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La plate-forme d’ONG "Meng Landwirtschaft" appelle le gouvernement à réorienter la politique agricole de manière écologique et durable économiquement
28-01-2014


pac-ong-groupeEn prélude à la tenue d’un débat organisé par la plate-forme "Meng Landwirtschaft" avec les acteurs du secteur agricole, les ONG membres avaient convié la presse, le 28 janvier 2014, afin de présenter un rapport sur la situation de l’agriculture luxembourgeoise assorti d’une série de revendications destinées au nouveau gouvernement.

Alors qu’en 2013, la politique agricole commune de l’Union européenne (PAC) a été définie pour la période allant de 2014 à 2020 et que la rédaction du "plan de développement rural" (PDR) national qui est censé en découler arrive bientôt à échéance (après que le Luxembourg a bénéficié d’un délai supplémentaire jusqu’au 1er juillet 2014 pour l’élaborer et le soumettre à la Commission européenne), ces organisations ont plaidé en vue d’une réorientation écologique et durable de la politique agricole nationale.

Fondée en 2011, la plate-forme rassemble des organisations luxembourgeoises actives dans les domaines de l’agriculture, l’alimentation, l’environnement, la protection de la nature et des consommateurs, de la santé, ainsi que des ONG impliquées dans la coopération au développement. S’y retrouvent natur&ëmwelt, Bio-Lëtzebuerg – Vereenegung fir Bio-Landwirtschaft Lëtzebuerg, Greenpeace Luxembourg, Action Solidarité Tiers Monde, SOS Faim Luxembourg, le Mouvement Écologique et Caritas Luxembourg.

"Ces organisations souhaitent stimuler un débat public longtemps retardé sur l’avenir de l’agriculture au Luxembourg et y participer activement", explique Martina Holbach, responsable de campagne pour Greenpeace. Les ONG membres de Meng Landwirtschaft estiment en effet que la politique agricole "erronée" des dernières décennies se ressent au-delà du seul domaine de l’agriculture.

pac-ong-holbach"Elle affecte la protection de la nature, du climat et des consommateurs, ainsi que les intérêts des petits producteurs des pays en développement. Au Luxembourg, elle est à l’origine du déclin dramatique de la biodiversité, de la contamination à grande échelle de l’eau potable par les nitrates et les résidus de pesticides, et de l’émission de gaz à effet de serre dommageables au climat", détaille le rapport publié par la plate-forme.

"À ces conséquences importantes s’ajoutent une baisse des exploitations et de l’emploi agricoles, un déclin économique du secteur et une extrême dépendance des agriculteurs vis-à-vis des subventions, ainsi que des coûts d’exploitation externes, tels que les fertilisants, les fourrages et les pesticides. Malgré des dépenses publiques élevées pour l’agriculture, l’autosuffisance alimentaire du Luxembourg est loin d’être assurée et la production d’aliments bio ne peut satisfaire la demande. [En outre], alors que le Luxembourg se présente comme l’élève modèle dans le domaine du développement, il existe d’importantes incohérences entre sa politique de coopération et d’autres domaines comme la politique commerciale ou le secteur financier", poursuivent les auteurs.

Dans ce cadre, Meng Landwirtschaft a bien pris note du programme du nouveau gouvernement dans le domaine agricole. Celui-ci précise notamment que "la politique agraire du Gouvernement consistera à maintenir voire renforcer les secteurs agraires actuels en favorisant des structures adaptées à l’économie nationale et à la géographie du pays et en les préparant aux défis du marché international. […] Une diversification de la production agraire respectant les ressources naturelles sera soutenue et promue activement, notamment par des structures de transformation, de valorisation et de commercialisation adéquate. Cette démarche fera partie intégrante du Plan de développement rural." Il prévoit également une "réforme des aides au développement rural" par laquelle "le Gouvernement cherchera à les orienter de façon à atteindre de façon ciblée, cohérente et coordonnée les objectifs dans les domaines de la protection des eaux et de la biodiversité". Pour les ONG, il s'agit désormais d'agir.

