Principaux portails publics  |     | 

Environnement
La commission ENVI du Parlement européen amende le projet de législation contre les espèces exotiques envahissantes pour moins pénaliser certaines activités économiques
30-01-2014


La fallopia japonica le long d'une voie de chemin de ferLa commission de l’environnement (ENVI) du Parlement européen a adopté à une large majorité (par 49 voix contre 4 et 3 abstentions), le 30 janvier 2014, le rapport de Pavel Poc (S&D, tchèque) sur le projet de règlement de la Commission européenne contre les espèces envahissantes. Présentée le 9 septembre 2013, la proposition législative vise à prévenir et à gérer le danger grandissant que représentent les espèces exotiques envahissantes (EEE), la Commission européenne estimant qu’elles sont une cause majeure de perte de biodiversité. Plus de 12 000 espèces exotiques seraient dénombrées en Europe, dont environ 10 à 15 % sont considérées comme envahissantes, et leur nombre ne fait que croître.

Le contexte de la proposition

Les espèces exotiques envahissantes sont des espèces initialement transportées par l'action de l'homme en dehors de leur aire de répartition naturelle, au-delà des barrières écologiques, qui survivent, se reproduisent, se propagent et ont des effets dommageables sur l'équilibre écologique de leur nouvel environnement, ainsi que de graves conséquences sociales et économiques.

La proposition veut réagir aux problèmes que posent ces espèces exotiques envahissantes. Sur le plan économique, elles occasionnent chaque année en Europe des dommages que la Commission estime à au moins 12 milliards d’euros en termes de risques de santé publique, de dommages aux infrastructures ou encore de pertes de récolte. Sur le plan écologique, elles peuvent nuire gravement aux écosystèmes et entraîner l’extinction d’espèces qui sont nécessaires pour maintenir l’équilibre de notre environnement naturel. Enfin sur le plan stratégique, de nombreux États membres doivent consacrer des ressources considérables à la lutte contre ce fléau, mais leurs efforts restent vains quand ils se limitent au cadre national.

La proposition de la Commission s’articule autour d’une liste des EEE préoccupantes pour l’Union, qui sera établie avec les États membres sur la base d’évaluations des risques et de preuves scientifiques. L’objectif de la Commission est que les espèces désignées soient interdites dans l’UE, qu’il ne soit plus possible de les importer, de les acheter, de les utiliser, de les libérer dans l’environnement ou de les vendre.

Divisions au Conseil Environnement

Abordé lors du dernier Conseil environnement le 13 décembre 2013, le sujet avait mis en lumière des divergences notables entre Etats membres. Si l’objectif fixé par la Commission a reçu le soutien des ministres, les modalités de cette lutte n’ont pas fait l’unanimité.

L’idée d’une liste limitée à 50 espèces à combattre en priorité divisait le Conseil, tout comme le fait que certaines espèces soient indigènes et utiles dans un pays, et exotiques et nuisibles dans un autre Etat de l’UE, et qu’elles ne pouvaient dès lors pas se trouver simplement sur une liste valable pour toute l’UE. La Présidence avait donc mis en avant la nécessité de revoir le principe d’une liste fermée. La discussion a aussi mis en avant que la coopération régionale pourrait être utile pour lutter contre les plantes envahissantes. Pour la Commission européenne, il faut éviter une liste avec des dérogations et miser sur l’action nationale.

Le Luxembourg avait à cette occasion fait partie d’un groupe de pays opposés à une liste limitée. La ministre luxembourgeoise de l’Environnement, Carole Dieschbourg a par ailleurs mis en avant la nécessité de baser l’action contre les EEE sur des critères à la fois scientifiques et régionaux, la situation étant parfois différente de région à région. En outre, des EEE qui ne sont présentes que dans un nombre limité d’Etats membres mais qui s’étendent devraient aussi être saisies, a-t-elle estimé.

Les nouvelles règles

Les députés de la commission ENVI semblent avoir suivi les réticences du Conseil et choisi d’assouplir la proposition de de la Commission afin de garantir le meilleur rapport coûts/efficacité des mesures et ne pas nuire à l'activité économique en introduisant un certain nombre de dérogations.

