Le 12 septembre 2013, un article du Financial Times faisait savoir que la Commission européenne était en train de recueillir des informations auprès de l'Irlande, des Pays-Bas et du Luxembourg au sujet de certains accords d'allègement fiscal passés par ces pays avec quelques multinationales, afin de déterminer si de tels accords enfreignaient les règles européennes en matière d'aides d'Etat.
Six mois plus tard, la Commission européenne n’a visiblement pas obtenu toutes les informations qu’elle souhaitait obtenir de la part des autorités luxembourgeoises. Dans un communiqué de presse daté du 24 mars 2014, elle a fait savoir qu’elle ordonnait au Luxembourg de lui remettre les informations qui lui manquent encore. Le Luxembourg a un mois pour répondre, sans quoi la Commission européenne portera l’affaire devant la justice européenne.
Le Luxembourg a jusqu’ici invoqué le secret fiscal pour refuser le transfert d’informations, explique la Commission européenne dans son communiqué de presse. Or, cette dernière avance qu’en vertu du règlement de procédure sur les aides d'État, les Etats membres sont tenus de répondre à ses demandes d'informations, tandis que la Communication du 1er décembre 2003 sur le secret professionnel, indique que "les informations nécessaires en vue de l'identification d'une mesure d'aide et de son bénéficiaire ne peuvent (…) pas, en principe, être couvertes par le secret professionnel". Par ailleurs, la Commission européenne rappelle qu’elle est tenue d’observer des règles de confidentialité et assure que les informations fiscales confidentielles resteront dûment protégées.
A l’époque de la parution de l’article du Financial Times, il était dit que le Luxembourg était visé pour un mécanisme d'intérêts notionnels, qui permet à des filiales financières sur place de minimiser l'impôt sur des capitaux, reçus à taux d'intérêt nul d'une maison mère située dans un "paradis fiscal" avant d’être prêtés à une entreprise dans un autre pays.
Le communiqué de presse de la Commission européenne indique quels sont les deux éléments précis de la politique fiscale du Luxembourg qui fait l’objet de ses injonctions à livrer des informations. Il s'agit d'une part de décisions concernant le ruling fiscal, un droit d'information qui permet à une entreprise ou un particulier de savoir à l'avance, par des lettres d’intention ("comfort letters"), comment sa situation sera traitée par l'administration fiscale. La Commission européenne signale que le ruling fiscal serait problématique dès lors qu’il serait constaté que des avantages sélectifs ont été accordés à une entreprise ou un groupe d’entreprises, il pourrait y avoir eu distorsion de concurrence, et donc enfreinte au régime d’aides d’Etat.
Dans ce dossier, le Luxembourg aurait certes livré à la Commission européenne "des indications générales", mais se serait refusé, au nom du secret fiscal, à lui donner les moyens d'examiner les décisions particulières prises entre 2011 et 2012.
L'autre champ d'enquête de la Commission concerne le régime de taxation de la propriété intellectuelle dans les Etats membres. La Commission européenne explique qu’au cours des dix dernières années, plusieurs pays européens ont mis en place un régime fiscal particulier relatif à la propriété intellectuelle. Informations à l’appui, la Commission soupçonne ces régimes fiscaux de ne bénéficier qu'à des "entreprises extrêmement mobiles" sans provoquer de regain d’activité et de développement de la recherche significatifs.
Elle précise que le Luxembourg a adopté en 2008 un régime qui prévoit des exemptions fiscales sur 80 % des profits engendrés par l'utilisation ou la licence de droits liés à la propriété intellectuelle, comme les brevets, marques, logiciels ou noms de domaines internet. La Commission voulait connaître les 100 principales entreprises concernées, mais elle n’a pas eu de réponse. La Commission rappelle qu’elle avait déjà enquêté en 2008 sur un régime similaire en vigueur en Espagne sans conclure qu’il s’agissait d’une aide d’Etat.
Dans un court communiqué de presse diffusé quelques heures après celui de la Commission européenne, le ministère luxembourgeois des Finances explique que le Luxembourg a eu, depuis l’été 2013, un "échange continu et approfondi" avec la Commission européenne. Désormais, il "va dûment examiner si ces injonctions dissipent les doutes qu'il a eus jusqu'ici vis-à-vis de la légalité de la requête de la Commission européenne". Le ministère précise que le Luxembourg reste engagé à coopérer pleinement avec la Commission dans le cadre des mécanismes prévus par la législation européenne.