Le 24 juillet 2013, la Commission européenne a présenté une communication intitulée "Vers un secteur de la défense et de la sécurité plus compétitif et plus efficace en Europe". Le texte fut rédigé à la demande des Etats membres de l’UE, dans la perspective du sommet européen des 19 et 20 décembre 2013 qui doit donner une nouvelle impulsion à l'Europe de la défense. Le commissaire Michel Barnier avait annoncé la publication de ce document lors du Conseil Affaires étrangères du 19 novembre 2012. Les ministres, dans les conclusions de cette réunion du Conseil, avaient notamment souligné "le besoin d’une industrie de la défense forte et moins fragmentée pour soutenir et renforcer les capacités militaires européennes et l’autonomie d’action de l’Europe". Le Conseil européen du 14 décembre 2012, dans ses conclusions, faisait quant à lui état de "contraintes financières" et de "la nécessité urgente de renforcer la coopération européenne afin de développer les capacités militaires et de combler les lacunes critiques", appelant par la même occasion la Haute représentante "à développer de nouvelles propositions et actions pour renforcer la politique de défense commune et améliorer la mise en place de capacités militaires et civiles", notamment à travers le Service européen d’action extérieure (SEAE) et l’Agence de défense européenne (ADE), ainsi que la Commission européenne.
A la communication de la Commission européenne s’ajoutera un rapport de la Haute représentante de l’UE, Catherine Ashton, pour nourrir le débat. Catherine Ashton a souligné l’importance des débats à venir et jugé que "le Conseil européen de décembre 2013 sera un moment important pour discuter de l’avenir de la sécurité et de la défense en Europe, et la Commission apporte une contribution importante à l’effort collectif qui doit être fourni par les États membres, le Service européen pour l’action extérieure et l’Agence européenne de défense".
Dans sa communication, la Commission européenne constate que la politique européenne de sécurité et de défense est balayée par des vents contraires. D’une part, l’Europe a besoin de conduire "une politique étrangère et de sécurité commune forte et active". D’autre part, "les coupes successives dans les budgets militaires", lesquels ont de surcroît le désavantage de ne pas être coordonnées en fonction des objectifs stratégiques communs, ainsi que "la fragmentation persistante des marchés", empêchent le développement d’une industrie qui soit à la fois efficace et compétitive mais aussi en mesure de répondre aux défis du temps présente. C’est ce qu’explique la Commission dans le communiqué de presse diffusé à l’occasion de la publication de sa communication.
Les questions de la défense et de la sécurité relèvent certes principalement de la souveraineté des Etats membres. Mais la Commission européenne entend toutefois agir là où elle peut, en œuvrant au renforcement de la coopération entre les Etats membres de l'Union européenne, et en veillant au renforcement du marché intérieur dans le secteur. La communication de la Commission européenne est allée jusqu’aux "limites de nos compétences", aura d’ailleurs souligné le président de la Commission José Manuel Barroso, au moment de présenter la communication, aux côtés des commissaires européens en charge du Marché Intérieur, Michel Barnier et de l’Industrie, Antonio Tajani.
La Commission européenne souligne que l’Europe doit être en mesure de développer ses propres capacités militaires. C’est une question d’autonomie stratégique, la défense étant "un élément clé pour la capacité de l’Europe à assurer la sécurité de ses citoyens et à protéger ses intérêts et ses valeurs". Comme le rapporte l’Agence Europe, le commissaire Michel Barnier a mis en avant la nécessité que l'Europe soit un "acteur influent et respecté d'abord par ses alliés", constatant que ce "n'est pas toujours le cas". "Elle doit être autonome (...) et se donner les moyens de sa souveraineté", a-t-il ajouté en rappelant que les Américains eux-mêmes demandaient à l'UE de "prendre ses responsabilités" en matière de défense. Le site d’information Euractiv a d’ailleurs rapporté le même jour que Michel Barnier avait estimé, face à des journalistes français, qu’il fallait garantir l’indépendance de l’UE par rapport aux leaders du marché des drones, Israël, mais surtout les Etats-Unis.
L’industrie européenne de la défense a aussi une signification économique et sociale importante. Elle emploie directement environ 400 000 personnes, auxquelles s’ajoutent pas moins de 960 000 autres emplois indirects. Son chiffre d’affaires s’élevait à environ 96 milliards d'euros en 2012, et la baisse de la demande locale a été en partie compensée par le développement des exportations qui s’élevaient à 23 milliards d’euros en 2011.
"Le secteur de la défense européen et sa base industrielle, qui pâtit de l’absence de nouveaux programmes, font face à des défis sérieux. Une action européenne concertée est nécessaire si nous voulons que l’Europe préserve les capacités industrielles qui permettront de répondre à nos besoins militaires futurs et donc d’assurer la crédibilité de notre politique de sécurité et de défense commune (PSDC)", a déclaré le vice-président de la Commission européenne et commissaire chargé de l’industrie et de l’entrepreneuriat, Antonio Tajani. Avant de poursuivre : "Il est également clair que des mesures visant l’industrie et le marché n’auront qu’un effet limité en l’absence d’accord européen significatif. Il est essentiel que l’industrie de la défense européenne reste un pôle mondial de premier plan en matière de production et d’innovation, créateur d’emplois hautement qualifiés et de croissance."
La communication rappelle que le niveau des dépenses militaires dans l'UE a chuté à environ 194 milliards d'euros aujourd’hui (pour 1,6 million de soldats) contre 251 milliards dix ans plus tôt. Or, parallèlement à cette décroissance budgétaire, l’équipement est devenu plus coûteux en raison de la complexité technologique toujours plus grande qu’il doit intégrer.
