En février 2013, la Commission européenne mettait sur la table une proposition visant à lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il s’agit d’adapter le cadre juridique existant à l’évolution des pratiques et de tenir compte ce faisant des recommandations faites en février 2012 par le groupe d’action financière internationale (GAFI).
Le sujet a été discuté en Conseil en novembre 2013, plusieurs questions restant encore en suspens en vue d’un accord des ministres des Finances.
Au Parlement européen, deux commissions sont chargées de suivre le dossier, la commission des Affaires économiques (ECON) et celles des Libertés civiles, justice et affaires intérieures (LIBE).
Le rapport conjoint des eurodéputés Judith Sargentini (Verts/ALE) et Krišjānis Kariņš (PPE) a été adopté par ces deux commissions. Les amendements proposés par les commissions seront mis aux voix lors de la séance plénière de mars. Il est toutefois d’ores et déjà prévu que ce sera au nouveau Parlement issu des élections européenne de mai de débuter les négociations avec la Commission européenne et le Conseil.
Il ressort notamment du rapport que les bénéficiaires ultimes de sociétés ou fiducies devraient être répertoriés dans des registres publics dans les pays de l'UE. Un sujet qui a suffisamment divisé les députés pour que le vote en commission soit reporté une première fois au mois de janvier 2014, ainsi qu’il ressort d’un entretien que l’eurodéputé luxembourgeois Frank Engel, membre de ces deux commissions parlementaires et rapporteur fictif pour le groupe PPE, a accordé à la radio 100,7 le 23 janvier 2014.
S’il s’y disait sceptique quant à l’idée d’introduire un registre entièrement public des bénéficiaires d’entreprises et de sociétés, l’eurodéputé luxembourgeois semblait s’attendre à ce que les défenseurs de cette transparence des investissements obtiennent gain de cause. Son inquiétude était que le texte ne pose problème en l’état au Luxembourg en portant atteinte aux "actions au porteur", et ne porte donc préjudice à la compétitivité de la place financière.
Pour Judith Sargentini, rapporteur de la commission LIBE, "le résultat du vote est synonyme de progrès dans la lutte contre l'évasion fiscale et lance un appel clair à davantage de transparence. Par ce vote, le Parlement, gauche et droite confondues, a montré qu'il est en faveur de registres publics concernant les bénéficiaires effectifs, et envoie, par conséquent, un signal fort au Conseil pour les prochaines négociations sur ce dossier. En approuvant la mise en place de registres de bénéficiaires effectifs, les deux commissions parlementaires ont clairement prouvé qu'elles souhaitent rompre avec la tradition des bénéficiaires cachés des sociétés".
"Pendant des années, les fraudeurs en Europe ont utilisé l'anonymat des sociétés et des comptes offshore pour cacher leurs transactions financières. La création d'un registre européen des bénéficiaires effectifs aidera à lever le voile sur la confidentialité des comptes offshore et à lutter contre le blanchiment d'argent et l'évasion fiscale flagrante", a déclaré pour sa part le rapporteur de la commission des affaires économiques, Krišjānis Kariņš . "Aujourd'hui est un jour heureux pour les citoyens qui respectent la loi et un triste jour pour les fraudeurs", a-t-il ajouté.
Selon la position adoptée par les députés, les registres centraux publics - qui n'étaient pas envisagés dans la proposition initiale de la Commission - reprendraient des informations sur les bénéficiaires effectifs finaux de toutes les catégories de dispositifs juridiques, notamment les sociétés, les fondations et les fiducies. "Si nous avions, par exemple, décidé d'exclure du champ d'application de la nouvelle législation les fiducies, elles seraient immédiatement devenues un instrument parfait pour les fraudeurs qui veulent échapper à l'impôt ou blanchir leur argent illégal dans le système financier", a fait remarquer Judith Sargentini.
Les États membres de l'UE devraient faire en sorte que les registres soient "publiquement disponibles après l'identification préalable de la personne qui souhaite accéder aux informations par le biais d'un enregistrement basique en ligne", affirment les députés. Cependant, ils ont introduit plusieurs dispositions dans la directive modifiée afin de protéger la vie privée et de veiller à ce que seules les informations nécessaires soient inscrites dans le registre. Les registres dévoileraient, par exemple, l'identité des bénéficiaires d'une fiducie donnée mais ne révèleraient pas les détails du contenu et de l'objectif de la fiducie.
Le projet s'appliquerait aux banques et aux institutions financières, mais également aux auditeurs, juristes, comptables, notaires, conseillers fiscaux, gestionnaires d'actifs, fiducies et agents immobiliers.
Des activités telles que convertir de biens immobiliers en liquidités ou cacher leur véritable nature, source ou propriété, menées intentionnellement dans un État membre ou un pays tiers, seraient considérées comme des actions de blanchiment d'argent. Participer à ces activités ou les faciliter entrerait également dans le cadre du blanchiment de capitaux.
Par ailleurs, les services de jeux d'argent et de hasard sont inclus dans le champ de la directive contre le blanchiment d'argent. Cependant, à l'exception des casinos, les députés laissent aux États membres la liberté de décider d'y inclure ou non les activités de jeux d'argent et de hasard qui ne posent pas de menace.
En cas de risque peu élevé d'abus en raison de la nature limitée de l'activité financière et de son faible seuil, les États membres pourraient exclure certaines activités et personnes du champ d'application du projet législatif. Néanmoins, ils peuvent également élargir ce champ pour couvrir des cas présentant un risque élevé de blanchiment de capitaux. Lorsque les États membres identifient des risques élevés, ils devraient examiner le contexte et l'objectif de l'ensemble des transactions complexes et suspectes.
Le projet vise à réduire les imprudences, en établissant des relations entre entreprises grâce à l'identification du client sur la base d'informations et de documents obtenus d'une source fiable. Les transactions occasionnelles, menées lors d'une opération unique ou de plusieurs opérations liées, devraient être contrôlées lorsque leur montant s'élève au minimum à 15 000 euros. Pour les biens payés en liquidités, le seuil serait d'au moins 7500 euros. Les casinos devraient rester vigilants face aux transactions de 2000 euros ou plus, ont ajouté les députés.
Les commissions parlementaires ont souhaité « clarifier » les dispositions concernant les "personnes politiquement exposées", à savoir celles qui présentent un risque de corruption plus élevé que la normale en raison de la position politique qu'elles occupent. Leur projet inclut les personnes politiquement exposées "au niveau national" (par exemple une personne qui occupe une fonction publique importante dans un État membre), ainsi que les personnes politiquement exposées "à l'étranger" et celles travaillant pour une organisation internationale. Les chefs d'État, les membres de gouvernement, de parlement ou "d'organes législatifs similaires", ainsi que les juges des cours suprêmes entrent dans ces catégories.
Les principales dispositions de la directive pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme sont complétées par le règlement sur le transfert des ressources, voté le 13 février 2014 L'objectif de ce règlement est d'accroître la traçabilité des payeurs et des bénéficiaires ainsi que de leurs actifs. Selon les Nations unies, les capitaux blanchis à l'échelle internationale représentent 2 à 5% du PIB mondial chaque année.