Une dépendance accrue aux importations alimentaires

Meng Landwirtschaft a d’abord rappelé que l’agriculture luxembourgeoise était majoritairement déterminée par la politique agricole commune (PAC) de l’UE. L’objectif de la PAC, à son entrée en vigueur en 1962, était d’augmenter de manière significative la production alimentaire de l’agriculture européenne pour assurer l’autosuffisance et s’affranchir des importations en provenance des États-Unis, alors nécessaires. Diverses mesures protectionnistes ont à cette époque permis de faire exploser la productivité agricole.

pac-ong-aendekerkOr, souligne la plate-forme, malgré d’immenses gains de productivité, l’UE – dont le Luxembourg – n’a pas atteint, et de loin, son objectif d’autosuffisance. "Si l’on mesure en calories, l’UE est importatrice nette de produits agricoles. Cette situation est due principalement à l’augmentation des importations d’aliments pour animaux", notamment de protéines de soja destinées à l'engraissement du bétail appuie Raymond Aendekerk de Bio-Lëtztebuerg .

Cet objectif ne serait pourtant pas dépassé ou obsolète juge celui qui est également directeur de l’IBLA (Institut fir biologesch Landwirtschaft an Agrarkultur asbl). "L’autosuffisance en aliments sains doit être plus que jamais une préoccupation fondamentale de l’agriculture et de la politique agricole luxembourgeoises. D’une part parce qu’il est nécessaire de rechercher une agriculture sans conséquences dommageables, contrairement à l’agriculture intensive pratiquée actuellement, et d’autre part parce que l’autosuffisance conduit à la création d’emplois locaux et à une valeur ajoutée économique".

Une agriculture luxembourgeoise intensivement dépendante des subventions publiques

La plate-forme met également en évidence une baisse des exploitations et de l’emploi agricoles sur les 60 dernières années. Le secteur national est passé de 11 445 exploitations en 1950 à 2 175 en 2011 selon les chiffres du Ministère de l'Agriculture. "Sans l’aide de l’UE et du gouvernement, l’exploitation agricole moyenne luxembourgeoise serait en déficit. En 2011, la part du financement public dans les bénéfices de 450 agriculteurs évalués par le Service d’économie rural était de 120 %", poursuit Raymond Aendekerk.

La surface agricole nécessaire à la satisfaction des besoins alimentaires est autre incohérence selon Meng Landwirtschaft qui souligne que le consommateur luxembourgeois doit, pour ce faire, bénéficier d’une surface agricole double de celle disponible au Grand-Duché, et trois fois plus importante que celle disponible par habitant en moyenne à l’échelle de la planète.

Selon les organisations membres, l’agriculture luxembourgeoise est par ailleurs trop dépendante de la production animale, et particulièrement de celle de viande et de lait, les produits d’origine animale ne couvrant d’ailleurs pas seulement la consommation nationale: ainsi, plus de la moitié du lait produit est exportée. Parallèlement, ces ONG relèvent un déficit de production pour de nombreux autres aliments tels les fruits, les légumes et les protéines végétales. Ainsi la consommation d’aliments bios n’est-elle pas couverte par la production nationale.

Un recul alarmant de la biodiversité

Au cours des trente dernières années, la biodiversité au Luxembourg a diminué dans des proportions alarmantes s’inquiète Meng Landwirtschaft, chiffres à l’appui: 12, 27 % des plantes vasculaires (la majorité des groupes de plantes familières comme les plantes à fruits, les arbres, les arbustes, les herbes et les fougères), 54,8 % des mammifères, 41,5 % des oiseaux, 33 % des reptiles, 61,5 % des amphibiens et 62 % des poissons sont menacés au Grand-Duché.

pac-ong-benoyFrançois Benoy coordinateur à natur&ëmwelt et qui occupe la fonction de coordinateur de Meng Landwirtschaft, note ainsi que des pertes très élevées se sont produites au cours de cette période pour les zones humides (moins 80 %), l'herbe sèche (moins 34,9 %) et les vergers (moins 58,5 %). Le déclin de la biodiversité au Luxembourg serait d’ailleurs particulièrement marqué dans le paysage agricole, en raison notamment d’une pratique toujours plus intensive de la monoculture.

"L'intensification de l'agriculture est en partie responsable de la disparition des abeilles", souligne encore celui qui est aussi président de la section de Déi Gréng de la capitale. Entre l'automne 2010 et le printemps 2013, le nombre de colonies d'abeilles au Luxembourg a diminué de 5 580 à 3 258 selon les chiffres du ministère du Développement durable. Or, rappellent les responsables de la plate-forme, une grande partie de la production alimentaire dépend de la pollinisation par les abeilles et autres insectes. Jusqu'à 75 % des cultures locales courraient un risque de baisse de productivité suite à la disparition des abeilles.

