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Commerce extérieur
La Commission européenne et le gouvernement canadien ont conclu leurs négociations sur un Accord économique et commercial global, dont les premiers éléments connus suscitent enthousiasme et inquiétudes
18-10-2013


Stephan Harper et José Manuel Barroso © UELe 18 octobre 2013, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, et le Premier ministre canadien, Stephen Harper, ont annoncé avoir terminé les négociations, débutées en mai 2009, sur un accord économique et commercial global (AECG – ou CETA en anglais) entre l’UE et le Canada.

Cet accord "aborde un large éventail de questions et améliore, notamment, l'accès aux biens et aux services; la sécurité juridique, la transparence et la protection des investissements, la coopération dans les domaines d'intérêt mutuel comme la réglementation et la mobilité de la main d'œuvre, ainsi que l'ouverture des marchés publics", ont déclaré les deux partenaires dans une communication conjointe.

Cet accord prévoit notamment de supprimer plus de 99 % des droits de douane entre les deux économies. Les droits sur les produits industriels "seront totalement libéralisés", permettant aux exportateurs de l'UE d'économiser environ 500 millions d’euros par an, explique le Memo, détaillant les grandes lignes de l’accord tenu encore secret, publié par la Commission européenne. "Lorsqu'ils écouleront des produits sur le marché canadien, les exportateurs de l'UE ne devront donc plus supporter le fardeau des droits".

Dans le domaine des marchés publics, le Canada a non seulement pris des engagements au niveau fédéral, mais il a aussi ouvert les marchés de ses entités fédérées aux soumissionnaires européens. Ainsi, l’AECG "libéralisera le commerce des services, en particulier des services financiers, des télécommunications, de l’énergie et des transports", dit la Commission.

Ensuite, l’accord avec le Canada propose des efforts d’uniformisation par le renforcement des liens entre les organismes de normalisation compétents. Un protocole distinct améliorera la reconnaissance mutuelle des procédures d'évaluation de la conformité. "En réduisant le coût de mise en conformité avec les règles techniques, les normes et les procédures d'évaluation de la conformité (y compris les dispositions en matière de marquage et d'étiquetage), l'AECG facilitera les échanges et profitera à l'industrie de manière générale", dit la Commission européenne, en soulignant que ce seul volet pourrait signifier pour l'UE une hausse du PIB pouvant atteindre 2,9 milliards d’euros par an.

L’accord reprend par ailleurs les dispositions en matière de protection de l’investissement déjà inscrite à l’article 11 du traité de libre-échange nord-américain. Elles "préservent totalement le droit des parties de réglementer et de mettre en œuvre les objectifs de leur politique publique" et "le renforcement des obligations en matière de protection de l'investissement sera fondé sur un mécanisme moderne et efficace de règlement des litiges entre les investisseurs et l'État", lit-on dans le Memo de la Commission européenne sur l’accord.

Le Canada et l’UE affirment toutefois dans cet accord leur attachement "aux principes et aux objectifs de développement durable en matière commerciale", ce qui signifie que "les investissements et les échanges ne devraient pas se développer aux dépens de l’environnement, mais plutôt encourager le soutien mutuel entre la croissance économique, le développement social et la protection environnementale", précise la Commission européenne. "Nous savons que parfois, des inquiétudes sont exprimées en Europe sur le fait que le commerce et la libéralisation pourraient baisser les standards dans différents domaines. Ce n’est pas du tout le cas avec cette étape historique", a dit encore José Manuel Barroso.

Parmi les derniers points résolus, ceux qui ont fait l’objet d’âpres négociations durant les derniers mois, l’Union européenne a obtenu l’amélioration de la protection des droits de propriété intellectuelle, "ce qui profitera au secteur pharmaceutique", dit-elle, et des appellations d’origine des produits agricoles européens au Canada.

