Le président du Parlement européen, Martin Schulz, qui est aussi candidat tête de liste du PSE en vue des élections européennes, a rendu le 18 mars 2014 une visite officielle à la Chambre des députés.
Le président de la Chambre des députés, Mars Di Bartolomeo, a mis en avant dans son discours d’accueil les nouveaux pouvoirs que le traité de Lisbonne a dévolu aux parlements nationaux dans le processus de décisions européen. Dans ce contexte il a souhaité que les relations de travail soient renforcées entre les parlements nationaux et le Parlement européen, qui comme pouvoirs législatifs, pourraient peser plus sur les décisions des exécutifs que sont les gouvernements nationaux et la Commission européenne. Pour le président de la Chambre, la sortie de crise permettra l’Europe de sortir aussi d’une gestion purement comptable. Soit l’UE restera par la suite fidèle aux engagements sociaux des origines, soit elle finira d’exister. Le président de la Chambre l’a encore formulé de façon plus pointue : "L’UE sera sociale ou ne sera plus !" Les systèmes sociaux sont trop scrutés sur leurs coûts, et pas assez sur leur rôle de stabilisateurs pendant la crise. Les citoyens veulent des emplois stables et une protection sociale forte, estime le président de la Chambre qui est d’avis que la Commission devrait moins mener d’études sur l’impact des systèmes sociaux sur les budgets que sur l’impact des systèmes sociaux sur la sortie de crise.
Martin Schulz s’est lancé dans un premier temps dans un éloge des vertus de l’UE. Il a mis en avant le fait que c’est la première fois que les Etats et nations de l’Europe ont créé des organes communs pour coopérer selon des règles de droit, et non pas selon la loi du plus fort. A la démocratie nationale, ils ont ajouté la démocratie transnationale. "Cela n’existe qu’en Europe !", a insisté Martin Schulz. Pourtant, au regard de l’opinion publique, ces acquis semblent perdre de la valeur, alors qu’à Kiev sur la place Maïdan, les manifestants ont agité le drapeau de l’UE. Dans l’UE règnent la liberté d’opinion et les libertés politiques, l’égalité devant la loi, la dignité de la personne humaine est garantie, la peine de mort et la torture sont proscrites tout comme le travail des enfants … L’UE a constitué "une sorte de système immunitaire contre la guerre en son intérieur", même si la guerre continue d’exister à ses confins.
Dans un tel contexte, a-t-il estimé, la Chambre des députés, qui est le parlement d’un des pays fondateurs, a joué et continuera de jouer "un rôle décisif". Car il faut jeter un regard vers l’avenir, et briguer une UE qui soit plus juste, qui pousse des réformes que les citoyens soient capables de suivre et de reconnaître et qui crée de nouveau de la confiance. La confiance des citoyens a été entamée avec le sauvetage unilatéral des banques. On demande aux pays des réformes, mais cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, comme on le voit à l’exemple du Luxembourg, qui change pas à pas les règles sur sa place financière, ce dont Martin Schulz a félicité le gouvernement. Pour le président du Parlement européen, la génération de l’après-guerre a accepté de nombreux sacrifices parce qu’il s’agissait de préparer le futur de ses enfants. "Mais aujourd’hui, nous demandons aux parents des sacrifices pour sauver les banques. Cela nous fait perdre leur confiance". Les responsables politiques européens doivent arriver à "faire comprendre aux citoyens que leur destin les préoccupe", a déclaré le président Schulz, qui a conclu en s’adressant aux députés : "Vous savez parfaitement que sans l’UE, nous ne serons pas en mesure de remplir notre tâche au cours du 21e siècle".
Lors des échanges avec les députés de tous les groupes et sensibilités politiques, Martin Schulz a été confronté à un Claude Wiseler du CSV soucieux de la contribution du Parlement européen à la dimension sociale de l’UE. Martin Schulz qualifiera lors de sa conférence de presse ce souci du CSV "d’unique en Europe de la part d’un parti conservateur" et pour lui "la preuve que l’action publique s’est engagée au Luxembourg envers des critères sociaux". Il a regretté dans sa réponse que le Parlement européen ne soit pas encore dans ce domaine à la cheville des Etats membres, et cela pour deux raisons : ses compétences, restreintes dans le domaine social, et les rapports de force politiques. Il a aussi admis que la clause sociale contenue dans le traité de Lisbonne - une clause horizontale qui stipule que toutes les politiques et les actions de l'Union doivent être définies en tenant compte des exigences liées à la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine – a été appliquée "avec moins d’intensité ces dernières années". Il a d’autre part rappelé que si le dialogue social était consigné dans les Constitutions de certains Etats membres, il était inconnu dans d’autres.