Des niveaux inquiétants de pollutions aux nitrates, aux pesticides et d’émissions de gaz à effet de serre

La pollution de l’eau potable au Luxembourg par les résidus de pesticides et les nitrates provenant de l'agriculture serait par ailleurs relativement importante selon une enquête de 2013 du Conseil supérieur pour la protection de la nature et des ressources naturelles. Certaines sources d'eau potable ont déjà dû être fermées et plus d'un quart des sources d'eau potable étudiées nécessitent des actions immédiates en raison de la contamination excessive par les nitrates, appuient les ONG membres. Seules 18 % des sources examinées présentaient une teneur en nitrates inférieure à 10 milligrammes par litre. "Près de 40 % des 230 pesticides autorisés sont dangereux pour la santé et le plan d’action promis par le gouvernement sur ce sujet se fait toujours attendre", poursuit François Benoy.

En termes d’émissions de gaz à effet de serre, l'agriculture luxembourgeoise serait responsable de 5,49 % des émissions nationales avec en 2011 un total de 663 650 tonnes d’équivalent au gaz carbonique (CO2) émis. L’émission par habitant de gaz à effet de serre due à l'agriculture en 2011 était de 1,24 tonne. "Le réchauffement climatique représente par ailleurs une menace toujours plus forte pour l’agriculture nationale, notamment en raison de l’augmentation des précipitations hivernales, des périodes de sècheresse en été, des inondations et des gelées précoces et tardives", ajoute Roger Schauls, du Mouvement écologique

Une agriculture aux dépens des pays en développement qui aggrave la faim dans le monde

pac-ong-feyderLa question de l’impact négatif sur les pays en développement et de la cohérence entre la politique de coopération et d’autres domaines comme la politique commerciale ou le secteur financier est également soulevée par les ONG. "Tous les jours, 25 000 personnes, surtout des enfants, meurent de malnutrition et environ 900 millions de personnes souffrent de la faim. Les agriculteurs en sont les premiers affectés, en particulier les petits producteurs, les sans-terres et surtout les femmes. Alors que la production céréalière mondiale pourrait suffire à nourrir chaque être humain, environ un tiers de cette production sert à nourrir le bétail et 20 % à des utilisations industrielles comme la production d’agrocarburants", relève Jean Feyder d’Action Solidarité Tiers Monde.

Ancien représentant permanent du Luxembourg auprès des Nations Unies et auteur du livre "Mordshunger – La faim tue" (Editions L'Harmattan, 2011), Jean Feyder souligne que la libéralisation prônée depuis des décennies par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’UE dans les pays en développement via les Accords de partenariat économique (APE) a conduit à négliger la production alimentaire locale et à une constante augmentation des importations de produits alimentaires avec dumping commercial, tout particulièrement en provenance de l'UE. "Des millions de petits producteurs ont été ruinés et l'UE pousse à la poursuite de cette libéralisation du marché avec de nouvelles négociations commerciales, empêchant ainsi le développement et la création d'emplois, en particulier dans l'agriculture".

Spéculation alimentaire et accaparement des terres

Une menace supplémentaire pour les petits producteurs des pays en développement est celle de l'influence croissante des marchés financiers et de l'agro-industrie mondiale. "La spéculation boursière sur les matières premières agricoles, souvent des aliments de base tels que le blé et le maïs, a été l’une des causes majeures de la crise alimentaire mondiale en 2008", explique Marine Lefebvre de SOS Faim Luxembourg. Cette situation provoque "des fluctuations de prix dangereuses de ces produits, avec des conséquences désastreuses pour les plus pauvres qui dépensent jusqu'à 85 % de leur revenu pour se nourrir".

La location de millions d'hectares de terres agricoles dans les pays en développement les plus pauvres par des entreprises multinationales, des banques, et des fonds d'investissement, établis également au Luxembourg, "conduit à l'expulsion de la population indigène rurale et au développement d'un modèle agricole non durable", ajoute Julia Georgi de Caritas Luxembourg. "Une grande partie de cet 'accaparement de terres agricoles' est utilisée pour la production d'agrocarburants. Or nombreux sont les agrocarburants qui provoquent une hausse des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants classiques", relève-t-elle.

Meng Landwirtschaft appelle donc le gouvernement luxembourgeois à soutenir "une production agricole basée prioritairement sur des structures agricoles en grande partie autonomes et durables, car seul ce modèle pourra assurer à l’avenir une alimentation saine et équilibrée, obtenue dans le respect des limites naturelles de la planète et dans la solidarité avec les petits producteurs des pays en développement". 

