ; la centralité européenne est mise au défi, et le système de sécurité international élaboré par les Européens ne fonctionne plus vraiment ; les USA, après des expériences difficiles en Irak et en Afghanistan, sont moins enclins à intervenir. La paix et la sécurité ne sont pas des choses qui durent toujours, pense Ioan Mircea Pascu. Et s’il est vrai que l’Europe n’a jamais été aussi prospère, libre et sûre, comme le disent ses dirigeants, "il faut reconnaître à temps les problèmes qui sont en train de surgir".

Or, les coupes budgétaires pratiquées dans les budgets de la défense des Etats membres risquent d’être définitives, regrette l’eurodéputé. "L’UE veut jouer à la grande puissance, mais elle n’aime pas la chose militaire", résume-t-il. Et il ajoute :"On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs."

C’est pourquoi Ioan Mircea Pascu a esquissé quelques pistes pour avancer sur la PSDC. Pour garder son avance technologique, l’Europe ne devrait pas exporter autant de matériels et de technologies militaires, comme elle le fait actuellement, vers les "nouveaux centres de pouvoir" qui sont certes solvables et demandeurs, mais aussi sources de futurs problèmes.

Il faut arriver à un certain degré de visions communes, ce qui sera difficile, car "il y a assignation dans les Etats membres de valeurs différentes à des faits identiques".

Il faudra des normes d’entraînement communes, ce qui permettra aussi de faire des économies. Il n’y a pas besoin de créer de nouveaux instruments, dans la mesure où des entités comme les groupements tactiques ou l’Eurocorps existent. Mais en cas de crise concrète, il faut savoir que tout sera basé sur "l’improvisation".

Il faudra aussi selon lui des dépôts militaires communs, une harmonisation du matériel, des processus de décision plus rationnels et normés, afin de permettre une réponse rapide à une crise.

L’OTAN devra être dotée de plus de capacités "soft" tout comme l’UE devra se doter de plus de capacités "hard".

Il faut par ailleurs soutenir et consolider la demande en matériel militaire venant de l’industrie européenne de l’armement. Cela implique l’arrêt des coupes budgétaires et la promotion d’un marché unique de la défense.

Bref, le Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013 aura à aborder une foule de questions non résolues, et c’est, pour Ioan Mircea Pascu déjà une bonne chose qu’elles soient discutées. Encore faudra-t-il un suivi, mais comme la Commission souhaite cela, il y a de l’espoir. Et de suggérer en conclusion que si les traités européens sont de nouveau mis sur le métier, mieux vaudra alors aussi modifier les parties consacrées aux politiques étrangère, de sécurité et de défense communes.