Enfin, les deux partenaires se sont entendus sur la question agricole. Alors que l’UE concède un plus grand accès aux viandes bovine et porcine venues du Canada, ce dernier a au contraire autorisé une importation sans frais de douanes de quantités plus grandes de produits laitiers européens. "Pour nous deux, l’agriculture était un sujet sensible. (…) Nous avons été capables d’obtenir un bon équilibre entre nos intérêts offensifs et défensifs", a déclaré le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, dans son discours.

Cet accord "nous permettra de prendre pied sur le marché nord-américain", se réjouit le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso

"Le Canada est l’une des économies les plus avancées du monde. Cet accord ouvrira de nouvelles perspectives intéressantes aux entreprises européennes et canadiennes en améliorant l’accès aux marchés des biens et des services et en offrant de nouvelles possibilités aux investisseurs européens. Il nous permettra de prendre pied sur le marché nord-américain et constituera ainsi un vecteur de croissance et d’emploi en Europe", a déclaré le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, selon le troisième communiqué de presse de la Commission européenne.

"C’est aussi un événement historique et un jalon  avec un marché transatlantique intégré, projet que j’ai défendu depuis longtemps et je suis fière que cette Commission ait fait le pas nécessaire dans cette direction", a-t-il par ailleurs souligné.

Principal négociateur européen de l’accord, le commissaire européen chargé du commerce, Karel De Gucht a pour sa part souligné la "grande première" que constituait la recherche d’un accord de libre-échange global entre deux "économies matures". Les échanges commerciaux de biens et de services devraient augmenter de 23 %, soit 26 milliards d’euros de plus. Les bénéfices doivent augmenter le PIB de l’UE de 12 milliards d’euros par an.

En 2012, le Canada était le 12e partenaire commercial de l’UE. 1,8 % du commerce extérieur total de l’UE se faisait avec ce pays. A l’inverse, en 2011, l’UE était le deuxième partenaire commercial du Canada, après les USA. Les échanges avec l’UE représentaient 10,4 % du commerce extérieur total du Canada. La valeur des échanges bilatéraux de marchandises entre l’UE et le Canada était de 61,8 milliards d’euros en 2012. Les machines, les équipements de transport et les produits chimiques représentent une part prédominante des exportations de biens européens vers le Canada, et occupent également une place importante dans les importations de produits canadiens dans l’UE. Le commerce des services – professions libérales, transports, banques et assurances – est un aspect non négligeable des relations commerciales entre les économies avancées que sont l’UE et le Canada.

En 2011, le montant des investissements européens au Canada avoisinait les 220 milliards d’euros, tandis que les investissements canadiens dans l’UE s’élevaient à près de 140 milliards d’euros.

Le Parlement européen en apparence divisé

Le Parlement européen et les provinces canadiennes devront encore approuver l’accord entre l’UE et le Canada.  Les réactions des différents groupes politiques représentés au Parlement européen varient beaucoup dans leur contenu.

L’accord satisfait les partis conservateurs au Parlement européen. Robert Sturdy, vice-président du comité de commerce international, eurodéputé membre du groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) s’est félicité parce qu’il constituera un "énorme coup d’accélérateur pour le Royaume-Uni et le reste de l’Europe", a-t-il dit dans un communiqué de presse, rappelant que, selon un rapport daté de 2008, le gain devrait se chiffrer à 11,6 milliards d’euros par an pour l’UE et 8,2 milliards pour le Canada.

Le porte-parole du groupe PPE au sein de la commission parlementaire du commerce international, Daniel Caspary, a déclaré que cet accord constitue "l’avancée que nous attendions". "L’accord de commerce UE-Canada créera de nouvelles opportunités pour l’économie des deux côtés de l’Atlantique, provoquant un plus grand choix pour  les consommateurs ainsi que des prix plus bas pour la gamme des produits proposés », a-t-il dit, en formulant l’espoir que l’accord soit finalisé rapidement afin de "libérer le potentiel de croissance qu’il recèle".