Revendications dans le contexte national

Pour le Luxembourg, Meng Landwirtschaft avance neuf revendications:

1. L'agriculture doit être alignée sur une stratégie durable. La production de nourriture humaine doit primer sur les autres productions, telles que la production d'aliments pour animaux ou la production d'énergie. Les ressources agricoles ne peuvent être transformées en énergie qu'à la fin de leur cycle complet d'utilisation.

2. Les aliments consommés au Luxembourg doivent être en priorité produits localement. À cela doit s’associer une réorientation de la production agricole actuelle, sous la forme d’une augmentation de la production végétale avec réduction simultanée de la production de lait et de viande. La demande locale et régionale doit dans le même temps être encouragée de façon ciblée.

3. Afin de réduire la dépendance à l'égard des matières premières importées, les flux de matière doivent être optimisés dans les exploitations agricoles, tant pour l'utilisation des intrants, tels que le nitrate et le phosphate, que pour l'utilisation des combustibles fossiles. Les importations de protéines doivent être largement réduites : les besoins en protéines doivent être couverts par la production locale.

4. La marge de manœuvre autorisée par la PAC pour les pays membres doit être exploitée au maximum pour verdir l’agriculture. Un changement de paradigme profond dans la répartition des fonds publics est nécessaire: les subventions ne peuvent plus être proportionnelles à la surface exploitée. La promotion des structures rurales, des mesures agricoles efficaces pour l’environnement, l'agriculture biologique, doivent être prioritaires.

5. La part de l'agriculture biologique doit être portée à au moins 15 % d'ici 2020. L'agriculture biologique est économe en ressources, plus respectueuse du climat que l'agriculture conventionnelle et contribue de manière significative à maintenir la biodiversité. La forte demande en aliments biologiques au Luxembourg prouve qu’elle est porteuse de perspectives économiques intéressantes.

6. Diverses mesures pour la protection de la biodiversité et des sources d’eau potable sont nécessaires, comme la mise en œuvre généralisée de mesures agricoles écologiques et la réduction de la pollution par les pesticides et les nitrates.

7. L'agriculture doit contribuer à la protection du climat en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre, ses importations de matières premières et en augmentant la capacité de stockage du gaz carbonique dans le sol.

8. Les consommateurs luxembourgeois doivent être mieux sensibilisés à l’importance d'une alimentation saine et équilibrée, produite localement. Dans ce contexte, un régime alimentaire avec une composante végétale renforcée et la réduction de la consommation de viande devraient être encouragés selon les ONG.

9. Une agriculture sans organismes génétiquement modifiés (OGM), le libre accès au patrimoine génétique à des fins de propagation et d'amélioration des variétés végétales et des races animales, et enfin une interdiction des brevets sur le vivant doivent constituer des priorités pour le gouvernement luxembourgeois.

Revendications dans le contexte européen et international

Aux niveaux européen et international, Meng Landwirtschaft avance six revendications:

1. La politique de coopération doit donner une nouvelle priorité à l’agriculture: au moins 10 % de l’aide publique doivent y être réservés. La souveraineté alimentaire, le droit à l’alimentation pour tous, l’agriculture familiale (ou à petite échelle), le rôle éminent des femmes et l’agroécologie doivent être reconnus comme les principaux piliers de cette politique.

2. L'UE doit faire le nécessaire pour arrêter les exportations de produits alimentaires à des prix inférieurs au coût de production. Dans les pays en développement, une régulation équitable des marchés agricoles et la protection des petits producteurs est à favoriser.

3. L'UE doit être encouragée à modifier sa politique commerciale, en particulier en ce qui concerne les APE (accords de partenariat économique), afin de permettre le développement et l’organisation de l'agriculture à petite échelle.

4. L'utilisation des agrocarburants dérivés de ressources alimentaires et non durables doit être arrêtée. Le Luxembourg doit travailler au niveau de l'UE pour la réduction des objectifs en matière d’agrocarburants, et pour des critères stricts de durabilité pour ceux-ci. Des alternatives durables dans le secteur des transports doivent être encouragées.

5. La location de terres à des entreprises multinationales ou des fonds d’investissement dans les pays en développement ne doit être autorisée que dans des conditions strictes et restrictives.

6. La spéculation sur les produits agricoles par des fonds d'investissement de droit luxembourgeois doit être interdite. Au niveau de l'UE, le gouvernement luxembourgeois doit de même s'engager en faveur d’une réglementation stricte de cette spéculation sur les produits agricoles.