L’investissement dans la recherche a pour sa part décru de 14 % entre 2005 et 2010, et s’élève désormais à 9 milliards d’euros. Dans ce contexte, l'Europe ne consacre plus que 1,6 % de son PIB à sa défense contre 5 % pour les Etats-Unis.
Dans la situation actuelle faite d’économies budgétaires, "si dépenser plus est difficile, dépenser mieux est nécessaire", souligne la communication de la Commission européenne, qui en veut pour exemple les "doublons inutiles de capacités, d’organisation et de dépenses" engendrées par la fragmentation des marchés. Pour développer et mettre en œuvre cette feuille de route, la Commission souhaite mettre en place un "mécanisme de consultation" en vue d'établir un dialogue direct et régulier avec les autorités nationales compétentes.
Afin d’assurer une coopération entre Etats membres plus large et plus poussée, la Commission européenne envisage notamment une évaluation de la possibilité de capacités à double usage appartenant à l’UE, qui pourraient être acquises, détenues et opérées directement par l'Union. Le texte propose ainsi de mettre fin au cloisonnement national en matière d'acquisitions qui augmente les coûts et fragilise l'industrie. Il estime par ailleurs que les décisions sur les investissements et les capacités devraient être basées sur une compréhension commune des menaces et des intérêts.
Elle entend d’ailleurs publier un Livre vert sur le contrôle des capacités industrielles sensibles dans le secteur de la sécurité et de la défense et envisage des mesures, si elles sont nécessaires, pour garantir la sécurité de l'approvisionnement en matières premières. La liste des matières premières critiques sera révisée à la fin de 2013 et devrait à son goût prendre en compte leur importance spécifique dans le secteur de la défense.
La Commission indique par ailleurs qu’elle va examiner avec le Service européen d'action extérieure la proposition de solutions de soutien aux travaux de recherche, dans les domaines où les capacités de défense de l’UE sont le plus nécessaires. De plus, elle recommande aussi le développement de synergies entre les sphères civile et militaire sur les possibilités d’interaction mutuellement bénéfique entre la recherche civile et la recherche militaire et sur le potentiel de double usage de l’espace.
La Commission compte aussi beaucoup sur un meilleur fonctionnement du marché intérieur de la défense, notamment par une meilleure ouverture des marchés publics, en s’assurant de l’application des deux directives en vigueur concernant les marchés publics et les transferts intra-UE dans le domaine de la défense. Ainsi, il s’agit de clarifier les limites de certaines exemptions de la directive sur les marchés publics de défense, concernant en particulier les contrats de gouvernement à gouvernement et les accords internationaux, afin d'éviter que des utilisations abusives de ces exemptions ne viennent miner la bonne application de la directive de 2009.
La Commission propose l'éradication des distorsions de concurrence et d'autres pratiques abusives. Elle entend veiller à ce que ne soient pas favorisées les entreprises nationales au détriment des autres fournisseurs. Il s’agit ici de vérifier si toutes les conditions sont remplies lors de l'invocation d’intérêts essentiels de sécurité prévue à l'article 346 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne par les États membres pour justifier des aides d'État. "Le contrôle des aides d’Etat a un rôle fondamental à jour dans la défense et le renforcement du marché intérieur, également dans le secteur de la défense", dit la communication.
Michel Barnier a précisé pour sa part qu’il n’estimait pas nécessaire qu’il faille privilégier les industries européennes par rapport aux autres. "La réponse n'est pas dans le protectionnisme, mais dans l'investissement, dans la recherche mutualisée qui sert de levier, dans les technologies-clés que nous avons identifiées et que nous sommes en train de perdre au profit des Chinois, des Américains et des autres", a-t-il dit.
En matière de compétitivité, le plan d’action propose d’agir sur la normalisation avec l'élaboration de normes dites "hybrides" pour des produits qui peuvent avoir des applications tant civiles que militaires, comme par exemple dans les domaines de la détection/protection CBRN, des systèmes de drones aériens (RPAS), des spécifications de navigabilité et du partage de données. Cela permettrait aussi de renforcer la coopération et l'interopérabilité entre les forces armées européennes.
Une réflexion parallèle s’intéresse aux moyens de concevoir un système de certification européen pour la navigabilité aérienne militaire. L'absence de certification commune en la matière entraîne, selon les estimations de l'AED, un coût supplémentaire de 20 % et allonge de 50 % les délais nécessaires au développement d'un avion.
L’autre versant de cette action de développement de la compétitivité consiste à soutenir les PME liées à la défense, notamment par la mise en place d’un "partenariat stratégique de clusters européens" destiné à assurer la mise en réseau avec d’autres clusters et dans leur soutien face à la concurrence mondiale. La Commission mentionne par ailleurs la possibilité de recourir, ce qui est un peu inédit pour un dossier marqué par le sigle "défense", au Fonds social européen et aux fonds structurels pour contribuer à la préservation des compétences.
La Commission européenne voit aussi des sources d’économies dans le soutien aux forces armées pour réduire leur consommation énergétique, ce qui constituerait par ailleurs la contribution des armées à l’objectif 20-20-20 que s’est fixé l’UE en matière de lutte contre le réchauffement climatique. La Commission européenne veut aussi mettre en place à la mi-2014 un mécanisme de consultation spécifique, se concentrant sur l’efficience énergétique, les énergies renouvelables et les carburants alternatifs, ainsi que l’infrastructure de l’énergie. La Commission envisage donc de diffuser un document d’orientation sur l’application dans le secteur de la défense de la directive 2012/27/EU relative à l'efficacité énergétique.