Le PPE fait un lien direct entre cet accord et celui en cours de négociations avec les Etats Unis. Ce premier accord scellé est "un pont important lancé avec un accord entre l’UE et les Etats-Unis, en raison des similitudes sur les questions en jeu", a dit Daniel Caspary. Rapporteur pour le Parlement européen de l’accord, Peter Šťastný, lui aussi membre du PPE a célébré une "bonne nouvelle pour les citoyens de l’UE et du Canada" : "Les barrières économiques chuteront, l’emploi et la prospérité augmenteront, et nos relations mutuelles se renforceront."

Le groupe Socialistes et Démocrates (S&D) est plus mitigé. Il est favorable à l’accord conclu, lequel "aidera à doper l’économie et à créer de nouveaux emplois", lit-on dans son communiqué. S’il s’est aussi satisfait que "leurs demandes pour les droits de propriété intellectuelle, ont été inclus dans l’accord", le porte-parole S&D pour le commerce, Bernd Lange, avoue par contre sa déception concernant le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etat que les sociaux-démocrates espéraient voir exclus de l’accord. Les S&D entendent par ailleurs intégrer encore "une clause solide sur les droits de l’homme".

Le groupe des Verts se dit déterminé à "stopper cette folie libérale qui continue de nous projeter avec violence dans le mur", selon un communiqué de presse. Les Verts sont eux aussi, très peu enchantés par ce mécanisme dit de protection des investissements, qui manifestement préoccupe beaucoup les forces de gauche. Cette nouveauté "pourrait ouvrir la porte à un nivellement vers le bas en termes de politiques publiques", juge le porte-parole des verts sur ce sujet, l’eurodéputé Yannick Jadot. "Elle permettra aux entreprises de contester les règlementations européennes, dans l’optique de renverser des règles plus ambitieuses à travers un processus d’arbitrage opaque et coûteux", a-t-il dit. Les Verts citent notamment la règlementation sur le droit des consommateurs mais aussi celles sur la qualité des carburants qui empêche que "le carburant tiré des sables bitumineux nocifs à l’environnement ne soient venus sur le marché européen". Dans ce contexte, l’accord négocié "facilite l'investissement et la production de sables bitumeux qui sont une catastrophe environnementale", pense l’écologiste. "C'est la victoire du cynisme pollueur de Total. "

Les Verts rappellent d’ailleurs que l'Etat canadien est lui-même "poursuivi pour près de 2,5 milliards de dollars par les firmes américaines pour ses politiques publiques pour la santé ou contre la fracturation hydraulique dans les gaz de schiste, au nom de ce mécanisme existant dans l’accord de libre-échange nord-américain (NAFTA)". Ce serait "étendre à l'Europe ce renforcement scandaleux des droits des investisseurs contre les États qui entravera nos capacités à décider de politiques publiques au service de l'intérêt général".

Les écologistes s’inquiètent également pour l’agriculture européenne. Cet accord va, selon Yannick Jadot, "accentuer la mondialisation agro-alimentaire", et ce «  en pleine crise de l'élevage en Europe - et en Bretagne », déplore-t-il.  A ces défauts s’ajoutent le principe d'une liste négative sur la libéralisation des services, en vertu de laquelle « tout ce qui n'est pas exclu est libéralisé", tout comme le renforcement du pouvoir des multinationales dans les marchés publics et l’interdiction de tout privilège accordé aux entreprises locales.

L’eurodéputé GUE/NGL, Helmut Scholz, membre de la commission parlementaire du commerce international, dénonce, comme Yannick Jadot et les socialistes, l’inclusion d’une clause de règlement des différends entre investisseurs et Etat, les plus récents cas devant être "un signal d’alerte pour l’UE". "Nos systèmes judiciaires ne devraient pas être contournés", dit-il dans un communiqué, plaidant pour qu’au contraire, l’accord puisse "contenir des obligations aux investisseurs en particulier pour le respect des dispositions concernant les syndicats et les droits des travailleurs, la transparence et la protection de l’environnement". "Nous ne pouvons pas donner aux entreprises le droit de poursuivre les gouvernements quand les politiques sociales et environnementales réduisent leurs profits", pense pour sa part l’eurodéputé GUE/NGL, Paul Murphy.