"Nous avons abouti à un bon texte. L’objectif est de s’attaquer aux espèces invasives sans mettre en danger les activités des citoyens" a notamment déclaré le rapporteur Pavel Poc. "Il est possible que la proposition soit modifiée durant les négociations, mais notre ligne rouge sera d’assurer que la proposition finale soit applicable, et que le processus soit transparent. Les citoyens et les experts doivent avoir leur mot à dire lorsque les espèces invasives seront listées, et les Etats membres doivent pouvoir adapter la législation en fonction des conditions locales", a-t-il ajouté.

Selon les nouvelles règles, les États membres devront analyser les canaux par lesquels les espèces invasives sont introduites, se répandent, et devront mettre en place des systèmes de surveillance et des plans d’action. Ils devront notamment établir les sanctions appropriées en cas de violation des dispositions. Les contrôles aux frontières de l’UE devront également être améliorés. Pour les espèces invasives déjà largement répandues, les Etats membres devront prendre des mesures de gestion.

Parmi les dérogations, le texte voté prévoit la possibilité pour les Etats membres de s'exempter de l'interdiction générale si une espèce envahissante dans un Etat membre ne l'est pas dans certaines parties du territoire de l'UE et si les coûts de l'action sont considérés excessifs ou disproportionnés.

La possibilité d'autoriser certaines activités commerciales liées à certaines espèces envahissantes de l'Union pour protéger, par exemple, les producteurs de plantes à des fins énergétiques, serait par ailleurs accordée aux Etats membres, pour autant que ces activités aient une valeur économique, sociale et environnementale élevée.

Les eurodéputés ont enfin refusé le plafonnement de la liste des espèces préoccupantes à 50 espèces prioritaires, comme l’a entre autres réclamé le Luxembourg, les députés estimant que cette liste devait rester ouverte afin qu’elle puisse contenir des espèces endogènes dans une partie de l'UE, mais invasives dans une autre.

Les Verts dénoncent une législation vidée de sa substance

Sans surprise, l’introduction d’amendements de compromis au sein de la commission ENVI n’a pas été du goût des environnementalistes. Par voie de communiqué, la porte-parole "environnement" du groupe des Verts/ALE au Parlement européen, la Française Sandrine Bélier, s’est dite "choquée que le rapporteur socialiste introduise à la dernière minute des amendements de compromis qui viennent fragiliser l’objectif et le gage d’efficacité de cette législation". Pour l’eurodéputée verte, le rapporteur aurait succombé "à la pression de plusieurs intérêts commerciaux dont le lobby de la fourrure de vison", les dérogations introduites "vidant la législation de tout son sens", a-t-elle estimé.

Le Bureau européen de l'Environnement (BEE), la plus grande fédération d'ONG environnementales en Europe, a également condamné de son côté le vote des eurodéputés qui rendrait la proposition de la Commission "inutile" pour permettre une gestion efficace et effective des animaux et plantes envahissantes. Ce "vote ouvre la porte à un flot illimité d'exemption qui sape le niveau d'ambition affiché par ailleurs. En optant pour des dérogations, la commission de l'environnement a choisi de protéger les intérêts d'industries comme l'industrie de la fourrure, la production de plantes énergétiques et l'horticulture plutôt que de s'attaquer aux menaces que représentent les espèces exotiques envahissantes", a déclaré Martina Mlinaric, experte en biodiversité, eau et sol au BEE, selon un communiqué du Bureau.

Le BEE a néanmoins salué le fait que les députés aient reconnu l'importance de l'expertise scientifique, leur volonté d'impliquer l’ensemble des acteurs concernés dans la mise en œuvre du futur règlement tout comme celle de respecter pleinement le bien-être animal dans la gestion des espèces exotiques envahissantes.

Prochaines étapes

La commission ENVI a adopté le mandat de négociation de Pavel Poc par 46 voix pour, 7 contre et 1 abstention en vue de débuter les pourparlers avec la présidence grecque dans l'objectif d'un accord de première lecture avec le Conseil.