Interrogé par Eugène Berger (DP) sur le manque de transparence et la mise à mal de la méthode communautaire, il a expliqué que s’il a pu être nécessaire qu’en période de crise aiguë le Conseil européen s’arroge de nouvelles compétences décisionnelles pour prévenir des dommages importants, cette auto-attribution de compétences ne peut pas toujours durer. Un retour à la méthode communautaire doit donc être brigué, mais cela ne sera vraiment possible que le jour où les chefs d’Etat et de gouvernement se rendront aux réunions du Conseil européen, non pas pour défendre leurs intérêts nationaux, mais pour trouver en commun une solution à des problèmes communs.
Le député Fernand Kartheiser, partant de la reconnaissance par l’UE de certaines langues régionales comme le catalan, le galicien, l’écossais ou le gallois du pays de Galles, a voulu savoir ce que Martin Schulz pensait de l’éventualité du luxembourgeois comme langue officielle de l’UE, ce qui est une vieille revendication de l’ADR. Pour le président du Parlement européen, une démarche de genre appartient au gouvernement. "Mais quand il s’agit de ce qui se cache derrière la reconnaissance de ces langues du point de vue idéologique, et qui n’a rien à voir avec l’UE, je préfère m’abstenir du débat".
Le député vert Claude Adam a abordé la question des négociations sur le TTIP et évoqué le comité de coordination instauré au Parlement européen parce que ce traité recouvre les domaines de compétences de 11 commissions de travail, un comité par ailleurs présidé par Martin Schulz lui-même. Pour ce denier, le rapprochement des deux blocs économiques est une bonne chose. Ils sont sous pression, parce que leurs normes sociales et écologiques sont plus élevées que dans d’autres blocs économiques où parfois il n’y en a pas du tout, ce qui est considéré comme un avantage compétitif. L’accès au marché intérieur européen ne devrait pouvoir se faire qu’à condition que "nos normes soient respectées". Pour arriver à ce résultat, "la politique devra s’imposer aux milieux économiques". Le quatrième round des négociations s’est terminé sans résultats, a constaté Martin Schulz. Le mécanisme de protection des investisseurs qui permettrait de contourner les législations en place a suscité des alarmes de part et d’autre de l’Atlantique. Partant de là, Martin Schulz estime qu’il "faut continuer à travailler, mais pas sous haute pression".
Le député de Déi Lénk, Justin Turpel, a cité longuement les critiques sévères adressées par le Parlement européen au travail de la troïka dans les pays en crise et s’est demandé si les Etats membres ne devraient pas mettre immédiatement fin à ce système et mettre en place une alternative. Martin Schulz a mis en avant le puissant écho que ce rapport du Parlement européen a rencontré. Le Conseil européen devra maintenant s’en saisir. "L’objectif suprême de la troïka est de se rendre elle-même superflue", a expliqué Martin Schulz.
Au cours de la conférence de presse, Martin Schulz a refusé de commenter les options de Jean-Claude Juncker, son adversaire dans la course à la présidence de la Commission européenne. Il a seulement retenu que le prochain président de la Commission devra "réussir à rassembler derrière lui une majorité structurelle au Parlement européen. Même si le Conseil européen est l’institution qui peut proposer le président, c’est le Parlement européen qui aura le dernier mot sur la question". Par ailleurs, la personnalisation des élections européennes reprend pour lui un schéma qui est tout à fait courant et normal pour les élections locales et nationales. Le fait que la tête de liste aux élections européennes soit considérée comme une chose si exceptionnelle "montre le déficit démocratique dont souffre l’UE". Il a conclu en mettant en avant à quel point il était nécessaire que le Parlement européen et les parlements nationaux dépassent l’esprit de concurrence et travaillent ensemble pour le plus grand bien de la démocratie.