Du côté des organisations professionnelles et de la société civile

Dans un communiqué de presse, le groupe BusinessEurope, organisation européenne représentant 41 fédérations patronales de 35 pays européens, salue un accord qui forme "un moment important dans l’histoire des échanges commerciaux" qui constitue "un précédent" pour les futures accords commerciaux bilatéraux à sceller. "Nous avons travaillé extrêmement durement ces quatre dernières années pour faire de cet accord une réalité. Les entreprises d’Europe et du Canada seront ravies de voir s’ouvrir de nouvelles opportunités de marché à un moment où la performance économique globale  reste molle", a dit le directeur général de BusinessEurope, Markus Beyrer.

La Copa-Cogeca, réunion du Comité des organisations professionnelles agricoles (COPA) et de la Confédération Générale des Coopératives Agricoles de l’Union européenne (COGECA), s'est félicitée de ce que les Canadiens aient finalement accepté de respecter les normes de qualité européennes. C’est ainsi le premier grand partenaire commercial de l’UE à reconnaître le principe du système d'Indications géographiques. "Ceci est important pour le secteur européen de la viande porcine qui a dû récemment faire face à des coûts des aliments pour animaux élevés et à l'introduction de normes de bien-être très strictes", s’est réjoui le président du Copa, Albert Jan Maat, sur leur site internet.

Pour autant la Copa-Cogeca est inquiète du fait que le Canada obtienne un accès plus accru que prévu au marché européen pour d'importants volumes de viande bovine et porcine, à condition qu’elle soit sans hormones. "Nous ne pouvons l'accepter, même si cette viande ne contient pas d'hormones. (…) La viande bovine est un produit sensible pour nous et la production européenne est menacée. Cet accord aura pour conséquence une hausse importante des importations", a déclaré Christian Pèes, président de la Cogepa.

"Les consommateurs européens n’auront pas avec les viandes bovines canadiennes la même garantie de traçabilité et de sécurité alimentaire", a pour sa part réagi la Fédération nationale bovine (FNB) française, dans un communiqué de presse. "Il est incompréhensible que l’Europe ne protège pas notre secteur dans ce type de négociation. Pire, la Commission prépare avec le même aveuglement un accord UE-USA qui amplifierait très largement la "casse" des exploitations et des emplois de la filière."

Les Producteurs laitiers du Canada  ne sont pour leur part pas satisfaits que leur gouvernement ait accepté de doubler le quota de fromage européen admis sans droits tarifaires, en échange d’un plus grand accès au marché européen des producteurs de bœuf canadiens. Ils préviennent sur leur site internet que le Canada risque de perdre "à court terme ses petits fromagers artisans et locaux, ainsi qu’une industrie de renommée mondiale". "Cet accord délogerait nos produits locaux au profit de fromages provenant de l’industrie européenne et risquerait de nous coûter nos petites entreprises. Cela est inacceptable", disent-ils, rappelant que l’Europe peut déjà exporter, vers le Canada, 20 412 tonnes de fromage en franchise de droits. En raison de ce dernier fait, "les consommateurs n’observeront aucune différence de prix suivant cette concession dans le cadre de l’AECG".

Le Réseau pour le commerce juste, formé d'organisations environnementales, syndicales, culturelles, agricoles et étudiantes canadiennes, a de son côté fait parvenir vendredi 18 octobre 2013 une lettre au Premier ministre Stephen Harper pour le prier de rendre public le texte intégral de l’accord "afin que le Parlement et la population canadienne aient l’occasion de le passer en revue, de proposer des changements et, ultimement, de le rejeter, en tout ou en partie, s’ils jugent qu’il va à l’encontre de l’intérêt public".